Il est bien établi que la plupart des galaxies abritent un trou noir supermassif, soupçonné depuis longtemps de freiner la formation de nouvelles étoiles. Cependant, aucune étude n’avait jusqu’à présent démontré un lien direct entre ces trous noirs et l’évolution des galaxies.
En analysant des dizaines de galaxies, des chercheurs, notamment du Département d’Astrophysique du CEA-Irfu, ont découvert que la quantité de gaz d’hydrogène, essentiel à la formation stellaire, diminue en corrélation directe avec la masse du trou noir central, bien plus qu'avec la masse de la galaxie elle-même. Ce gaz, principalement issu de l’accrétion de matière depuis l’espace intergalactique, semble être bloqué par les trous noirs, empêchant ainsi les galaxies de s’approvisionner en matière extérieure. Ce phénomène, qualifié d’« asphyxie », suggère que les trous noirs jouent un rôle central dans l’histoire des galaxies en limitant leur croissance.
Cette étude a été publié dans la prestigieuse revue Nature.
On sait que la totalité ou presque des galaxies abritent un trou noir supermassif en leur centre (cf. Figure 1). La masse de ces trous noirs présente une étonnante relation avec les étoiles des galaxies : elle est d’environ un millième de celle de l’ensemble des étoiles situées dans le bulbe galactique.
Or, les bulbes sont des régions où la formation stellaire a cessé depuis longtemps, ce qui a conduit à l’hypothèse que les trous noirs pourraient empêcher les galaxies de créer de nouvelles étoiles. Mais comment ? Jusqu’à présent, aucune preuve directe de l’influence des trous noirs supermassifs sur l’évolution des galaxies n’avait été établie.
Figure 1 : Messier 87 est une galaxie elliptique supergéante, située à environ 54 millions d'années-lumière de la Terre, connue pour son jet de plasma énergétique qui en émane (photographié ici par Hubble), et son trou noir supermassif en son centre (photographié par l’équipe de l'Event Horizon Telescope en 2019)
Crédit : galaxie M87 : NASA, ESA and the Hubble Heritage Team (STScI/AURA); trou noir M87* : EHT Collaboration
Figure 2 - Ce graphique juxtapose les illustrations des trois principaux types de galaxies (en haut) avec des photos réelles de galaxies correspondantes (en bas). Les galaxies elliptiques sont massives et dominées par un bulbes d’étoiles vieillissantes en raison de leur faible quantité de gaz d’hydrogène atomique. Les galaxies spirales, souvent moins massives, possèdent un disque riche en gaz, propice à la formation de nouvelles étoiles. Enfin, les galaxies irrégulières, petites et sans structure définie, contiennent suffisamment de gaz pour être active en formation d’étoiles.
Crédit : A. Feild (STScI)
Une équipe de chercheurs, incluant le Département d’Astrophysique de l’Irfu du CEA – Paris-Saclay, a analysé 69 galaxies pour lesquelles on dispose d’une mesure de la masse totale des étoiles, du trou noir central et du réservoir en gaz d’hydrogène atomique (HI), obtenu par des observations dans le domaine radio.
Il est bien établi que les galaxies les plus massives sont généralement de forme elliptique, dominées par des bulbes galactiques composés d’étoiles vieillissantes, tandis que les galaxies spirales, souvent moins massives, possèdent à la fois un bulbe et un disque, où se forment de nouvelles étoiles (cf. Figure 2).
Cette nouvelle étude confirme ce constat en montrant que les galaxies massives possèdent un réservoir de gaz d’hydrogène atomique plus faible, ce qui explique leur absence de disques et de régions de formation d’étoiles.
Cette étude apporte une nouvelle perspective sur l’influence des trous noirs supermassifs sur l’évolution des galaxies. En étudiant l’évolution du réservoir de gaz en fonction des types de galaxies, les chercheurs ont démontré que la diminution du gaz est fortement corrélée à la masse du trou noir, bien plus qu’à celle de la galaxie elle-même (cf. Figure 3) : Plus il est massif, moins la galaxie possède de réservoir de gaz atomique, essentiel à la formation d’étoiles. Il semble donc que ce soit le trou noir qui influence la capacité d'une galaxie à former des étoiles.
Or, ce gaz provient essentiellement de l’accrétion de matière depuis l’espace intergalactique, ce qui suggère donc que les trous noirs peuvent empêcher les galaxies de recevoir de la matière extérieure. On parle alors d’asphyxie des galaxies, ou « starvation » en anglais (cf. Figure 4), un phénomène qui pourrait être la clé de la compréhension de l’évolution galactique.
Figure 3 : Comparaison des corrélations entre la quantité de gaz d’hydrogène atomique (µHI) et la masse des étoiles de la galaxie (M_star) à gauche, et la masse du trou noir galactique (M_BH) à droite, pour l'échantillon des 69 galaxies étudiées. Les points, accompagnés des erreurs de mesure, représentent les galaxies colorées en fonction de leur type morphologique T. Les valeurs plus petites correspondant à des types précoces, et les valeurs plus grandes à des types tardifs. Les lignes oranges représentent la meilleure relation linéaire ajustée. On note que la corrélation est plus forte entre la quantité de gaz HI et la masse du trou noir galactique qu’avec la masse de la galaxie elle-même.
Crédit : Tao Wang et al. 2024
Figure 4 : Schéma illustrant comment les trous noirs (BH) régulent la quantité de gaz froid dans les galaxies.
La grande flèche indique la corrélation entre la quantité de gaz d’hydrogène atomique et la masse du trou noir galactique. L’arrière-plan coloré représente l’activité des galaxies en fonction de la masse du trou noir : à gauche, les galaxies formant des étoiles (SFGs), à droite, les galaxies passives (QGs). Pour une masse de trou noir donnée, les galaxies régule leur réservoir de gaz froid en fonction de l'énergie de liaison du halo et de la masse du trou noir. L'accrétion de gaz extragalactique augmente la quantité de gaz de la galaxie et la masse de son trou noir, ce qui libère de l'énergie et empêche le refroidissement ou l'accrétion du gaz. Ce processus réduit le réservoir de gaz et favorise la formation d'étoiles, atteignant un nouvel équilibre avec un trou noir plus massif, avec une croissance plus faible dans le cas des galaxies passives (QGs) que dans celles formant des étoiles (SFGs).
Crédit : Tao Wang et al. 2024
« Cette étude suggère que les trous noirs jouent un rôle dans l’histoire des galaxies en limitant leur croissance par un phénomène d’asphyxie, qui empêche la matière d’y tomber, et donc la formation de nouvelles étoiles », résume David Elbaz, l’un des auteurs de cette étude et directeur scientifique du Département d’Astrophysique du CEA-Irfu.
Une autre hypothèse serait que le trou noir éjecte une partie du gaz de la galaxie vers l’extérieur, mais elle est moins plausible, car on observe des galaxies dont le trou noir est actif et continuent de former des étoiles.
Contact Irfu/DAp : David Elbaz
Publication : "Black holes regulate cool gas accretion in massive galaxies" , Nature.
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