28 septembre 2004
Eclairs bleus du ciel gamma
Premières découvertes de l'expérience H.E.S.S.

L'expérience H.E.S.S. (pour "High Energy Stereoscopic System" ou "Système stéréoscopique à hautes énergies") a été officiellement inaugurée le 28 septembre 2004 en Namibie et vient de fournir ses premiers résultats. Fruit d'une large collaboration internationale [3] incluant le DAPNIA-SAP, cet instrument  est consacré à l'observation des sources de rayonnement gamma de très hautes énergies (supérieure à quelques dizaines de milliards d'électronvolt ou giga-électronvolt GeV[1]. L'exploration du ciel dans cette gamme d'énergie, inaccessible aux astrophysiciens il y a seulement deux décennies, permet de sonder l'origine du rayonnement cosmique ou d'étudier les processus d'accélération régnant dans des objets aussi variés que les vestiges de supernova ou les noyaux actifs de galaxies. Un an seulement après la mise en service du premier télescope, les premiers résultats de H.E.S.S. viennent d'être dévoilés avec la découverte d'une source très proche du centre de la Galaxie et l'étonnante émission d'un pulsar et d'une source inconnue.

 

Les éclairs bleus du ciel gamma

Contrairement à l'observation du rayonnement gamma de plus basse énergie qui requiert l'usage de satellites, la détection rayons gamma de très haute énergie est possible depuis le sol grâce à la lumière "Cerenkov" [4], un très faible éclair de lumière bleue produit lorsqu'un rayon gamma interagit avec la haute atmosphère terrestre.  L'expérience H.E.S.S. est composée d'un réseau de quatre télescopes capable de reconstituer avec précision la position des sources de hautes énergies en comparant les images très précises des éclairs Cerenkov obtenues sur chaque télescope. En incorporant les avancées techniques de ses prédécesseurs, la stéréoscopie pour l'expérience HEGRA  et l'imagerie à grain fin pour le télescope  CAT, cet instrument  bénéficie d'une sensibilité et d'une finesse d'image inégalées.

Détection d' une émission dans la direction du centre galactique.

L'expérience H.E.S.S. est idéalement située dans l'hémisphère sud pour observer le centre de notre Galaxie. Elle fait de l'étude de cette région du ciel austral une de ses priorités scientifiques. Le centre de notre Galaxie abrite un trou noir de masse supérieur à trois millions la masse de notre Soleil. Ce trou noir, situé dans une région extrêmement riche en gaz et en étoiles, devrait par aspiration de la matière environnante être un puissant émetteur en rayonnement de hautes énergies. Or les données obtenues dans le domaine des rayons X et gamma semblent montrer que cela n'est pas le cas (voir les observations du satellite INTEGRAL). La détection d'une émission gamma de très haute énergie dans cette région du ciel pourrait alors aider à la compréhension de ce qui reste encore aujourd'hui une énigme.

 
Eclairs bleus du ciel gamma

Le centre galactique tel qu'observé dans le domaine radio (à gauche) et par l'expérience H.E.S.S (à droite). Une faible émission est détectée par H.E.S.S à moins de une minute d'arc de la source radio SgrA*, considérée comme marquant l'emplacement d'un possible trou noir massif. (Crédits NRAOlVLA,H.E.S.S)

Les premiers résultats obtenus par H.E.S.S. en 2003 sur cette région du ciel confirment la présence d'une émission à moins d'une minute d'arc de la source radio SgrA*, source supposée être à la position du centre dynamique de notre Galaxie. Cette émission avait déjà été observée par une autre expérience à télescope Cerenkov, l'expérience CANGAROO située en Australie. Néanmoins l'intensité  et la décomposition spectrale de l'émission observées par H.E.S.S. sont sensiblement différentes de celles obtenues par CANGAROO. S'agit-il d'une source unique variable dans le temps ou de plusieurs objets ? Plusieurs scénarios sont actuellement évoqués comme la présence d'un jet capable d'accélérer les particules, l'existence de vestige(s) de supernova proche du centre galactique ou encore de processus plus exotiques faisant appel à la matière noire. De prochaines observations, couplées à l'étude simultanée de cette région dans d'autres domaines de longueurs d'onde devraient aider à clarifier le débat.

PSR1259-63: une prédiction théorique validée par l'expérience H.E.S.S.

