SNOGLOBE, le nouveau détecteur de matière noire de la collaboration NEWS-G, a été officiellement déclaré apte au service et a quitté le Laboratoire Souterrain de Modane (LSM), où il avait été assemblé puis testé durant plus de 5 mois.
Au LSM, l’espace était, en ce début de novembre, encombré de caisses à destination du SNOLAB, un autre laboratoire souterrain situé dans une mine de Sudbury au Canada. A l’intérieur, se trouvaient les pièces de ce nouveau détecteur de matière noire, entièrement fabriquées par les laboratoires de l’IN2P3 et du CEA/IRFU et soigneusement emballées afin d’être transportées par bateau puis réassemblées au Snolab.
Enfoui sous 2000m de roches, ce détecteur gazeux de basse radioactivité va tester l’existence des hypothétiques WIMPs (particules de Matière Noire) de basses masses, c’est à dire d’une énergie comprise entre 0,1 et 3 GeV.
Une conception née et développée au CEA-Saclay / IRFU
Le concept de détecteur sphérique, inventé et développé à l’IRFU (CEA-Saclay), trouve déjà un large éventail d'applications, non seulement dans d'autres laboratoires de recherche mais également chez des industriels.
Un détecteur sphérique proportionnel est une enceinte sphérique remplie de gaz, dans laquelle une bille métallique placée au centre est polarisée à une haute tension de façon à créer un champ électrique radial. Les charges produites par la particule ionisante sont amplifiées par un phénomène d’avalanche dans le voisinage proche de la bille. Ce phénomène est analogue à celui exploité pour les chambres à fils. Au contraire de la plupart des détecteurs gazeux, ce détecteur fonctionne en mode scellé, un avantage considérable, en particulier pour les applications industrielles.
Le capteur multibilles « akhinos », à
l’extrémité de sa canne, à placer au
centre de la sphère.
Copyright CEA/IRFU
Une contribution CEA/IRFU au cœur du système
La première contribution majeure a été de fournir un capteur central de faible radioactivité capable de supporter des pressions de gaz jusqu'à 10 bar et de détecter les reculs nucléaires de faible énergie avec une très bonne stabilité temporelle.
La solution développée, appelée AKHINOS, est une extension du concept initial, mais qui utilise de multiples billes. Cette percée spectaculaire, jouant avec le diamètre des billes, permet d’ajuster le champ à volonté pour des sphères encore plus grandes (des dizaines de mètres) ou des pressions beaucoup plus importantes. Elle rend possible la lecture individuelle de chaque bille avec une électronique adaptée, ce qui permettra ainsi la localisation tridimensionnelle des traces des particules.
La deuxième contribution a concerné toute la mécanique liée à la canne qui supporte ce capteur, en interface avec la sphère elle-même.
Il a fallu en particulier éviter la vue directe de la radioactivité extérieure à travers le tube de Ø62mm nécessaire au passage du capteur, tout en recevant de plus une tête d’électronique et en assurant en même temps l’arrivée du gaz dans la sphère. Ensuite, le système de transfert, constitué d’un container de transport, d’une boite à gants et d’un système de circulation de gaz contrôlé, a été conçu et fabriqué au DEDIP pour autoriser l’introduction du capteur dans la sphère - ainsi que les échanges ultérieurs - sans introduire d’air en même temps, en raison de la forte présence de radon au Snolab. Enfin, un châssis de maintenance a été ajouté en cohérence avec ce système, permettant l’assemblage et le désassemblage total de la canne, ses modifications ou ses réparations, le remplacement des capteurs et qui garantit que les capteurs seront bien au centre de la sphère une fois l’introduction terminée.
La dernière contribution consistait naturellement à assurer l’acquisition des signaux. La tête d’électronique de la canne assure ainsi le filtrage des tensions d’alimentation des capteurs, la distribution de ces tensions, la lecture des signaux et l’amplification. En sortie des amplificateurs se trouve la boîte de numérisation qui a été définie et mise au point au DEDIP et a été vendue à plusieurs exemplaires à différents laboratoires. Elle héberge 4 ADCs, dont le bruit électronique est de 1,5 ADU à 1 MHz d’échantillonnage pour une dynamique de 16 bits, et transmet les données numérisées par Ethernet, ce qui permet de les traiter à priori avec n’importe quel ordinateur. Finalement, le couple des logiciels SAMBA (gestion de l’expérience et acquisition) et TANGO (analyse), tous deux à nouveau conçus et développés au DEDIP, assure le stockage et le monitoring de la qualité des données.
