Une équipe du LFEMI a mis en évidence la présence de quantités massives de gaz moléculaire dans des galaxies qui paraissaient jusqu’alors en être dépourvues. Cette découverte éclaire le processus de formation d’étoiles dans les galaxies primitives. Ce travail s’est appuyé sur un programme d’observation du télescope spatial Herschel.
Les galaxies évoluent au cours du temps, et le processus de formation d'étoiles a un rôle déterminant dans cette évolution. Notre vision actuelle de la formation d'étoiles postule que le réservoir de gaz moléculaire en est un ingrédient essentiel, la molécule la plus abondante de l’Univers étant le dihydrogène (H2). Les observations de la Voie Lactée confirment que les premières étapes de la formation d'étoiles sont effectivement indissociables des nuages moléculaires. Il est cependant impossible d'observer directement l'émission de H2 associée à la majeure partie des nuages moléculaires. La molécule H2 y émet en effet faiblement, car elle n’a pas de moment dipolaire permanent (cette molécule est symétrique). Par ailleurs, les températures dans ces nuages moléculaires ne sont pas assez hautes pour exciter les transitions de H2 indépendantes de ce moment dipolaire. Ainsi, toute l’astrophysique repose sur des traceurs indirects pour quantifier la masse de gaz moléculaire associée à la formation d'étoiles. Le traceur le plus facilement accessible et le plus populaire est la série des raies d'émission millimétriques du monoxyde de carbone (CO), qui est habituellement brillante.
Figure 1. Masse totale d'hydrogène moléculaire (M(H2)total) déterminée à partir des modèles par rapport à la valeur observée de la luminosité de la raie de carbone ionisé L(CII) pour les galaxies naines de faible métallicité et la correspondance indiquée entre les deux (Madden et al. 2020). Les cercles ouverts sont des limites supérieures.
Figure 2. Luminosité du CO normalisée par la luminosité infrarouge lointaine (LCO(1-0)/LFIR) en fonction de la luminosité de la raie du carbone ionisé normalisée par la luminosité infrarouge lointaine (L[C II] /LFIR), observées dans nombreuses galaxies de différents types, métallicités, et propriétés de formation d'étoiles. Les galaxies naines de faible métallicité (points rouges) présentent des valeurs extrêmes de LCO(1-0)/L[C II] observées, par rapport aux autres galaxies riches en éléments lourds (Madden et al. 2020).
Les galaxies naines se trouvent être les objets dont le milieu interstellaire est le plus pauvre en éléments lourds. Elles sont donc considérées comme des galaxies chimiquement jeunes. Le taux d’enrichissement en éléments plus lourds que l’hélium est appelé métallicité et peut facilement être mesuré. Nous parlons donc de galaxies de faible métallicité. Dans l’Univers local, elles sont souvent utilisées comme laboratoires pour comprendre le milieu interstellaire et son interaction avec la formation d'étoiles dans les galaxies primitives les plus distantes, à l’aube cosmique. Or, ces objets ont pendant longtemps posé une énigme. Ils présentent une activité de formation d'étoiles vigoureuse, mais leurs raies de CO sont inhabituellement faibles, voire totalement absentes. Depuis une trentaine d’années, les astrophysiciens se posent donc la question suivante : ces galaxies ont-elles une efficacité de formation d’étoiles extrême, utilisant très peu de gaz moléculaire, ou bien leur formation d’étoiles est-elle alimentée par le gaz atomique ? Le groupe d’étude des galaxies proches du LFEMI/DAp/CEA a récemment publié une étude pour résoudre cette question et comprendre quel matériau alimente la formation d'étoiles dans ces galaxies.
L'article de la revue Astronomy & Astrophysics, présentant les résultats (Madden et al., 2020), se base sur des observations uniques obtenues avec l’instrument PACS du télescope spatial Herschel, développé au CEA. Une procédure de modélisation originale a été développée pour inférer la masse totale d'hydrogène moléculaire des galaxies de faible métallicité. Cette modélisation repose sur la prise en compte de nombreuses contraintes observationnelles provenant des différentes phases interstellaires (ionisée, neutre, moléculaire). En particulier, la raie du carbone ionisé (C+) dans l'infrarouge lointain (158 microns) s'avère être un nouvel outil précieux pour découvrir de grands réservoirs de gaz moléculaire qui n'ont pas été vus auparavant, et qui ne sont pas pris en compte par les observations de la raie de CO. Cette nouvelle approche a permis de découvrir jusqu'à 50 à 100 fois plus d'hydrogène moléculaire qui était invisible en CO (Figure 1). L’indice qui a mené l'équipe dans cette direction était que, si la molécule de CO était très difficile à détecter dans les galaxies de faible métallicité, la raie d'émission de C+ était excessivement brillante en comparaison (Figure 2). Ceci est dû au fait que lorsque le champ de rayonnement stellaire devient plus pénétrant, le CO est photodissocié alors que le H2 reste écranté. Le C+ devient donc le principal traceur du gaz moléculaire (Figure 3). Cette découverte montre la présence d'un important réservoir de gaz d’hydrogène moléculaire, appelé gaz sombre, et explique maintenant l'alimentation de la vigoureuse activité de formation d'étoiles dans les galaxies de faible métallicité. Il sera nécessaire de prendre en compte ce réservoir de gaz moléculaire, jusqu'alors inconnu, dans les simulations de formation d'étoiles et de nuages moléculaires dans l'univers primitif.
Figure 3. Représentation schématique de deux nuages moléculaires, l’un à métallicité solaire (gauche), l’autre à faible métallicité (droite). Le rayonnement stellaire est plus pénétrant à faible métallicité, car l’écrantage par les grains y est plus faible. Le CO y est donc massivement photodissocié, alors que le H2 est auto-écranté. Par conséquent, le C+ devient la principale espèce à tracer le H2 dans ces régions. C’est la raison pour laquelle nous parlons de gaz sombre.
Contact : Suzanne MADDEN