La collaboration internationale T2K, dans laquelle l’Irfu est fortement impliqué, annonce le 4 août 2017 de nouvelles indications d'une violation de la symétrie entre les neutrinos et les antineutrinos. T2K a analysé les données recueillies depuis 2010 jusqu'en 2017 : leurs nouveaux résultats, combinés avec les mesures d'oscillations de neutrinos de réacteurs, excluent que les neutrinos et les antineutrinos aient la même probabilité d'oscillations de saveur avec un niveau de confiance de 95% (2 écarts-type). Ce qui revient à dire qu’il y a 1 chance sur 20 que cette violation soit due à une fluctuation statistique. Après des améliorations sur le détecteur proche, en grande partie conçues et réalisées par l’Irfu, une nouvelle phase de prise de données (T2K-2) est prévue de 2021 à 2026, qui pourrait établir la violation de la symétrie CP à 3 écarts-type (99,7% de niveau de confiance).
Pourquoi l’univers est-il aujourd'hui composé principalement de matière, alors que lors du Big Bang il est admis que matière et antimatière étaient présentes en quantité égale ? C'est l’une des énigmes les plus profondes auxquelles est confrontée la physique des particules. Une des conditions nécessaires pour expliquer ce fait est la brisure de la symétrie dite de Charge-Parité (CP). La symétrie CP stipule que les lois de la physique sont les mêmes si l’univers est observé dans un miroir (P) et la matière changée en antimatière (C). S'il y a violation de CP pour les neutrinos, elle se manifeste comme une différence dans la probabilité d'oscillations de saveur des neutrinos et des antineutrinos.
Dans l’expérience T2K, un faisceau de neutrinos muoniques (antineutrinos muoniques) est produit au Japon par l’accélérateur de J-PARC (Japan Proton Accelerator Research Complex), par la désintégration des hadrons issus de l’interaction de protons avec une cible de graphite. Le faisceau de neutrinos (antineutrinos) est caractérisé, avant l'oscillation, par le détecteur proche ND280. Le faisceau est dirigé vers le détecteur lointain Super-Kamiokande, à 295 km de JPARC, qui mesure combien de neutrinos muoniques (antineutrinos muoniques) ont disparu et combien de neutrinos électroniques (antineutrinos électroniques) sont apparus.
Les résultats présentés par T2K s’appuient sur 2.25x1021 protons sur cible (nombre qui mesure le flux), à peu près 30% de la quantité totale attendue d’ici 2021. Avec ces données, T2K a observé l’apparition de 89 événements de neutrinos électroniques et de 7 événements d’antineutrinos électroniques entre le détecteur proche et le détecteur lointain, au lieu des 67 événements de neutrinos électroniques et des 9 événements d’antineutrinos électroniques attendus en l’absence de violation de la symétrie CP. Combinés avec les mesures effectuées par des expériences auprès de réacteurs nucléaires, les résultats de T2K indiquent une violation de la symétrie CP avec un niveau de confiance de 95% (2 écarts-type).
Ces résultats sont présentés sur la figure ci-contre qui montre la probabilité (plus précisément -2 fois le logarithme de la vraisemblance, -2Δln(L)) d’observer les résultats obtenus selon la valeur du paramètre qui caractérise la violation de CP, δCP. Plus -2Δln(L) est petit, plus les résultats sont compatibles avec la valeur de δCP sur l’axe des x. Les valeurs correspondant à la conservation de la symétrie CP sont δCP = 0 et δCP = ± π. Deux courbes sont présentées : la courbe noire dans l’hypothèse d’une hiérarchie de masses des neutrinos « normale », la courbe rouge dans l’hypothèse hiérarchie « inverse » (pour en savoir plus voir ce fait marquant). La zone comprise entre les lignes verticales noires (rouges) montre la région permise pour les valeurs de δCP à 95% de niveau de confiance dans le cas de la hiérarchie de masse normale (inverse). Cette figure montre le résultat de T2K combiné avec les mesure d'oscillation de saveurs effectuées par les expériences auprès des réacteurs nucléaires. Les valeurs correspondant à la conservation de la symétrie CP (δCP = 0 et δCP = ± π) sont en dehors de la région autorisée à 95% de niveau de confiance.
Les groupe T2K à l'Irfu a apporté une contribution majeure à ces résultats. Il a été un acteur de premier plan dans la conception et la construction des chambres à projection temporelle du détecteur proche. Il poursuit des mesures de probabilité d'interaction des neutrinos et évalue les incertitudes systématiques liées à la connaissance de ces interactions.
Les excellents résultats de T2K ont motivé la proposition, aujourd'hui approuvée, d'une nouvelle phase de prise de données (T2K-2) de 2021 à 2026, qui pourrait établir la violation de la symétrie CP à 3 écarts-type. Le groupe de l'Irfu est à nouveau en première ligne avec le projet de mise à niveau du détecteur proche. A plus long terme, le groupe est engagé dans la nouvelle génération d’expériences avec une longue ligne de base (dite « long base-line »), notamment DUNE et Hyper-Kamiokande, qui permettront une mesure de précision de la violation de CP à l'horizon 2025.
Déjà récompensée par le prix Nobel de physique attribué en 2015 à Takaaki Kajita et Arthur B. McDonald pour la découverte des oscillations de saveur, la physique des neutrinos nous réserve encore bien des surprises.
Contact : Sara Bolognesi
• Constituants élémentaires et symétries fondamentales › Physique des neutrinos
• Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département de Physique des Particules (DPhP)
• Laboratoire d'étude mécanique et d'intégration des détecteurs (LEMID) • Système temps réel, électronique d'acquisition et microélectronique (STREAM) • Neutrinos accélérateurs
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