Assurer la basse radioactivité
Le nombre d’événements attendu est inférieur à un par jour. Snoglobe est un détecteur pour lequel le niveau de radioactivité doit en conséquence être gardé le plus bas possible.
La sphère a été fabriquée en 2 hémisphères dans un cuivre pur à 99,99%, soit seulement 1µBq/Kg en Uranium et Thorium. L’intérieur des hémisphères a été poli sur 2 µm d’épaisseur pour en éliminer les impuretés de surface (électropolissage), puis recouvert d’un dépôt de 500 µm de cuivre ultra pur lui aussi (électrodéposition). Les deux parties ont ensuite été soudées par faisceau d’électrons, technique qui évite l’ajout de matière contaminante. La sphère, une fois fermée, est nettoyée une dernière fois à l’acide avant d’être mise sous azote.
Le détecteur a du alors être placé en sous-sol pour le protéger du rayonnement cosmique, d’où l’intérêt du LSM qui se situe à 1700m sous le sommet du Fréjus. Les autres atouts du LSM sont la possibilité de travailler sous air « déradonisé » (purifié du radon), la proximité avec les concepteurs et fabricants du détecteur (tous en France), et notablement la facilité d’intervention, puisqu’on s’y rend horizontalement par une route assez large pour laisser passer des semi-remorques.
Le Snoglobe dans son blindage de plomb, maintenu par une coque en acier étanche.
Copyright Les Fonderies de Gentilly
Une première préparation conduite au LSM
De fait, l’équipe du LSM a géré la fabrication de la sphère elle-même. Puis elle a participé, avec l’IRFU, à l’électropolissage et l’électrodéposition au LSM sous air déradonisé . Elle a également conçu et réalisé son blindage de plomb, constitué de 3cm de plomb ancien et de 22 autres centimètres de plomb classique, pour stopper les photons gamma de haute énergie venus de la roche. Enfin, elle a préparé une protection anti-neutrons temporaire.
Les contributions de l’IRFU ayant préalablement été testées à Saclay sur un détecteur similaire, Snoglobe a alors bénéficié d’un premier assemblage presque complet au LSM, où des tests intégrés ont été menés à bien jusqu'à la validation.
A cette date, les containeurs partis du port du Havre sont arrivés à Sudbury. Dès qu’il aura gagné sa place définitive dans le laboratoire souterrain canadien Snolab, Snoglobe sera enveloppé de 40 cm de polyéthylène jouant le rôle de modérateur contre les neutrons ambiants, puis rempli d’un mélange en différentes proportions d’hélium, de méthane et de néon, définissant le milieu d’interaction avec les Wimps. Avec ces 40 tonnes de blindage en plus des 2000 mètres de roches, le nombre d’interactions dans le détecteur aura chuté d’un facteur 10000 comparé aux conditions de surface. La quête de Wimps avec ce détecteur durera 2 à 3 années, pendant lesquelles la collaboration NEWS-G préparera déjà le futur. Par exemple, deux détecteurs d’encore plus basse radioactivité sont en discussion.
Contact Irfu : Michel GROS , Ioannis GIOMATARIS
La collaboration NEWS-G a reçu un financement de l’ANR via les laboratoires français CEA/IRFU et CNRS/IN2P3/LPSC (incluant le LSM). Elle est conduite par Gilles GERBIER, bénéficiaire d’une CERC à la Queen’s University (Kingston, Canada). Participent également le CNRS/IN2P3/CPPM et le CNRS/IN2P3/SUBATECH, ainsi que les collaborateurs étrangers suivants: université de Thessalonique en Grèce, de Birmingham en Grande Bretagne, de l’Alberta au Canada, le Pacifique Northwest National Laboratory, et enfin le Royal Military College canadien.
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