Au printemps 2003, le centre galactique a été observé par le satellite INTEGRAL dans le cadre du programme GCDE ou Galactic Centre Deep Exposure (Exposition Profonde sur le Centre Galactique), durant 19 orbites du satellite, du 3 mars au 30 avril 2003, accumulant 1,6 millions de secondes d'observations. Le télescope SPI a clairement détecté une forte émission à une énergie moyenne de 511 keV, en provenance d'une région étendue autour du centre de la Galaxie. Cette "raie" est la caractéristique de nombreuses annihilations "positon-électron". Une fois corrigée des effets instrumentaux, elle est très étroite, avec une largeur d'environ 2 keV (Figure 1).
Cette raie en provenance du centre de la Galaxie a été découverte pour la première fois en 1978 par des instruments à bord de ballons stratosphériques. Elle a longtemps été considérée comme variable jusqu'à ce qu'en 1997 le satellite Compton Gamma Ray Observatory (CGRO) mesure plus précisément son intensité et confirme qu'elle provenait d'une région d'environ 12 degrés autour du centre de la Galaxie.
Figure 1: Spectre obtenu par le spectromètre SPI dans la région centrale de la Galaxie. La raie d'annihilation à 511 keV est clairement détectée. La largeur apparente de la raie est due à la résolution instrumentale. La largeur réelle, une fois corrigée, est beaucoup plus faible, environ 3 keV (crédit équipe SPI/CESR).
Les capacités d'imagerie du spectromètre SPI permettent de construire pour la première fois une véritable carte des régions centrales de notre Galaxie à l'énergie particulière de 511 keV. Le spectromètre SPI comporte en effet une mosaïque hexagonale de 19 détecteurs semi-conducteurs de Germanium qui fournissent donc une image en 19 points d'une région du ciel d'environ 16 degrés de champ de vue. Dans le cadre de l'observation du centre galactique, l'instrument a été pointé à des positions différentes couvrant une région totale de la Galaxie de 60 degrés en longitude et 20 degrés en latitude galactique. Pour construire l'image finale, pas moins de 1199 pointés ont été nécessaires, chacun représentant en moyenne 1440 secondes d'exposition.
L'image résultante est la première carte précise du centre galactique à cette énergie. Elle montre une émission répartie de façon homogène dans le bulbe de la Galaxie, région centrale ou le disque devient plus épais. Elle est de forme assez précisément sphérique avec une dimension d'environ 20°. Cette distribution de l'émission démontre que les particules d'antimatière "positons" sont largement réparties et ne proviennent pas d'une source ponctuelle unique située au centre, une hypothèse qui a été longtemps évoquée. Le flux mesuré est considérable et correspond à un taux de production de 1043positons par seconde.
Figure 2: La carte des régions centrales de la Galaxie à l'énergie de 511 KeV, reconstruite à partie des données de l'instrument SPI.
La partie supérieure de l'image, représente la région d'émission de la raie à 511 keV (cercle en pointillé rouge de diamètre 10°), superposée à une vue infrarouge de la Galaxie.
La partie inférieure montre la distribution reconstruite de l'intensité de la raie à 511keV dans cette région centrale (graduée en décroissant du rouge au bleu) et décrite par une courbe en cloche dite "gaussienne" d'une largeur à mi-hauteur de 9°.
Crédits Collaboration SPI 2003 (avec l'aimable autorisation du CESR Toulouse)
L'origine de ces positons est encore ignorée. De nombreuses sites peuvent produire ces particules d'antimatière parmi lesquelles les étoiles compactes (étoiles à neutrons, trous noirs), les explosions d'étoiles (novae, supernovae), les sursauts gamma mais aussi l'interaction des particules du rayonnement cosmique avec le gaz de la galaxie ou les étoiles géantes lorsqu'elles fabriquent des éléments radioactifs qui se désintègrent. Parmi toutes les hypothèses actuellement discutées, deux sont particulièrement retenues: une origine radioactive (désintégration de noyaux avec émission de positons) ou une origine exotique (annihilation d'un certain type de matière noire).
Dans la première, les explosions d'étoiles massives (supernovae) se soldent par l'expulsion de noyaux radioactifs, émetteurs de positons, dont le principal est le Cobalt-56. Une fois émis, les positons se propagent plus ou moins loin dans le milieu interstellaire avant de s'annihiler. Dans ce scénario, la carte produite par SPI signerait la contribution de plusieurs supernovae ayant explosé dans les régions centrales il y a 10 millions d'années et dont nous observons aujourd'hui indirectement les cendres radioactives. Néanmoins pour expliquer le flux observé il est nécessaire d'injecter par explosion un nombre considérable de positons car seule une très faible fraction peut survivre suffisamment loin. Un seul type très particulier d'explosion d'étoile pourrait diffuser suffisamment de positons, ce sont les hypernovae. Ces explosions très particulières, nouvellement découvertes, signalent la disparition d'étoiles sans doute très massives, sont souvent asymétriques accompagnées de jets et parfois de sursauts gamma, très brèves bouffées de rayonnement gamma. Selon les équipes d'INTEGRAL, les hypernovae peuvent ainsi injecter 25 fois plus de positons que les supernovae et il suffirait d'une hypernova tous les 5000 ans dans la région du centre de la Galaxie pour produire toute l'antimatière, observée sous forme de positons par INTEGRAL.
