15 novembre 2005
Simulation des premiers âges
Le vent des galaxies façonne l'Univers

Simulations

Des simulations à très haute résolution réalisées au Service d'Astrophysique (SAp) du CEA-DAPNIA, viennent de fournir une idée précise du rôle joué par la matière ordinaire (dite baryonique) dans l'évolution de l'Univers. Dans le modèle cosmologique actuelle, la majeure partie de la matière dans l'Univers est en effet une "matière noire" de nature encore inconnue, toute la matière ordinaire (gaz chaud, gaz froid, étoiles ou gaz diffus intergalactique) ne fournissant qu'une très faible composante (moins de 10%). Les simulations montrent pourtant que  par le jeu de la formation des étoiles et du gaz expulsé des galaxies, cette matière ordinaire influe notablement sur la formation des galaxies depuis le Big Bang et façonne ainsi l'Univers. Ces simulations, dont certaines incluent plus d'un demi milliard de mailles, utilisent des techniques numériques sophistiquées (Raffinement Adaptatif de Maillage) qui permettent de simuler à la fois l'Univers dans son ensemble  et les régions beaucoup plus petites où se forment les galaxies. Elles sont parmi les plus puissantes jamais réalisées pour étudier la formation des galaxies. Ces travaux sont publiés dans la revue "Astronomy & Astrophysics".

 

Les galaxies des premiers âges

Les plus puissants télescopes du monde (VLT, Keck, HST...), grâce à leur observations profondes, remontent de plus en plus loin dans l'histoire de l'Univers. Ils y dévoilent toute une variété de galaxies à l'histoire tumultueuse, marquées par d'incessantes collisions et des phases d'intense formation d'étoiles...

D'où viennent ces galaxies? Comment se sont-elles formées? On considère actuellement que les premières galaxies se sont formées à partir de grumeaux primordiaux dans la soupe du Big Bang, de petites fluctuations de densité dans le gaz chaud primordial en expansion. De telles fluctuations ont en effet été observées par le satellite WMAP dans le fond diffus cosmologique, la "première lumière" émise par l'Univers quelques 300 000 ans après le Big Bang. Il s'avère que l'Univers, à cette époque, était presque homogène. Presque seulement et c'est là le point important car de petites inhomogénéités de très faible amplitude (un millionième de la densité moyenne de l'Univers à cette époque) étaient présentes. Ces petites fluctuations de densité ont pu ensuite être amplifiées par la gravité et conduire à la formation de petit halos de matière de la taille et de la masse de certains amas d'étoiles actuels (environ un million de masses solaires) quand l'Univers n'avait que quelques centaines de millions d'années. Ces halos ont pu ensuite voir leur masse croître progressivement de fusion en fusion pour donner les vastes halos de matière dont la masse atteint environ mille milliard de fois la masse du Soleil et qui semblent envelopper les galaxies que nous connaissons à l'heure actuelle. Les petites structures précédant les plus grosses, ce modèle porte le nom de "modèle hiérarchique"

Mais dans le modèle cosmologique actuel, la majeure partie de la matière dans l'Univers est une matière "noire" de nature inconnue. Quel rôle joue alors la matière ordinaire ? Comment arrive-t-on aux galaxies pleines d'étoiles?
En réalité, comme la matière noire domine en masse, c'est elle qui, par sa gravité, joue un rôle essentiel dans la condensation du gaz chaud primordial en halos de matière. Ainsi, le gaz de matière ordinaire agit plus en spectateur au début de l'histoire de l'Univers. Il chute au centre des halos de matière noire pour former des halos de gaz chaud. Mais, les chocs entre les atomes d'hydrogène et entre les atomes d'hélium qui composent le gaz, rayonnent progressivement de l'énergie qui jusque là soutenait le gaz. Inévitablement, celui-ci s'effondre alors jusqu'à créer des disques de gaz froid. Ce gaz, petit à petit se transforme ensuite en étoiles et laisse alors place à un magnifique disque d'étoiles: une galaxie est née!

