Nathalie Palanque-Delabrouille est physicienne au CEA, à l'Institut de recherches sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu). L'ensemble de ses travaux scientifiques lui a valu d'être élue à l'Académie des Sciences ce jeudi 19 mars, sur la thématique « cosmologie expérimentale ».
Interview réalisée par Pierre-Yves Lerayer de l'Unité de communication du site de Saclay
En quoi consistent vos travaux de recherches ?
Je suis chercheur en cosmologie à l'Irfu, au sein du département de physique des particules (DPhP). Mon travail consiste à étudier la composition et l'évolution du cosmos et en particulier les mystérieuses matière et énergie noires. Toutes les observations semblent indiquer qu'elles existent mais sans parvenir à les définir ou les caractériser. Le but au DPhP est de concevoir des instruments toujours plus performants, d'analyser les données recueillies par les télescopes, et de les comparer à des modélisations numériques de l'espace. On est un peu les cartographes du passé.
J'ai beaucoup de chance car les outils et moyens que nous avons au CEA nous permettent de pouvoir mener des recherches poussées dans nos domaines respectifs, et d'obtenir des résultats significatifs au sein de la communauté scientifique.
Que signifie cette élection à l'Académie des Sciences ?
J'ai d'abord eu du mal à y croire. J'ai reçu la nouvelle par mail, parmi la centaine de messages que je reçois quotidiennement et je pensais qu'il s'agissait d'un faux. Mais j'ai rapidement eu confirmation et j'ai été très honorée de comprendre que j'allais pouvoir participer, au-delà de mes travaux de recherche habituels, à la construction d'une connaissance scientifique dans mon domaine et à la promotion de la science, dont je suis une fervente défenseuse.
À l'Académie, je serai en collaboration avec d'autres scientifiques pour élaborer des rapports ou documents de conseils scientifiques et un état de l'art des travaux dans mon domaine – matière et énergie noires. Celui-ci est particulièrement riche en ce moment, avec des missions comme DESI – dont je suis aujourd'hui porte-parole – ou d'autres à venir, Euclid notamment. Celles-ci visent à compléter les missions précédentes, qui permettent une étude soit de l'Univers très proche, soit très lointain. Nous n'avons que très peu de données sur tout l'entre-deux, et ces nouvelles missions vont combler ce manque, avec une précision inégalée et apporter très certainement des enseignements précieux.
Quel est l'impact de la quarantaine sur vos travaux ?
Mon travail consiste surtout en l'analyse de données, et cela je peux continuer à le faire. Surtout, comme on ne peut pas sortir de chez soi, il nous est très important de rester le plus possible en contact avec nos collègues, et de nous tenir informés de ce qu'il se passe dans l'Univers, bien loin de toutes les restrictions qui nous impactent tous.
Le communiqué de presse de l'Académie des Sciences
1e vidéo réalisée par l'unité de communication de la DRF, en période de confinement
Portrait de Nathalie Palanque-Delabrouille (entretien réalisé par Nathalie Besson) à l'occasion du prix Irène Joliot-Curie 2017.
Quand on demande à Nathalie les points saillants de sa carrière, elle commence par évoquer sa thèse, en cotutelle entre le service de physique des particules de l’Irfu (SPP devenu DPhP) et l’Université de Chicago, qui lui a permis de découvrir la recherche dans deux pays et deux laboratoires différents. Puis, elle raconte son attachement à l’Irfu, qui lui a permis de s’épanouir en participant à des collaborations différentes et enrichissantes. Ensuite vient son année sabbatique passée à Berkeley, pour encore s’ouvrir l’esprit, découvrir un autre laboratoire, et aussi donner à ses enfants l’opportunité de devenir bilingues. Car Nathalie, grande sportive et grande voyageuse, parle couramment l’anglais mais maîtrise aussi l’espagnol et se débrouille suffisamment en russe pour parler matière noire toute la nuit avec un chauffeur de bus kazakhe.
« Mon mari et moi, on devait traverser l'Ouzbekistan en bus de nuit pour rejoindre Samarkand. Le chauffeur nous a demandé nos métiers. Quand il a entendu chercheuse en Cosmologie, il a immédiatement passé le volant à son copilote, et on a parlé Univers, trous noirs, énergie noire ! Vers minuit, il a laissé tout le bus et les passagers à un arrêt et nous a offert le dîner pour qu’on puisse continuer à parler. Ça nous a pris la nuit entière à cause de notre niveau en russe. C’était un moment génial. » .
Parce que si Nathalie fait la science, elle adore aussi la partager. Nathalie est une scientifique remarquable, et ses pairs ne s’y sont jamais trompés. Quelle que soit l’expérience pour laquelle elle a travaillé, elle en a à chaque fois pris en charge intégralement un aspect depuis les développements techniques jusqu’à la publication des résultats : dans l’expérience Eros (thèse récompensée par le prix Saint-Gobain « Jeunes Chercheurs » de la SFP) ; dans Antares ; dans SNLS; dans SDSS (sa contribution exceptionnelle lui a valu d’être élevée au statut d’architecte de SDSS et elle est chef de groupe) ; et maintenant dans DESI (elle est chef de groupe) et dans le groupe cosmologie du DPhP (son travail sur la contribution des neutrinos cosmologiques à la matière noire a été récompensé par l’attribution de deux financements de l’ANR) qu’elle dirige. Ses activités de recherche en cosmologie et en astroparticule ont été récompensées, en 2010, par le prix Thibaud de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Art de Lyon. Son expertise en cosmologie et matière noire est internationalement reconnue et soumise régulièrement à contribution. Bref vous voulez connaitre les secrets les plus sombres de l’Univers, demandez à Nathalie. Et elle n’hésitera pas un instant à vous répondre tant elle communique sa passion et ses connaissances avec plaisir.
Son tout premier prix, c’est à son sens de l’enseignement qu’elle le doit, l’Université de Chicago lui ayant décerné celui d’Excellence in Teaching of Undergraduates alors qu’elle était en thèse. Elle enseigne dans des écoles de haut niveau comme les écoles d’été du Cern, donc des enseignements spécialisés et ponctuels ; mais elle communique aussi avec le grand public, « tous azimuts » comme elle le souligne avec un grand sourire : au festival de Fleurance, au comité duquel elle participe depuis 12 ans, aux Universités du Temps Libre, dans les sociétés d’astrophysique et aussi dans les classes préparatoires. Elle a écrit deux livres remarqués, dont l’un récompensé par le prix du livre d’astronomie. Nathalie n’est pas seulement une femme scientifique digne de tous les éloges, elle concourt aussi à promouvoir le rôle des femmes dans la science. Elle a par exemple répondu présente à l’appel de la commission « femmes de la physique » de la SFP pour proposer une liste d’oratrices physiciennes pour intervenir auprès du grand public ou de scolaires. Et elle s’est investie dans le premier « comité pour la participation des femmes dans SDSS » chargé d’assurer l’exemplarité du projet SDSS sur l’égalité homme-femme et la promotion des femmes en astrophysique.
Si quelqu’un mérite le prix de femme scientifique de l’année, c’est bien Nathalie Palanque-Delabrouille, bravo et merci à elle.
Nathalie Palanque-Delabrouille, femme scientifique de l’année en 2017 (vidéo réalisée par Stan TV).
Retrouvez Nathalie Palanque-Delabrouille lors de la conférence-débat organisée par l'Académie des Sciences le 21 mai 2019