Le gigantesque spectromètre de KATRIN, d'une longueur de 24 m et d'un diamètre de 10 m, livré au KIT en 2006. (crédit KIT)
Dotés d’une très faible masse les neutrinos jouent un rôle clé en en physique des particules et en cosmologie. La contrainte sur leur masse vient tout juste d’être améliorée par l'expérience KATRIN. La première campagne scientifique de 4 semaines de prise de données, au printemps 2019, contraint désormais la masse des neutrinos à moins de 1.1 électron-volt. Il s’agit de la meilleure mesure indépendante de tous modèles, apportant une amélioration d'un facteur 2 par rapport aux résultats expérimentaux antérieurs. La contrainte est encore inférieure à celle venant des mesures cosmologiques sur la masse totale de 3 saveurs de neutrinos, qui flirte avec la centaine de milli eV (meV). Mais KATRIN va continuer à prendre plus de données durant les 5 prochaines années et devrait atteindre une sensibilité sur la masse du neutrino électronique voisine de 200 meV. Le haut potentiel de cette expérience réside dans sa précision et dans le fait que cette mesure est, elle, indépendante de tout modèle théorique contrairement aux mesures issues des observations cosmologiques. En effet elle repose sur la conservation de l’énergie et la mesure d’une expérience bien connue, la désintégration beta.
Les neutrinos jouent un rôle clé en en physique des particules et en cosmologie. Mis à part les photons, le quanta fondamental de la lumière, les neutrinos sont les particules élémentaires les plus abondantes de l'univers. Pour chaque électron, proton, et neutron de l’Univers, il y a 1 000 000 000 de neutrinos et ces particules si légères et aux interactions si rares, influencent malgré tout l’évolution de l’Univers primordial. A l’échelle des particules élémentaires, leur très faible masse, de l’ordre du milli-eV (10-3eV), un milliard de fois plus petit que les MeV (106eV) des autres particules élémentaires, sous-entend peut-être l’existence d’une nouvelle physique au-delà du modèle standard de la physique des particules. Trouver la fenêtre vers la nouvelle physique de l’infiniment petit au-delà du modèle standard actuel, et apporter une pièce puzzle sur la formation primordiale de notre Univers sont les enjeux excitants de la mesure de la masse des neutrinos.
La forme du bout du spectre en énergie des électrons émis lors de chacune des désintégrations beta est sensible à la masse du neutrino.
La mesure de KATRIN utilise un principe fondamental connu depuis fort longtemps : dans le processus de désintégration beta, l'électron et le neutrino se partagent statistiquement l'énergie disponible (18,6 keV pour le tritium). Dans des cas extrêmement rares, l'électron obtient effectivement toute l'énergie de désintégration tandis que le neutrino n'acquiert que quantité minimale correspondant à sa masse au repos. La forme du spectre des électrons autour de 18.6 keV dépend donc de la masse du neutrino.
La difficulté expérimentale vient de la statistique car seule une désintégration du tritium sur un milliard est intéressante pour mesurer la masse du neutrino. Afin d’accumuler un nombre d'événements et donc une statistique conséquente, l’expérience KATRIN utilise la source de Tritium la plus intense à disposition de la communauté scientifique. « La désintégration beta du tritium ainsi que la réponse de l’ensemble de l’instrument doivent être modélisés avec une précision inférieure au pourcent“ explique Thierry Lasserre physicien au département de physique des particules de l'Irfu. « Avec KATRIN la mesure directe de la masse des neutrinos est entré dans le domaine de la physique de haute précision ».
Au printemps 2019, l'équipe de 150 personnes a réalisé sa première campagne de mesure. À cette fin, un gaz de tritium moléculaire a circulé pendant quatre semaines engendrant 25 milliards d'électrons par seconde dans la source. Pour cette analyse les équipes de KATRIN ont recherché l’empreinte d’un neutrino massif à partir d’un spectre regroupant plus de 2 millions d'électrons, triés sur le volet grâce au gigantesque spectromètre électrostatique adjacent à la source.
Comme à l'accoutumée dans les expériences de précision contemporaines, des informations vitales nécessaires pour finaliser l'analyse étaient volontairement dissimulées jusqu’au dernier moment. Pour coordonner leurs dernières étapes, le groupe d’analyse, coordonné par Thierry Lasserre (CEA-Irfu), s’est réuni cet été pour un atelier d'une semaine au KIT. "Vers la fin de la soirée du 18 juillet, le traitement des incertitudes systématiques fut verrouillé : les dernières informations nécessaires à l'analyse finale de l'ensemble des données pouvaient enfin être dévoilées ! Après les dernières heures de calcul, l’analyse n’a pas mené à la mesure d’une masse significative du neutrino."
