Le Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI) en cours d'observation au télescope Nicholas U. Mayall de 4 mètres au Kitt Peak National Observatory en Arizona.
Crédit: KPNO/NOIRLab/NSF/AURA/T. Slovinský
Le grand relevé de galaxies DESI, qui utilise le télescope Mayall de 4m au Kitt Peak Observatory (Arizona), a commencé ses observations en mai 2021 et vient de publier une analyse cosmologique de la formation des grandes structures de l’Univers avec sa première années de prise de données (publication et video CosmologyTalk expliquant les résultats). DESI est un spectrographe multi-fibres qui, à chaque pointé, mesure le spectre de la lumière provenant de 5000 objets astrophysiques simultanément. Les données collectées permettent de dresser une carte tridimensionnelle de l’Univers. Des méthodes statistiques sont ensuite appliquées à cette carte des galaxies (voir figure 1) pour en déduire à quelle vitesse se sont formées les grandes structures de matière de l’Univers s’organisant en ce que l’on appelle la “toile cosmique”, composée de murs, filaments et nœuds cosmiques. Pour faire cette analyse, les scientifiques s’appuient sur le fait que les décalages spectraux des galaxies sont affectés par leur vitesse particulière, laquelle est d’autant plus grande que la formation des structures est plus rapide. La collaboration DESI a ainsi mesuré la croissance des structures de l’Univers au cours des 9 derniers milliards d’années. L’analyse fine de ces données, pour laquelle le CEA a eu un rôle important, permet de confirmer la validité de la théorie de la relativité générale aux échelles cosmologiques et de mesurer l’effet des neutrinos sur la formation des structures et de placer une contrainte sur leurs masses.
DESI - Dark Energy Spectroscopic Instrument.
Depuis 2009, le DPhP est impliqué dans le relevé spectroscopique, DESI, qui étudie l'effet de l'énergie sombre sur l'expansion de l'Univers, teste la gravitation à des distances cosmologiques et mesure la somme des masses des neutrinos. Au cours d’un programme de 5 ans qui a débuté en mai 2021, DESI, mesurera le décalage vers le rouge (redshift) de plus de 40 millions de galaxies et de quasars. En combinant leur position angulaire dans le ciel à leur redshift, DESI construit une carte en 3D de l'Univers (voir figure 1) qui permet de regarder dans le passé et de dérouler l’histoire de l’expansion de l’Univers et la formation de la toile cosmique sur les 11 derniers milliards d'années, quand on estime l’âge de l’Univers à 13,8 milliards d’années.
L'instrument DESI est installé sur le télescope Mayall de 4 m au Kitt Peak National Observatory (Arizona, États-Unis). Le télescope possède un correcteur optique qui augmente son champ de vue à 8 degrés carrés. Son plan focal est équipé de 5 000 fibres optiques contrôlées par des robots pour collecter la lumière de 5 000 objets astrophysiques simultanément à chaque pointé du télescope. La lumière des objets est transmise du plan focal du télescope aux 10 spectrographes via 5 000 fibres optiques. L’Irfu a réalisé la construction des 30 cryostats de ces 10 spectrographes qui mesurent le redshift de chaque objet.
Pour construire la carte de l’Univers, DESI a choisi 5 types de “traceurs” de la distribution de matière de l’Univers dans le but d’accéder à des époques différentes de l'histoire de l’Univers, de maintenant jusqu’à 11 milliards d’années. L’univers proche est sondé par un échantillon de galaxies très brillantes (Bright Galaxy Sample, BGS). Ensuite DESI utilise des galaxies rouges lumineuses (Luminous Red Galaxies, LRG) qui sont des galaxies massives ayant terminé leur cycle de formation d’étoiles. Viennent après les galaxies à raies d’émissions (Emission Line Galaxies, ELG), galaxies plus légères et formant des étoiles qui permettent de sonder l’Univers entre 8 et 10 milliards d’années. Enfin, l’univers lointain est reconstruit grâce aux objets les plus lumineux de l’univers, les quasars. Ils sont utilisés de deux manières distinctes, soit directement par leur position comme dans le cas des galaxies, soit indirectement, en détectant les fluctuations de densité d’hydrogène le long de la ligne de visée, absorption enregistrées dans leur spectre et connues sous le nom “forets Ly-alpha”.
