Grâce à la caméra ISOCAM travaillant à des longueurs d'onde supérieures à 10 microns, les scientifiques du SAp et leurs collègues ont découvert que les galaxies de l'amas Abell 1689 abritaient des zones de formation stellaires partiellement voire totalement enfouies dans la poussière. Ainsi, pour les galaxies détectées à 15 microns, le taux de formation d'étoiles total serait en moyenne dix fois plus fort que celui estimé à partir des indicateurs traditionnellement utilisés dans les bandes optiques. Comparées à Abell 1689, les galaxies présentes dans les amas les plus proches produisent des étoiles à des rythmes beaucoup plus modérés et surtout de manière bien plus 'visible' que dans l'amas lointain. La présence de pouponnières stellaires cachées dans les galaxies d'amas distants, si elle se confirme, est le reflet d'un changement plus général des propriétés des amas avec le temps. Cette évolution est connue depuis le milieu des années quatre-vingt comme l'effet Butcher-Oemler, du nom de ces découvreurs. Les chercheurs de Saclay et leurs collaborateurs viennent de le mettre en évidence pour la première fois dans l'infarouge.
Les étoiles naissent, vivent et meurent: c'est là un vieil acquis de l'astronomie stellaire. Or depuis une trentaine d'années, les astronomes ont observé qu'à leur échelle, les galaxies aussi se forment, se transforment et peuvent être détruites. Mais si pour les étoiles, l'évolution résulte surtout de processus internes - l'épuisement progressif des réserves de gaz qui alimentent les réactions nucléaires -, l'évolution des galaxies est pour l'essentiel catalysée par des événements qui leur sont extérieurs. Parmi les aléas qui marquent la vie des galaxies figurent les collisions: rencontres et fusions lentes entre galaxies, aux effets dévastateurs sur leur morphologie, collisions rapides et répétées qui entrainent une évolution séculaire ('harcèlement galactique'), choc subit par les nuages de gaz de galaxies plongées à haute vitesse dans un milieu intergalactique dense.
Or ces effets dit d'environnement sont exacerbés dans les amas riches à cause des densités élevées qui y règnent. A une accumulation exceptionnelle de galaxies s'y ajoute une concentration élevée en gaz chaud intergalactique fortement émetteur de rayons X. Autant de facteurs favorisant une évolution plus rapide des galaxies situées à l'intérieur qu'à l'extérieur des amas ("dans le champ"). Mais les amas eux-même sont des structures dynamiques qui se consistuent et se transforment progressivement. Ainsi, parce-que leurs caractéristiques globales évoluent et qu'en particulier leur densité s'accroit, l'impact des effets d'environnement sur les propriétés des galaxies d'amas augmente avec le temps.
L'effet Butcher-Oemler à proprement parler correspond à une augmentation de la proportion de galaxies bleues dans les amas lorsque leur décalage vers le rouge augmente. Deux autres effets d'évolution ont été aussi mis en évidence: une augmentation de la proportion de galaxies spirales (effet Butcher-Oemler morphologique) et de galaxies dont le spectre optique présente des indices de formation stellaire active ou qui s'est éteinte depuis peu (effet Butcher-Oemler spectroscopique). Selon une vision simpliste de ces effets, les amas proches, donc vieux, seraient constitués essentiellement de galaxies elliptiques poussives peu disposées à former des étoiles, tandis que les amas distants, jeunes, contiendraient surtout des spirales vivaces, riches en gaz, qui viendraient d'y tomber et n'auraient donc pas encore subit son influence. Le milieu intra-amas ainsi que les collisions galactiques contribueraient à terme à ralentir voire stopper brutalement la formation stellaire dans les galaxies nouvellement arrivées en les dépouillant de leurs réserves de gaz. Une question toutefois anime le microcosme des spécialistes en amas lointains: avant d´être asphyxiées, les galaxies prises au piège des amas ne connaissent-elles pas un dernier sursaut de formation stellaire qui les épuiserait rapidement ? On imagine en effet - et certains modèles le prédisent - que le choc de leur milieu interstellaire contre le gaz intra-amas produit des instabilités propices à l'effondrement de nuages de gaz et donc à la naissance d'étoiles. Or l'étude détaillée de galaxies pertubées dans le champ indique qu'une telle activité se déroule souvent derrière un voile pudique de poussières que seuls des télescopes 'X', infrarouge ou radio peuvent percer.
Les astronomes de Saclay et leurs collaborateurs ont scruté cette formation stellaire enfouie à travers la fenêtre de l'infrarouge moyen. Utilisant la caméra embarquée ISOCAM , en grande partie développée à Saclay, ils ont cartographié aux longueurs d'onde 7 et 15 microns une dizaine d'amas riches de galaxies jusqu'à z = 0.9.
