Figure 1: Événement enregistré avec le détecteur CMS en 2022 à une énergie de collision proton-proton de 13,6 TeV. Il présente toutes les caractéristiques attendues de la désintégration d’un boson de Higgs du MS en une paire de photons (lignes jaunes en pointillés et tours vertes).
Dix ans après la découverte du boson de Higgs, le LHC a commencé en 2022 une phase de prise de données à une énergie encore inégalée de 13,6 TeV. Une telle énergie ouvre la porte à de nouveaux tests du modèle standard (MS). Le boson de Higgs, en particulier, sera attentivement scruté. L’expérience CMS dévoile pour la conférence ICHEP 2024 ses premières mesures sur les propriétés du boson de Higgs, dans les canaux de désintégrations H→γγ (diphoton) et H→ZZ*→4l (4 leptons), à cette énergie record, mettant ainsi en lumière les contributions majeures des équipes de l’Irfu à l’analyse du canal diphoton. Ces premières mesures, conformes aux prédictions théoriques, confortent le MS mais la traque de la physique au-delà du MS ne fait que commencer à une telle énergie...
Le boson de Higgs, découvert au Cern en 2012 par les expériences Atlas et CMS, constitue la pierre angulaire du modèle standard (MS) de la physique des particules. Dans le cadre du MS, les masses des différentes particules sont reliées à leur interaction avec le champ de Brout-Englert-Higgs (BEH) via un mécanisme théorique connu sous le nom “brisure de symétrie” et proposé il y a plus de 50 ans par les théoriciens Brout, Englert et Higgs. En 2022, le boson de Higgs a fêté ses dix ans et la collaboration CMS présente aujourd’hui ses premières mesures de la production du boson de Higgs avec les données collectées cette année-là, à l'énergie de collision inédite de 13,6 TeV.
La production d'un boson de Higgs lors des interactions proton-proton est un événement rare : il y a une chance sur un milliard pour que les constituants des protons entrant en collision produisent le précieux boson. Pour collecter suffisamment de boson de Higgs, le LHC fait entrer en collision des protons au rythme effréné de 40 millions de collisions par seconde, dont la plupart sont sans intérêt pour les physiciens. Et pour ne rien simplifier, le boson de Higgs se désintègre presque instantanément après sa production dans différentes voies de désintégration. Ainsi, sa présence ne peut être inférée qu'en mesurant soigneusement ses produits de désintégration. Dans cette mesure, les physiciens de la collaboration CMS ont ciblé les désintégrations H→γγ (diphoton) et H→ZZ*→ 4l (4 leptons) ; du boson de Higgs. En effet, ces deux signatures permettent de bien distinguer la production du boson de Higgs de celle du bruit de fond beaucoup plus abondante.
Figure 2 : Distribution de la masse diphoton reconstruite. L'ajustement signal+bruit de fond révèle un excès d’événements par rapport à l'hypothèse de bruit de fond seul (panneau supérieur), le bruit de fond moyen est soustrait aux données pour mieux visualiser le signal provenant du boson de Higgs (panneau inférieur).
Figure 3 : Sections efficaces de production du boson de Higgs en fonction de l’énergie dans le centre de masse des collisions mesurées par l’expérience CMS. Les bandes grisées représentent les prédictions théoriques du MS et les deux derniers points les nouvelles mesures présentées par CMS, encore limitées par la statistique disponible.
La signature de la désintégration du boson de Higgs dans le canal diphoton est spectaculaire comme le montre la Figure 1. Elle se compose de deux dépôts d’énergie importants et bien isolés dans le calorimètre électromagnétique. Pour identifier la production du boson de Higgs parmi la grande quantité d’événements semblables produisant deux photons, les physiciens de CMS utilisent des méthodes d'analyse de données sophistiquées et des techniques d'apprentissage automatique pour rejeter les événements de fond et isoler la particule la plus traquée du MS.
Mais ici, l’intelligence artificielle ne suffit pas ! La qualité de la discrimination entre signal et bruit de fond repose surtout sur la précision des mesures du détecteur nommé calorimètre électromagnétique (Ecal) de CMS, ce détecteur étant l’instrument dédié à la reconstruction des photons. Ainsi les équipes de l’Irfu, en charge de l’étalonnage de la réponse de Ecal (stabilité dans le temps, ajustement de la réponse des 76 000 canaux composant Ecal, égalisation de la réponse en fonction de la rapidité des particules) jouent un rôle de premier plan dans le processus de calibration de Ecal et l’excellence de ses performances.
Ainsi la traque du boson de Higgs s’effectue en investiguant la masse reconstruite du système formé par la paire de photons dans chaque événement. Bien que le boson de Higgs se désintègre instantanément, il laisse une empreinte sous la forrne d'un pic à sa masse d'environ 125 GeV (Figure 2). Cette caractéristique est absente des événements de bruit de fond, ce qui permet aux physiciens de compter le nombre total de bosons de Higgs produits et d’en déduire le taux de production du boson de Higgs (nommé “section efficace”). De la largeur de ce pic dépend la qualité de la mesure, cette largeur étant directement proportionnelle aux performances en énergie du calorimètre électromagnétique.
Les physiciens de CMS ont donc pu mesurer pour la première fois la section efficace de production du boson de Higgs à une énergie dans le centre de masse du LHC de 13,6 TeV. Ces mesures dans les deux voies de désintégrations (diphotons et 4 leptons) sont présentées sur la Figure 3 où elles sont comparées aux prédictions théoriques ainsi qu’aux autres mesures de CMS réalisées à des énergies plus faibles (7, 8 et 13 TeV).
De plus, la dépendance de la section efficace de production en fonction de différentes caractéristiques des événements, comme l'impulsion, la rapidité du boson de Higgs, ainsi que le nombre de jets accompagnant le boson de Higgs, a été mesurée pour la première fois avec les données CMS à 13,6 TeV, on parle de sections efficaces différentielles. Si la production du boson de Higgs semble en général en bon accord avec les prédictions du MS, son étude détaillée pourrait révéler une vérité plus complexe. En effet, la plupart des modèles au-delà du MS, prédisent des déviations uniquement pour des caractéristiques singulières des événements, comme par exemple une grande valeure de l’impulsion transverse du boson de Higgs ou un grand nombre de jets accompagnant la production du boson de Higgs, voir la Figure 4.
Les sections efficaces différentielles mesurées sont en bon accord avec les prédictions théoriques comme le montre par exemple la Figure 4. Néanmoins la statistique est encore trop faible pour conclure quant à la plupart des modèles au-delà du MS. Une affaire à suivre…
L’équipe d’analyse, coordonnée par des membres de l’Irfu, a ainsi re-découvert le boson de Higgs et démontré que le MS reste à ce jour infaillible. Ces nouveaux résultats pavent la voie vers des mesures toujours plus précises des propriétés du boson de Higgs qui seront confrontées aux prédictions du MS. Le LHC devrait encore augmenter sa luminosité (nombre de collisions par seconde) à cette énergie de 13,6 TeV pour fournir un échantillon de bosons de Higgs inégalé. Le MS va-t-il enfin trembler?
Pour aller plus loin :
Contact :
• Constituants élémentaires et symétries fondamentales › Physique des particules auprès des collisionneurs
• Le Département de Physique des Particules (DPhP)
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