Diagramme sommaire des valeurs au carré de la masse de neutrinos obtenues à partir de la désintégration du tritium bêta au cours de la période 1990-2019, par rapport à l'année de réalisation. Les résultats des expériences plus récentes de Mainz et de Troitsk sont surtout comparés aux nouveaux résultats de KATRIN KNM1 : l'incertitude totale est réduite d'un facteur 3. (credit KATRIN Collaboration
Ces premiers résultats réduisent l'échelle de masse absolue des neutrinos à une valeur inférieure à 1.1 électron-volt (eV). Ils ont été présentés le 13 Septembre lors de la conférence TAUP 2019 à Toyama (Japon) et soumis à une revue scientifique (Phys Rev Letters) pour publication.
Cette campagne de mesure initiale correspond en fait à 5 jour-équivalents de données de KATRIN, lorsque celle-ci fonctionnera à plein régime. En rapport aux expérience précédentes similaires l’erreur statistique est réduite d’un facteur 2 et l’erreur systématique d’un facteur 6. L’utilisation du plein potentiel de l’instrument et l’amélioration de l’analyse permettront conjointement de gagner les réduire par encore un ordre de grandeur. La prise de données avec la configuration finale de l’expérience commencera dans les prochains jours en vue d’atteindre une sensibilité de l’ordre de 0.2 eV dans les cinq prochaines années.
Précédentes actualités :
16/09/2019 : "Les neutrinos, « poids plumes » des particules, pourront compter sur la nouvelle balance de haute précision KATRIN
08/07/2019 : "Le CEA et le KIT signent le renouvellement de leur accord de coopération scientifique et technique"
04/10/2018:" Première injection de tritium dans l’expérience KATRIN"
vidéo de KIT (Karlsruher Institut für Technologie)
How much does a neutrino weigh? The KATRIN Experiment at KIT (2018)
Contributions de l’Irfu:
Au CEA-Irfu, Thierry Lasserre a coordonné cette analyse pour l'ensemble de la collaboration KATRIN, établissant une stratégie innovante et un protocole strict pour éviter tout biais humain en faveur d'une valeur de masse neutrino. En collaboration avec le Max-Planck-Institute de Munich, le CEA-Irfu a également développé une nouvelle chaîne d'analyse indépendante utilisant l'approche de matrice de covariance pour étudier, identifier, et propager les incertitudes systématiques et leurs corrélations. Cette analyse a franchi avec succès toutes les étapes de validation jusqu'à la mesure de la masse du neutrino.
Gautier HAMEL de MONCHENAULT , chef de département de physique des particules de l'Irfu "La limite sur la masse des neutrinos obtenue par l’expérience Katrin, avec une contribution déterminante de notre collaborateur Thierry Lasserre et son équipe, est une prouesse expérimentale d’une importance considérable. Ce magnifique résultat, indépendant des modèles, améliore sensiblement les contraintes directes précédentes et complémente superbement les limites obtenues sur la base d’observations cosmologiques ainsi que les mesures d’oscillation de saveur des neutrinos auxquelles les chercheurs et chercheuses de notre Département sont associés".
Sur le plan technique, des ingénieurs du département des aimants et des accélérateurs de l'Irfu ont coordonné la réalisation d'un nouveau système de protection active des aimants supraconducteurs de la source de tritium en collaboration avec KIT.
Philippe Fazilleau, ingénieur au Laboratoire des Aimants Supraconducteurs se souvient:
« La protection originelle contre le quench des aimants supraconducteurs du WGTS était passive et très risquée. En collaboration avec le KIT, une nouvelle protection active a été développée en se basant sur les compétences et les développements du CEA dans ce domaine. Après avoir été entièrement validée par calculs, des tests de quench réalisés à Saclay ont démontré le bon fonctionnement de la protection et l’intégrité des aimants aussi bien thermiquement que mécaniquement. »
Une partie du conducteur d'une bobine, peut passer de l'état supraconducteur à l'état "normal" (ou résistif) de façon non intentionnelle. La résistance qui apparaît alors provoque un échauffement par effet Joule. Ce phénomène est appelé transition vers l'état "normal", par opposition à l'état supraconducteur. En anglais, et aussi couramment en français, la transition est appelée "quench". L'échauffement localisé et important du conducteur peut rapidement entraîner sa destruction ou endommager irrémédiablement certains matériaux. Le MSS « Magnet Safety System » est là pour sécuriser cette transition. |
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