17 juin 2004
Le triangle des B...
L'expérience BaBar à laquelle participe un groupe de physiciens du Dapnia vient de montrer l'extraordinaire robustesse du modèle standard de la physique des particules en étudiant les désintégrations extrêmement rares de particules - les mésons B - dans lesquelles intervient un phénomène subtil lié aux propriétés de l'antimatière - la violation de CP. Cette expérience qui prend ses données auprès de l'accélérateur PEP II du SLAC en Californie a pu montrer la compatibilité des diverses mesures effectuées ces dernières années autour de la violation de CP. Ces nouveaux résultats montrent une fois de plus à quel point le modèle standard de la physique des particules est cohérent. Ils nous indiquent la voie pour mieux comprendre ce qui s'est passé au début de notre univers. 
En 1964 a été découverte une des propriétés les plus intrigantes de la physique des particules : Une des interactions fondamentales - l'interaction faible - « viole », (c'est-à-dire ne respecte pas) la « symétrie » CP. C est la symétrie qui associe son antiparticule à toute particule, alors que P lui associe son image dans un miroir. CP est le « produit » des ces deux symétries. Si, par exemple, CP n'était pas respectée à notre échelle, et dans un univers ou matière et antimatière pouvaient coexister, un jumeau droitier pourrait déboucher une bouteille avec son tire-bouchon « pour droitier » quand son jumeau d'antimatière gaucher pourtant armé d'un tire-bouchon « pour gaucher » n'y arriverait pas. Andrei Sakharov a démontré en 1967 que ce phénomène était l'un des ingrédients indispensables à la prépondérance de la matière par rapport à l'antimatière dans l'Univers. En effet, l'antimatière a disparu : bien que le big-bang ait produit matière et antimatière en quantité égale, elles se sont annihilées, ne laissant subsister qu'un léger excès qui constitue l'univers essentiellement composé de matière que nous connaissons. La violation de CP qui brise cette symétrie fournit donc un mécanisme pour créer cet excès de matière très tôt dans la formation de l'Univers, avant l'annihilation matière-antimatière. Les interactions qui sont entrées en jeu à l'époque sont certainement différentes de celles qui régissent la physique des particules telle que nous la connaissons par nos expériences. Cependant, en étudiant la violation de CP de l'interaction faible, on espère mieux comprendre la violation de CP intervenue au tout début de l'histoire de l'Univers.  
Le triangle des B...

Figure 1 : Niveau de confiance obtenu pour les coordonnées (ρ,η) du sommet du triangle d'unitarité à partir de l'étude des désintégrations B0→ρ+ρ- qui mesurent l'angle α. La probabilité que le sommet soit situé dans les zones en blanc est inférieure à 5%, tandis qu'elle est supérieure à 95% pour les zones en rouge. Les erreurs associées au sommet du triangle représentées par une croix, proviennent de l'étude de modes de désintégration des B0 qui ne font pas intervenir la violation de CP (en pratique, ces mesures contraignent seulement les cotés du triangle). On peut remarquer le très bon accord entre cette mesure de α et les mesures antérieures des cotés du triangle.

Le modèle standard prédit la possibilité d'observer cette asymétrie lors de la désintégration des B0, particules composées d'un quark d et d'un antiquark b. Pour étudier cela, une nouvelle génération d'accélérateurs et de détecteurs (BaBar et Belle) a vu le jour à SLAC (Californie) et à KEK (Japon) au cours des années 1990. Le Dapnia participe à l'expérience BaBar et s'y est notamment impliqué dans la construction du détecteur. Pour décrire la violation de CP, les physiciens des particules utilisent la « matrice unitaire de mélange des quarks », un objet mathématique dont les coefficients numériques sont liés entre eux par certaines relations - dites d'unitarité. Dans le cas des B0, une de ces relations permet de construire une triangle - lui aussi d'unitarité - dont la position du sommet et les angles α, β et γ sont accessibles par les mesures expérimentales (voir figure 2). Si ce fameux triangle n'est pas « aplati », alors on saura sans ambiguïté qu'il existe une violation de CP dans la désintégration des B0. Et, de plus, ce triangle serait impossible à construire si certaines mesures expérimentales étaient aberrantes ou si le modèle standard était incohérent ou incomplet. Dès l'été 2001, l'expérience BaBar a pu mesurer l'angle β et mettre en évidence la violation de CP dans certains types de désintégrations des B0 (mode J/ΨKS ). Depuis, le nombre d'événements B0 enregistrés a été multiplié par quatre, permettant ainsi d'accéder à la mesure des autres angles à travers des modes de désintégrations de B0 beaucoup plus rares. C'est ainsi que la collaboration BaBar vient de présenter pour la première fois une mesure de l'angle α du triangle d'unitarité, analyse à laquelle ont activement participé les physiciens des particules du Dapnia. Ce résultat a été obtenu en étudiant un mode très rare de désintégration du B0 (mode ρ+ρ-) qui a environ 30 chances sur un million de se présenter. Avec seulement 314 désintégrations reconstruites, on a mesuré α = 96° ± 17°. Ce premier résultat permet déjà de déterminer une zone préférentielle pour le sommet du triangle (figure 1).  
La même équipe a complété ces mesures en étudiant notamment un autre mode de désintégration du B0 (mode D*+π-) ; ils ont ainsi pu avoir indirectement accès à l'angle γ. Grâce à ces trois mesures « angulaires », le triangle d'unitarité, dont la base est, par convention, de longueur 1, est donc maintenant bien défini. C'est ce qu'on voit sur la figure 2 où la zone colorée montre le domaine préférentiel très précis de la position du sommet du triangle ainsi obtenu. Pour aller plus loin, on peut comparer le triangle obtenu avec ces trois mesures à celles des côtés provenant de l'étude par d'autres exépriences de modes de désintégration dans lesquels n'intervient pas la violation de CP. Le très bon accord entre la position du sommet du triangle donnée par la mesure des angles (zone colorée de la figure 2) et celle issue de la mesure des côtés (croix de la même figure) est remarquable et montre l'extraordinaire robustesse de la description par le modèle standard des lois qui régissent les particules élémentaires. Le modèle standard de la physique des particules n'est donc toujours pas mis en défaut et fournit encore une très bonne représentation de la violation de CP dans le domaine des quarks. Depuis l'automne dernier, l'expérience BaBar a recommencé à enregistrer des données. L'été prochain, deux fois plus d'événements seront disponibles, permettant ainsi de mesurer encore plus précisément les angles du triangle d'unitarité, et de pousser le modèle standard dans ses derniers retranchements ! Pour en savoir plus :  
Le triangle des B...

Figure 2 : Niveau de confiance obtenu pour les coordonnées (ρ,η) du sommet du triangle d'unitarité à partir de mesures exclusivement relatives aux angles (sin(2β) avec B0→J/ΨKS, cos(2β) avec B0→J/ΨK*0, sin(2β+γ) avec B0→D*+π- et enfin α avec B0→ρ+ρ-). Les erreurs associées au sommet du triangle proviennent de l'étude de modes de désintégration des B0 qui ne font pas intervenir la violation de CP (en pratique, ces mesures contraignent seulement les cotés du triangle). Le très bon accord entre ces mesures des angles du triangle et les mesures des cotés du triangle constitue une validation fondamentale du modèle standard dans le secteur de quarks.

#221 - Màj : 17/06/2004

 

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