Une des grandes questions en physique des particules est l’existence ou non d’une différence de comportement entre matière et antimatière. De grandes expériences sur faisceau de neutrinos testent cette violation de symétrie en observant leurs oscillations sur de très longues distances. Pour valider la nouvelle technologie de ces futures expériences, des prototypes de plus faibles volumes sont construits.
L'expérience WA105 au CERN, à laquelle participe l’Irfu, a observé en juin 2017 les premiers signaux de rayons cosmiques dans un détecteur à argon liquide de nouvelle génération. Ce prototype est une chambre à projection temporelle à argon liquide avec phase gazeuse permettant l’observation tridimensionnelle des produits d’interaction des neutrinos. Ce premier prototype (3x1x1 m3, 25 t d’argon liquide) va permettre de valider un certain nombre de choix techniques qui seront appliqués au démonstrateur WA105 de 300 t d’argon liquide (6x6x6 m3) qui prendra des données en 2018 avec un faisceau du Cern. La validation de cette nouvelle technologie est cruciale pour les futurs détecteurs (60x12x12 m3, 10 kt) de la prochaine expérience d'oscillation de neutrinos DUNE aux États-Unis dont le démarrage est prévu en 2026 et qui a démarré en juillet 2017 la construction de son laboratoire souterrain.
Depuis des décennies, les physiciens des particules rêvent de disposer de nouveaux détecteurs aussi performants en terme de qualité de l’imagerie que les chambres à bulles, utilisées au cours des années 50 à 70. Celles-ci permettaient en effet de visualiser avec une grande finesse le passage des particules chargées à travers un liquide. Leur seul défaut ? Il fallait prendre plusieurs clichés pour chaque interaction d'une particule, puis les faire analyser un par un par des opérateurs. Une tâche longue et fastidieuse.
Un détecteur à argon liquide permet de réaliser une véritable chambre à bulles électronique, où les données sont numérisées et enregistrées, puis analysées par ordinateur. Récemment, une nouvelle technologie, dite de double phase, a été proposée pour ces détecteurs : les électrons produits par le passage d'une particule chargée dans l’argon traversent eux-mêmes la phase liquide de l’argon ; ils passent ensuite dans une phase gazeuse grâce à un fort champ électrique, puis sont amplifiés par un dispositif appelé « Large Electron Multiplier » (LEM ou grand multiplicateur d'électrons) pour être finalement collectés et localisés sur un circuit imprimé appelé « anode ». L'avantage est que le signal est bien plus facile à détecter (rapport signal/bruit plus grand) et donc, malgré l'atténuation subie par les électrons lors d'une longue dérive, il sera possible de construire des détecteurs à la fois plus grands et plus simples. Cette technologie semble très prometteuse pour équiper des grands détecteurs, jusqu'à 10 kt, dédiés à l’étude des neutrinos et de leurs oscillations, comme ceux envisagés pour l'expérience DUNE aux Etats-Unis.
WA105 est une collaboration qui se propose de construire et d’étudier au Cern un détecteur de ce type, baptisé ProtoDune-DP (où "DP" signifie "Double Phase"), dont la caractéristique est la grande taille (300 tonnes d'argon liquide, 36 m2 de détection, un volume utile de 6x6x6 m3). Un jalon important a été atteint en juin dernier avec les premiers signaux observés dans un prototype de WA105, appelé 3x1x1 (ce sont les dimensions en mètres du volume instrumenté). C'est la première fois qu'on fait fonctionner un détecteur d'une aussi grande taille avec cette technologie. Le 3x1x1 est situé au premier étage du bâtiment 182 au Cern, juste au-dessus de l'Antenne de Saclay.
Alors que la collaboration WA105, qui comprend plusieurs laboratoires français dont l'Irfu, est à l’œuvre pour analyser les signaux de rayons cosmiques du 3x1x1, elle est aussi active dans la construction d'un plus grand prototype de 300 tonnes, situé au Cern à Prévessin, qui prendra des données avec un faisceau de particules chargées en 2018. L'expérience acquise dans la construction et la mise en service du 3x1x1 sera primordiale pour réussir cette prochaine étape.
Assemblage d’un LEM (dont on voit la couche de cuivre supérieure et la couche isolante jaune clair) et de son anode de lecture (partie inférieure). Copyright P. Stroppa/CEA.
Les équipes du DEDIP et du DPhP sont très actives dans la construction de l'élément central de ce détecteur, le plan de détection de 36 m2 composé de 144 couples anode/LEM produits chez un sous-traitant industriel. Un LEM est un PCB (circuit imprimé constitué d’une couche d’isolant prise en sandwich entre deux fines couches de cuivre) de 50x50 cm2 de surface pour 1mm d'épaisseur, perforé de 450 000 trous de 500 µm de diamètre. Pour limiter les décharges électriques sur les bords des trous, les circuits imprimés nécessitent un traitement chimique particulier qui retire le cuivre sur un anneau de 40 microns autour de chaque trou. L'amplification des électrons se produit grâce à une avalanche qui a lieu dans les trous, les deux surfaces du LEM étant cuivrées et portées à une différence de potentiel de plusieurs milliers de volts.
L'Irfu est responsable de la validation et de la caractérisation de tous les LEM de WA105 à Saclay avant qu'ils soient expédiés au Cern pour être intégrés en salle blanche avec les anodes sur le plan de détection. A cet effet, l’Irfu a mis au point les procédures de nettoyage et séchage des LEM utilisant des équipements de l'atelier MPGD du DEDIP. Il a également conçu et développé une enceinte à haute pression qui permet de réaliser la qualification finale des LEM dans les mêmes conditions de densité d’argon en phase gazeuse que dans les prototypes WA105. La sous-traitance d'étude et réalisation de cette enceinte par la société RAVANAT (Veurey-Voroize, France) a été conduite avec le soutien du DIS. Elle est actuellement utilisée au bâtiment 534 à Saclay pour valider les premiers LEM produits.
L'expérience DUNE a récemment connu un autre jalon important : le 21 juillet 2017 marque le début des travaux pour la construction du laboratoire souterrain (Sanford, Dakota du Sud, Etats-Unis) qui abritera les grands détecteurs de DUNE, dont le démarrage est prévu en 2026. Le faisceau des neutrinos sera créé au Fermilab, près de Chicago, puis atteindra les détecteurs souterrains après un voyage de 1300 km sous terre.
Contacts : Edoardo Mazzucato, Alain Delbart
Collaboration : Bucharest - CERN - CIEMAT - ETHZ - Geneva - Glasgow - Helsinki - IFAE - IFIN-HH - IN2P3/APC - IN2P3/IPNL - IN2P3/LAPP - IN2P3/LPNHE - IN2P3/OMEGA - INR - IRFU/DEDIP - IRFU/DIS - IRFU/DPhP - Jyvaskyla - KEK - Oulu - Sofia - UCL
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