Figure 1: Carte à trois dimensions du ciel produite par DESI. Chaque point représente une galaxie ou un quasar dont le spectre et ainsi le décalage vers le rouge ont été mesurés et permettent de déterminer la distance à laquelle ils se trouvent. Crédit: Claire Lamman/DESI collaboration and Jenny Nuss/Berkeley Lab
Figure 2: Illustration de l'effondrement gravitationnel obtenu avec une simulation numérique d'Univers. Chaque rond jaune montre un "halo" de matière (surface proportionnelle à la masse) et sa vitesse. On observe un effet de cohérence des vitesses des halos qui tombent vers le centre de masse local. A cause de l'effet Doppler, la position apparente des galaxies le long de la ligne de visée (représentée en bleu) est modifiée. La mesure statistique de la distribution des galaxies par DESI permet ainsi de tester la gravité aux échelles cosmologiques.
Mesure du taux de croissance des structures avec les vitesses particulières des galaxies
La carte de l’Univers mesurée par DESI trace la toile cosmique : les galaxies se concentrent dans les nœuds et les filaments, lesquels sont séparés par des grands vides cosmiques. Cependant, DESI ne voit pas les galaxies à leur position réelle ! Les décalages spectraux mesurés sont en effet affectés par les vitesses particulières des galaxies (effet Doppler), ce que l’on appelle “distorsions dans l’espace des décalages spectraux”. Dans un système en effondrement gravitationnel (voir figure 2, ci contre), les galaxies les plus proches de nous, alors qu’elles tombent vers le centre de masse, ont ainsi tendance à s’éloigner et les plus lointaines à se rapprocher ; les premières apparaissent donc plus lointaines et les secondes plus proches qu’elles ne sont en réalité. La distribution des galaxies observées (i.e. dans l’espace des décalages spectraux) apparaît donc “écrasée” le long de la direction radiale (ce que l’on appelle “effet Kaiser”). Dans cette analyse, la mesure porte sur la variance des vitesses particulières des galaxies en fonction de l’échelle (appelée spectre de puissance). Cette mesure permet de tester la manière dont les grandes structures se forment dans l’Univers.
Mesure de la croissance des structures
La figure 3 illustre que la mesure de DESI, sous la forme du paramètre S8 ≡ σ8 (Ωm/0.3)1/2, combinaison de paramètres la mieux contrainte par les relevés de cisaillement gravitationnel (voir ci-dessous) et construite à partir de sigma8, la variance des fluctuations de densité dans des sphères de 8 Mpc/h, et de Omega_m, la fraction d’énergie de l’Univers sous forme de matière. La valeur mesurée par DESI est totalement compatible avec celle du précédent relevé SDSS (en bleu), et celle du fond diffus cosmologique (CMB), dans le cadre du modèle ΛCDM. Une manière alternative de mesurer la croissance des structures dans l’Univers est de sonder comment la trajectoire de la lumière émise par des sources lointaines — galaxies ou CMB — est modifiée par les perturbations de champ gravitationnel entre la source et l’observateur. Cet effet peut être mesuré de manière statistique dans l’orientation apparente des galaxies (cisaillement gravitationnel). Ces analyses donnent en moyenne une mesure de la croissance des structures plus faible (en orange sur la figure 3) que celle prédite dans le modèle LCDM en utilisant les résultats de Planck sur le CMB. En l’état, la mesure de DESI reste totalement compatible avec celle des relevés de cisaillement gravitationnel. Les futures données de DESI permettront d’affiner notre mesure, et le télescope européen Euclid mesurera très précisément S8 avec le lentillage gravitationnel faible dans les années à venir.
Figure 3: Mesure de croissance des structures (paramètre S8) par les données de DESI de première année (en bleu et en gras), comparée à celle du relevé précédent SDSS (en bleu), à celle obtenue par le CMB dans le modèle LCDM (en orange) et de relevés de lentillage gravitationnel faible (en vert). Credit: DESI Collaboration
Figure 4: Contraintes apportées par DESI dans le cadre d’un modèle où l’on permet des déviations à la relativité générale (?0, ?0), en combinaison avec les données du fond diffus cosmologique (CMB) et des relevés de lentillage gravitationnel faibles. La relativité générale (GR) correspond à ?0=0 et ?0=0. La zone hachurée exclue la région où les prédictions théoriques ne sont pas fiables. Credit: Arnaud De Mattia IRFU
Tests de la relativité générale
La relativité générale, proposée par Einstein en 1915, a été testée à une précision extrême dans le système solaire et en champ fort (pulsars binaires, ondes gravitationnelles). Cependant, il est tout à fait possible d’envisager des théories alternatives de la gravité qui dévient de la relativité générale aux échelles cosmologiques mais satisfont les mesures aux échelles stellaires, grâce à des effets d’écrantage.