PSR1259-63 est un pulsar (une étoile à neutrons en rotation rapide) orbitant autour d'une étoile massive de type Be (de masse supérieure à 10 masses solaires). Cette étoile chaude et brillante expulse de la matière de sa surface, créant  un disque dense à l'équateur. Le pulsar décrit autour de cette étoile une orbite en forme d'ellipse aplatie de période 3,4 ans. Au voisinage du périastre (point de passage le plus proche), le pulsar traverse le disque de l'étoile.  Que se passe-t-il lors de ce  passage? Ce problème a été abordé de façon théorique il y a quelques années par J. Kirk et ses collaborateurs. Ces travaux, publiés en 1999, concluaient à la possibilité d'observer lors de cette configuration un rayonnement de photons gamma de très haute énergie: lorsque le pulsar traverse le disque, les particules relativistes éjectées sous forme de vent cèdent une fraction de leur énergie sur les photons cibles de l'étoile. Ce processus physique est appelé diffusion Compton inverse.  Les calculs ont montré que le flux de photons gamma attendu pouvait être détecté par les télescopes Cerenkov de nouvelle génération.

 
Eclairs bleus du ciel gamma

Illustration décrivant le système binaire. Le pulsar PSR1259-63 décrit une orbite très elliptique de période 3.4 ans autour d'une étoile massive possédant un disque équatorial. Lorsque l'objet compact traverse le disque, les particules de son vent communiquent une fraction de leur énergie aux photons de l'étoile donnant lieu à une émission gamma de haute énergie détectée par l'expérience H.E.S.S.(crédit image NASA)

L'expérience H.E.S.S. vient d'apporter une éclatante confirmation de cette prédiction théorique en détectant en mars 2004 une émission à la position de PSR1259-63 et à la date attendue. Cette découverte a rapidement été communiquée à la communauté internationale en vue d'observation à d'autres longueurs d'onde. Les observations, dont l'analyse fine est actuellement en cours, permettront de mieux contraindre la géométrie de ce système binaire étonnant et les mécanismes physiques régissant cette émission transitoire à très haute énergie avant d'attendre le prochain passage, dans un peu moins de quatre ans.

H.E.S.S découvre une source inconnue

Les chercheurs, en analysant les données obtenues durant l'observation de PSR1259-63, se sont rendus compte avec surprise de la présence dans le champ de vue de l'instrument (5°) d'une deuxième source, inconnue jusqu'à présent. De nombreux tests ont alors été entrepris pour écarter tout type d'artefact (homogénéité du signal entre les différents télescopes, compatibilité du signal entre différentes périodes d'observations, utilisation de différentes méthodes d'analyses...). Nul doute, le signal était réel et provenait bien d'un objet céleste, situé à 0.7° au nord de PSR1259-63. De plus les chercheurs ont pu mettre en évidence grâce à la très bonne résolution angulaire de l'expérience (faculté à séparer deux objets voisins) que la source découverte était légèrement étendue. La chasse à une contrepartie à d'autres longueurs d'onde n'a pour l'instant donné aucun résultat. Cette nouvelle source, baptisée depuis HESSJ1303-63 (d'après ses coordonnées dans le ciel), fait actuellement l'objet d'une étude approfondie après l'annonce de sa découverte lors d'un colloque international qui s'est tenu à Heidelberg en Allemagne en juillet 2004.

 
Eclairs bleus du ciel gamma

Carte du champ de vue obtenue par H.E.S.S. lors des observations du pulsar PSR1259-63. Les couleurs représentent l'intensité du signal (croissante du bleu au blanc). Une source, située à 0.7° au nord de PSR1259-63 est clairement visible. Elle apparaît de même plus étendue que le pulsar. Les observations qui se sont déroulées sur plusieurs mois ont montré la persistance de HESSJ1303-63 alors que, comme attendu, l'émission en provenance du pulsar disparaissait. Ces deux source sont proches du plan de notre Galaxie, indiquée par une ligne en pointillé (crédits: H.E.S.S. collaboration)

Une autre classe d'objets visée par H.E.S.S: les noyaux actifs de galaxies

Les chercheurs travaillant sur l'expérience H.E.S.S. s'intéressent également à une autre classe d'objets, dont on sait qu'elle peut être une source intense de photons gamma de hautes énergies: les noyaux actifs de galaxies (NAG). H.E.S.S., dans le cadre de ce programme, vient de détecter PKS2155-304, une source qui constitue la deuxième source la plus lointaine observée dans ce domaine d'énergie (son décalage vers le rouge est de 0.117). Il est important de détecter des objets aussi lointains afin d'étudier l'absorption des photons de très hautes énergies sur le fond diffus infrarouge. Les observations ont montré des variations d'intensité de la source sur des échelles de temps du mois, de la nuit ou de l'heure. Ces résultats, obtenus durant la phase de validation de l'expérience, confirment le potentiel de H.E.S.S. pour aborder l'étude des objets extragalactiques.