A ce décalage vers le rouge figurent les amas parmi les plus distants et donc les plus jeunes connus aujourd'hui. Le dépouillement des données a demandé plusieurs mois de travail et le développement de nouvelles techniques d'analyse.
Les cartes infrarouges qui résultent de ces efforts, comme celle présentée ci-dessus, peuvent sembler bien peu photogéniques, comparées par exemple aux images spectaculaires produites par le télescope spatial Hubble, mais dans leur domaine, elles sont à ce jour les plus profondes et les plus précises dont on dispose. Grâce à l'excellente sensibilité des détecteurs de ISOCAM, une centaine de galaxies lumineuses dans l'infrarouge a été détectée en direction de chaque amas; c'est bien plus que ce que l'on prévoyait.
Encore fallait il vérifier qu'elles appartenaient bien à l'amas. Commencait alors un non moins laborieux travail d'identification et de caractérisation des sources infrarouges. La relative bonne précision astrométrique de ISOCAM a facilité le repérerage de leur contre-partie sur des images optiques piochées dans diverses archives d'observatoires tels que l'ESO et Hubble. Leur distance a été ensuite déterminée lors de plusieurs missions d'observations effectuée au Chili et à Hawaii. Les télescopes du NTT ( La Silla ), du VLT ( Paranal ) et du CFH ( Mauna Kea ) ont été entre autres mis à contribution. La technique employée - la spectroscopie multi-fentes - permet d'obtenir en une seule exposition les spectres d'un trentaine d'objets. Ceux-ci fournissent non seulement la mesure du décalage vers le rouge - un indicateur de distance indispensable pour savoir si une source appartient à l'amas ou est au contraire un objet de champ vu en projection -, mais aussi de précieux renseignements sur la nature des galaxies émettrices en IR. A t'on affaire à des galaxies perturbées sous le coup d'une flambée de formation d'étoiles, à des spirales plus tranquilles, voire même à des elliptiques passives en apparence ?
Les premiers résultats de cette analyse concernant l'amas le plus proche de l'échantillon, Abell 1689, viennent d'être publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics (*).
L'amas Abell 1689 est bien connu des cosmologistes.
Massif et riche en galaxies, il a été l'objet de nombreuses études et fait même office de télescope gravitationnel géant pour l'observations de galaxies distantes.
En effet, il agit comme une lentille gravitationnelle, amplifiant la lumière de sources d'arrière plan qui apparaissent sur les images profondes de l'amas comme des arcs.
Quelques-uns sont visibles sur l'image ci-contre.
Mais ce sont en grande majorité des galaxies de l'amas qu'a détecté ISOCAM. Sélectionnées dans l'infrarouge, ce sont des objets poussiéreux; essentiellement des spirales dont certaines montrent des signes d'interaction, comme l'illustre la figure ci-contre, mais aussi bizarrement quelques galaxies elliptiques ou lenticulaires pourtant censés contenir peu de poussières.
Leurs spectres optiques présentent pour la plupart des raies d'émission d'hydrogène et d'oxygène ionisé caractéristiques d'une activité de formation stellaire très ténue. L'absence de ces raies dans les spectres de quelques galaxies laisserait supposer que celles-ci sont désormais stériles. Et pourtant, leur flux élevé à 15 microns, dû au chauffage de la poussière par des étoiles jeunes, indique clairement que toutes abritent des pouponnières d'étoiles encore très actives. Ainsi au moins 90% de la formation stellaire dans les galaxies ISOCAM de Abell 1689 est cachée à l'intérieur de cocons de poussières.
Alors, les galaxies qui tombent dans les amas sont elles asphyxiées en perdant ou consommant de manière intempestive leurs réserves de gaz ? Il est encore trop tôt pour répondre à cette question. Les observations ISOCAM de Abell 1689 ont montré que des galaxies de cet amas forment des étoiles à un rythme encore relativement élevé, mais de manière discrète. L'exploitation des données acquises par la caméra infrarouge sur les autres amas, plus distants et donc a priori plus intéressants, se poursuit.
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Bibliographie
(*) "Hidden star-formation in the cluster of galaxies Abell 1689"
Duc P.-A., Poggianti B.M., Fadda D., Elbaz D., Flores H., Chanial P., Franceschini A., Moorwood A. and Cesarsky C., 2002, A&A 382, 60 (article in PDF format 840kb)
"An excess of mid-IR luminous galaxies in Abell 1689 ?"
Fadda D., Elbaz D., Duc P.-A., Flores H., Franceschini A. and Cesarsky C., 2000, A&A 361, 827
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire