Tout comme la sismologie étudie les tremblements de Terre, l'héliosismologie étudie les tremblements du Soleil. Comme presque toutes les étoiles, la surface du Soleil est animée de mouvements d'oscillations. Ces pulsations naturelles et permanentes engendrent des ondes sonores ou de gravité qui se propagent dans l'étoile et permettent de l' étudier de la surface au coeur.
La source des ondes est variable selon les étoiles et peut être la fusion thermonucléaire du coeur ou l'interaction plus superficielle entre la matière et la lumière. Dans le cas du Soleil, le phénomène de base, très ténu, est lié à la turbulence de surface. Comme des gouttes de pluie sur la peau d'un tambour, des millions de granules de gaz portés à une température de plusieurs milliers de degrés s'agitent et induisent des ondes qui se propagent dans cette énorme boule gazeuse sphérique qu'est le Soleil. Certaines ondes, plutôt « tangentielles », restent près de la surface et se réfléchissent en de nombreux points de la sphère. D'autres, plus « radiales » atteignent le centre du Soleil. Des millions de « modes » de vibrations différentes sont engendrés à chaque instant. L'étude de ces modes nous renseigne sur les propriétés de la matière stellaire que nous sommes actuellement incapable de reconstituer en laboratoire car les températures atteignent des dizaines de millions de degrés et les densités peuvent atteindre quelques centaines de fois celle de l'eau. Cette exploration de la structure interne des étoiles qui rappelle l'échographie ou le sonar, ne les perturbe pas puisqu'elle mesure à distance un phénomène naturel. Mais ces techniques sont délicates et requièrent minutie et astuce.
Il existe deux moyens d'investigation de ces modes. Le premier consiste à mesurer simplement les variations de la luminosité des étoiles qui sont engendrées par les ondes acoustiques. Ces variations sont de l'ordre du millionnième. Cette méthode simple est utilisée à bord du satellite SOHO par l'instrument VIRGO et va se généraliser à l'étude d'autres étoiles. Le satellite EDDINGTON de l'Agence Spatiale Européenne étudiera ainsi 50 000 étoiles et pense découvrir une centaine de planètes « habitables » entre 2007- 2010.
La deuxième technique, plus sophistiquée, permet d'atteindre l'ensemble des modes d'oscillations, par le déplacement induit par la superposition de tous les modes présents à chaque instant, en mesurant la variation de notre vitesse (ou de celle du satellite) par rapport à la surface du soleil, afin d'en mesurer les mouvements ténus. Le phénomène utilisé, bien connu des astronomes, est le « décalage Döppler » d'un certain nombre de raies d'absorption d'éléments chimiques. Ces raies se forment dans les 500 km situés au dessus de la photosphère (limite visible de notre Soleil) et permettent de mesurer les quantités d'éléments peu abondants dans les étoiles : fer, nickel, potassium ou sodium, mais aussi de mesurer les déplacements des objets cosmiques.
Avec SOHO, on pousse plus loin la technique pour mesurer le spectre complet des oscillations en atteignant une précision « de laboratoire » puisqu'elle repose sur des propriétés des atomes.. On constate que la fréquence des modes détectés peut être obtenue avec une précision qui dépend du temps d'observation. Après un an d'intégration, la précison est meilleure que 10-4.
De plus, les amplitudes détectées sont d'une extrême petitesse.Mesurer à la surface du Soleil des vitesses d'oscillations de quelques mm/s, avec une période d'environ 2 heures, soit un déplacement de 3,6 mètres de la surface du Soleil (environ 5 milliardièmes du rayon du Soleil) revient à regarder trembler une cerise sur la Lune ! C'est le prix à payer pour scruter la physique interne du Soleil. L'instrument d'imagerie américain MDI mesure les ondes les plus superficielles (déformation locale), l'instrument GOLF détecte les modes les plus pénétrants (observation globale).