La deuxième piste actuellement explorée fait appel à une nouvelle physique : celle de la matière noire. Cette matière invisible et massive est indispensable pour expliquer les mouvements des étoiles dans la Galaxie. L'antimatière à la source de l'émission à 511 keV observée pourrait résulter de l'annihilation de certaines de ces particules exotiques. Celles-ci ne sont pas détectables sur Terre et dans l'Univers en général mais peuvent le devenir si elles sont légèrement instables et se désintègrent par annihilation produisant des paires d'électrons et de positons. Ces particules seraient massivement présentes dans le bulbe galactique et distribuées de façon plus symétrique que la matière ordinaire. Elles permettraient en particulier d'expliquer plus facilement pourquoi des positons sont produits dans une région aussi sphérique, parfois loin du disque de la Galaxie..
Notes
[1] Electron-volt. L'énergie des rayons X et gamma est souvent évaluée en "électron-volt (eV)". Cette unité correspond à l'énergie communiqué à un électron de charge (e) soumis à une tension de 1 Volt. En unités su système international (SI), 1 eV correspond à 1.6 10-19 Joule. Les rayons (ou photons) de lumière visible ont une énergie d'environ 2 eV, les rayons X dits "mous" de 0.1 à 10 kilo-electronvolt (keV), ceux dits durs de 10 à environ 500 keV. Par convention, la limite entre rayons X et rayons gamma est située à 511keV, énergie à partir de laquelle deux photons peuvent se convertir en matière en produisant une paire électron-positon.
[2] Le positon est l'anti-électron, la particule d'anti-matière correspondant à l'électron. Chaque particule a en effet son anti-particule qui a des caractéristiques symétriques et a pour propriété de s'annihiler totalement au contact de la particule paire. Lors d'une rencontre "positon-électron", l'ensemble de la masse des deux particules est transformée en énergie, sous forme de deux photons ou particule de lumière ayant chacun une énergie de 511 keV. L'énergie de 511 keV (ou 8.2 10-14 Joule) est l'énergie de masse de l'électron calculée par la formule E=mc2. L'annihilation "positon-électron" se traduit donc par un excès de lumière d'énergie très précisément 511 keV, appelé aussi "raie d'annihilation".
[3] Les Hypernovae sont des explosions d'étoiles particulières, sans doute plus lumineuses que les "supernovae". Nouvellement découvertes, elles signalent la disparition d'étoiles sans doute très massives, sont souvent asymétriques accompagnées de jets et parfois de sursauts gamma, très brèves bouffées de rayonnement gamma.
[4] La matière noire est une matière de nature encore inconnue n'interagissant pas avec la matière ordinaire. Invisible, elle ne participe que par son attraction gravitationnelle à la dynamique des galaxies et des amas de galaxies.
Publications :
"Early SPI/INTEGRAL measurements of galactic 511 keV line emission from positron annihilation"
P. Jean, J. Knoedlseder, V. Lonjou, M. Allain, J.-P. Roques, G.K. Skinner, B.J. Teegarden, G. Vedrenne, P. von Ballmoos, B. Cordier, P. Caraveo, R. Diehl, Ph. Durouchoux, P. Mandrou, J. Matteson, N. Gehrels, V. Schoenfelder, A.W. Strong, P. Ubertini, G. Weidenspointner, C. Winkler, 2003, Astronomy and Astrophysics, 407 L55 (astro-ph/0309484)
"Early SPI/INTEGRAL contraints on the morphology of the 511 keV line emission in the 4th galactic quadrant"
J. Knodlseder, V. Lonjou, P. Jean, M. Allain, P. Mandrou, J.-P. Roques, G.K. Skinner, G. Vedrenne, P. von Ballmoos, G. Weidenspointner, P. Caraveo, B. Cordier, V. Schonfelder, B.J. Teegarden, numéro spécial de la revue Astronomy ans Astrophysics, Novembre 2003 (astro-ph/0309442)
"Hypernovae/GRB in the Galactic Center as possible sources of Galactic Positrons",
M. Cassé, B. Cordier, J. Paul, S. Schanne , 2003, soumis à Astrophysical Journal Letters, (astro-ph/0309824)
"MeV Dark Matter: Has It Been Detected?"
Celine Boehm, Dan Hooper, Joseph Silk, Michel Cassé, Jacques Paul, soumis à Physical Review Letters, 2003, (astro-ph/0309686)
voir aussi "SPI en chiffres" (18 décembre 2002)
• Structure et évolution de l'Univers › Phénomènes cosmiques de haute énergie et astroparticules