 
Simulation des premiers âges

Simulation numérique de formation des grandes structures. De gauche à droite, chaque image correspond à un agrandissement d'un facteur 4 par rapport à l'image précédente. Le cadre définit la région agrandie. En haut, la couleur correspond à la densité du gaz projetée. Dans la boite initiale de 45 millions d'années-lumière de coté, on découvre les filaments aux grandes échelles. Chaque point est en fait une galaxie. En zoomant sur 2 d'entre elles, on voit 2 disques de gaz froid. En bas, ce sont les mêmes régions, mais pour les étoiles. La densité d'étoiles est codée en intensité lumineuse tandis que l'âge des étoiles est codé par les couleurs. Les étoiles jeunes sont plus bleues et les étoiles vieilles sont plus rouges. Les galaxies obtenues montrent un disque d'étoiles jeunes et un halo d'étoiles plus âgées similaires à ce qui est observé aujourd'hui.(Crédit CEA/SAp)

Ce sont toutes ces phases successives qui ont pu être reproduites par les simulations numériques puissantes menées au SAp. Les scientifiques ont utilisé pour cela le code de calcul sur ordinateur RAMSES développé par Romain Teyssier, basé sur une méthode numérique sophistiquée appelé "Raffinement Adaptatif de Maillage". Ils reproduisent ainsi parfaitement l'apparition des objets de tailles très différentes (voir l'image).

 

Le vent des galaxies

Mais voilà, comme dans tout scénario, il y a toujours un imprévu! En effet, la quantité finale d'étoiles atteint 40% (par rapport à la masse totale de matière ordinaire) alors que les observations semblent indiquer des valeurs de l'ordre de 10% seulement! Ils semblent donc manquer un ingrédient essentiel qui diminue la formation d'étoiles. Quel est-il? L'équipe du Sap a comparé la quantité de gaz froid, de gaz chaud et d'étoiles obtenue dans les simulations aux valeurs réellement observées. Pour éviter la surproduction d'étoiles, il semble nécessaire d'invoquer une perte de matière des galaxies sous forme de "vents galactiques". Ces vents éjectent le gaz du disque froid jusque dans le halos de gaz chaud et réduisent ainsi la quantité de gaz disponible pour la formation d'étoiles. Plus précisément, si la quantité de gaz éjecté par les vents galactiques est équivalent à celui qui forme les étoiles alors, la composition baryonique de l'Univers devient en bon accord avec les observations.

 
Simulation des premiers âges

Un vent galactique dans M82 observé par le téléscope Subaru. La couleur rouge correspond au gaz chaud ionisé qui s'échappe du disque (crédits Subaru).

Mais d'où viennent ces vents, comment se forment-ils? Pour répondre à cette question, il faut revenir aux observations des galaxies proches. Certaines galaxies, comme la galaxie Messier 82, sont dans des phases de flambées de formation d'étoiles. Elles présentent souvent des gerbes de gaz chaud et ionisé en provenance du disque: ce sont des "vents galactiques". L'origine de ces vents pourrait être une explosion quasi-simultanée (en quelques centaines de millions d'années) d'un grand nombre d'étoiles. Ces explosions produiraient des bulles de gaz chaud qui monteraient jusqu'à percer la surface du disque et former les jets que l'on observe. Ensuite, en fonction de son énergie, le gaz peut soit être éjecté à tout jamais, soit retomber sur le disque pour former de magnifiques "fontaines galactiques"! Pour les galaxies les plus massives, ils se pourraient aussi que les trous noirs supermassifs supposés au centre de  nombreuses galaxies aient eux aussi leur mot à dire. Ils pourraient même produire alors des vents encore plus énergétiques dans leur phase d'activité.

Contacts : 

voir aussi : "Zoom sur la matière sombre"  (10 Juillet 2003)

 

Publication :

"The History of the Baryon Budget: Cosmic Logistics in a Hierarchical Universe"
Yann Rasera, Romain Teyssier , à paraitre dans la revue "Astronomy & Astrophysics"
pour une version électronique (fichier PDF, 1,34 Mo)

 

Rédaction: Yann Rasera et Jean-Marc Bonnet-Bidaud
 
#1189 - Màj : 15/11/2005

 

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