Afin de faire le point sur les premiers résultats de l'expérience H.E.S.S., un colloque international sera organisé fin avril 2005 à l'école polytechnique située à Palaiseau , au sud de Paris.

 

Contact :  

Publication :

"Results on gamma ray emission from the Galactic Center"
Collaboration H.E.S.S, à paraître dans la revue Astronomy and Astrophysics, Octobre 2004, Volume 425 L'article est consultable à l'adresse:  astro-ph/0408145"  (fichier PDF)
Discovery of PSR 1259-63 in VHE Gamma-Rays with H.E.S.S."
The Astronomer's Telegram,  ATEL # 249
H.E.S.S. Observations of PKS 2155-304
Collaboration H.E.S.S.: F. Aharonian, et al  (astro-ph/0411582)
"First results from Southern hemisphere AGN observations obtained with the H.E.S.S. VHE gamma-ray telescopes"

A. Djannati-Atai, pour la collaboration H.E.S.S.   fichier pdf (130Ko)

 

pour en savoir plus:

voir aussi : 

 


Notes
[1] Electron-volt. L'énergie des rayons X et gamma est souvent évaluée en "électron-volt (eV)". Cette unité correspond à l'énergie communiquée à un électron de charge (e) soumis à une tension de 1 Volt. En unités du système international (SI), 1 eV correspond à  1.6 10-19 Joule. Les rayons (ou photons) de lumière visible ont une énergie d'environ 2 eV, les rayons X  de 0.1 à 511 kilo-electronvolt (keV). Le domaine des rayons gamma se situe au-delà de cette limite. Ils se mesurent en MeV (millions d'électron-volt 106eV), GeV (giga ou milliards 109eV), TeV (tera ou mille milliards 1012eV), etc.....
[2] H.E.S.S , acronyme de "High Energy Stereoscopic System", est également le nom d'un célèbre physicien autrichien, Victor Hess (1883-1964), lauréat du prix Nobel de physique en 1936 pour la découverte du rayonnement cosmique.
[3]La collaboration H.E.S.S est essentiellement franco-allemande, avec des contributions moindres de laboratoires anglais, namibiens, sud-africains, tchèques, irlandais et arméniens. En Allemagne, participent le MPIK de Heidelberg, les universités de Berlin, Bochum, Hamburg, Kiel et Landersternwarte de Heidelberg. En France, la participation de l'IN2P3 comprend le LLR (Palaiseau), le PCC (Collège de France), le LPNHE (Paris VI-VII) et le GAM (Montpellier). Les autres laboratoires français impliqués sont le DAPNIA (SAp et SPP), le CESR (Toulouse), le LAOG (Grenoble) et l'Observatoire de Paris.
[4]Effet Cerenkov: Lorsqu'une particule relativiste possède dans un milieu une vitesse supérieure à celle de la lumière dans ce même milieu (la vitesse de la lumière dans le vide restant une limite infranchissable), elle émet dans sa direction de propagation un fin pinceau ou cône de lumière bleue, dite lumière Cerenkov. Cette propriété physique est responsable de la lumière bleutée observée dans les piscines des réacteurs nucléaires servant à désactiver le combustible irradié. La découverte de cette propriété, ouvrant aujourd'hui l'accès au ciel gamma de très haute énergie, a permis au physicien soviétique  Pavel Cerenkov de partager le prix Nobel de physique en 1958.
[5]L'expérience H.E.S.S est constituée de quatre télescopes de 12 mètres de diamètre et de 15 mètres de distance focale, réparties aux coins d'un carré d 120 mètres de coté. Les miroirs sont formés d'une mosaïque de 380 petits miroirs sphériques de 60 cm de diamètre, chacun étant équipés de vérins assurant un réglage rapide et précis de l'optique. Chaque télescope est équipé en son foyer d'une caméra électronique composée de 960 tubes photomultiplicateurs, couvrant un champ de vue de 5 degrés et dont le temps de réponse est de l'ordre de la nanoseconde. La sensibilité atteinte est 10 fois supérieure aux expériences précédentes (WHIPPLEHEGRA, CAT) pour un seuil en énergie de 100 GeV. L'expérience H.E.S.S est située en NAMIBIE, sur le plateau du Gambergs (latitude 23° 16' sud, longitude 16° 30' est) à une altitude de 1800 m.
 

Rédaction: Christian Gouiffès  et Jean-Marc Bonnet-Bidaud

 
#1090 - Màj : 28/09/2004

 

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