Une des motivations pour investiguer des déviations à la relativité générale aux échelles cosmologiques peut être d’expliquer l’accélération de l’expansion de l’Univers, que l’on modélise actuellement en ajoutant la constante cosmologique Λ dans les équations d’Einstein. Les résultats publiés en avril 2024, obtenus par la collaboration DESI en combinant ses mesures des oscillations acoustiques de baryons avec le CMB et les supernovae (et que cette nouvelle analyse de DESI confirme), ont mis en évidence de possibles déviations à la constante cosmologique, ce qui a provoqué un regain d’intérêt pour des modifications au modèle actuel.
Pour tester des déviations à la relativité générale, il est possible de considérer des modèles théoriques spécifiques, ou des paramétrisations génériques. L’une d’elles, utilisée pour les résultats principaux, introduit un paramètre μ0 dans l’équation de Poisson (régissant la trajectoire des particules massives), et un paramètre Σ0 dans celle régissant la trajectoire de la lumière. Comme μ0 gouverne la formation des structures, il peut être contraint par DESI seul (en bleu sur la figure ci-dessous). Σ0 est mesuré par les sondes sensibles aux modifications de trajectoire de la lumière dans un champ gravitationnel : le CMB (incluant le lentillage gravitationnel faible) et les mesures de cisaillement gravitationnel obtenues avec les orientations des galaxies (DES-Y3). Les contraintes actuelles sont totalement en accord avec la relativité générale, μ0 = Σ0 = 0.
Masse des neutrinos
La masse des neutrinos a deux effets cosmologiques :
1) l’expansion de l’Univers : les neutrinos, à grand redshift (typiquement z > 200) sont ultra-relativistes, i.e. se comportent comme de la radiation. A plus bas redshift, les neutrinos participent au bilan énergétique de l’Univers comme de la matière.
2) la croissance des structures. Même dans l’Univers récent, les neutrinos (à cause de leur faible masse) se déplacent sur de grandes distances en-deçà desquelles ils amortissent la formation des structures. Cet effet est donc visible dans la distribution des galaxies (en espace des décalages spectraux) mesurée par DESI. DESI, avec un a priori sur la pente du spectre de puissance des fluctuations primordiales, pose une limite à 95% de confiance sur la somme des masses des neutrinos à 0.4 eV. En combinant DESI avec les données du CMB, cette limite descend à 0.071 eV, principalement via les contraintes additionnelles de DESI sur l’expansion de l’Univers (effet 1 ci-dessus). Cette contrainte est la plus forte et la valeur obtenue favorise la hiérarchie de masse normale pour les états propres des neutrinos. Cependant, nous venons de voir que les mesures de DESI préfèrent un univers avec une accélération de l’expansion légèrement différente d’une constante cosmologique. Dans ce cadre-là, la contrainte sur la masse des neutrinos donne Σmν < 0.2 eV à 95%. Cette contrainte est certe moins forte mais elle est posée dans le cadre d’un modèle plus général que ΛCDM.
remerciements:
DESI est soutenu par le DOE Office of Science et par le National Energy Research Scientific Computing Center, un centre de calcul du DOE Office of Science. DESI bénéficie également du soutien de la National Science Foundation des États-Unis, du Science and Technologies Facilities Council du Royaume-Uni, de la Gordon and Betty Moore Foundation, de la Heising-Simons Foundation, du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de France, du Conseil national de la science et de la technologie du Mexique, du ministère de l'économie de l'Espagne, ainsi que des institutions membres de DESI.
La collaboration DESI est honorée d'être autorisée à mener des recherches scientifiques sur l'Iolkam Du'ag (Kitt Peak), une montagne qui revêt une importance particulière pour la nation Tohono O'odham.
Publications:
DESI 2024 VII: Cosmological Constraints from the Full-Shape Modeling of Clustering Measurements
DESI 2024 V: Full-Shape Galaxy Clustering from Galaxies and Quasars
Contacts:
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