La vitesse du son dans le Soleil augmente de la surface (7 km/s) au centre (500 km/s) et donc le temps de propagation dans le coeur nucléaire n'est que 5% du temps de parcours total. Certains en ont déduit que ce type de procédé ne permettrait jamais d'apprendre quoi que ce soit sur la physique du coeur... Pendant 15 ans au sol, les astronomes se sont organisés en réseaux de quatre à cinq instruments répartis autour du globe terrestre pour suivre le Soleil et éviter le cycle jour-nuit qui perturbe les données et écrase le signal déjà faible. Puis ils se sont acharnés à construire un instrument spatial et à comprendre toutes les facéties du signal pour réellement garantir une telle précision qui permet d'étudier les processus physiques au niveau de quelques %.
Bien qu'on puisse observer le spectre des oscillations acoustiques solaires depuis n'importe quel point du globe, il est bien difficile d'en tirer des conclusions sur la physique stellaire. En effet, les modes visibles depuis le sol sont peu instructifs sur le coeur du Soleil, car ils se réfléchissent dans la région très turbulente de la surface et sont donc très perturbés par cette région. La quête des oscillations de basses amplitudes (les seules qui nous permettent de sonder le coeur où se produisent les réactions nucléaires) est la quête des modes se réfléchissant dans une région plus calme du Soleil et mieux maîtrisée par les modèles théoriques. Pour cela, il faut construire un instrument très stable, sans perturbation périodique supérieure à 10-6 - 10-5 du signal observé, et le placer dans un environnement stable dans les gammes de fréquences intéressantes (de 0.1 mHz à 5 mHz). L'espace, au point de Lagrange situé entre le Soleil et la Terre, nous garantit cette qualité.
Avant le lancement de SOHO, l'héliosismologie avait déjà apporté une moisson de résultats étonnants. Résumons les. Le premier test fut de vérifier si les hypothèses de l'évolution stellaire permettent de prédire raisonnablement la structure du Soleil actuel. La modélisation rend compte des phénomènes dominants qui régissent les grandes étapes de l'évolution: gravité, interactions forte et faible, transport d'énergie... Elle utilise aussi des informations d'ensemble sur la masse, le rayon, l'âge et les abondances détaillées des éléments dans la photosphère. Le calcul est extrêmement sophistiqué puisqu'il inclut les connaissances les plus complètes en physique atomique, physique nucléaire et physique des plasmas accumulées depuis les années 1920.
L'analyse physique des premières mesures a révélé:
La transition exacte entre transport d'énergie par radiation puis par convection (transport de l'énergie par l'interaction des photons avec la matière puis transport d'énergie par vastes mouvements avec homogénéité de composition).
Ces informations de qualité ont mis en évidence toutes les possibilités de cette discipline qui transforme le Soleil en un véritable laboratoire de physique atomique et subatomique
Mais il est apparu que, malgré ses succès, le modèle est trop simple pour expliquer la dynamique des phénomènes solaires. Cette constatation ne remet pas en cause les lois physiques, mais permet d'introduire des processus observés sur d'autres étoiles (phénomènes majeurs) alors qu'ils sont trop ténus pour avoir été déjà considérés dans les modèles solaires. C'est ainsi que l'on a introduit la lente migration gravitationnelle des éléments au cours de la vie d'une étoile (10% dans le cas du Soleil), abandonnant l'hypothèse que les abondances de surface sont représentatives des abondances initiales présentes lors de la formation de l'astre. Ceci permet de mieux comprendre l'évolution des étoiles les plus anciennes, celles des amas globulaires, et aide à la datation de notre Univers...
Figure a): Différence de vitesse du son entre le soleil vrai et un modèle solaire dit "standard", en fonction de la profondeur (exprimée en rayons solaires). On constate que l'erreur sur la vitesse du son est faible avec les modèles solaires actuels, ce qui prouve la validité globale de ces modèles.
Toutefois ces différences permettent de qualifier certains processus physiques avec des précisions de laboratoire et d'introduire des effets dynamiques inatteignables précédemment.
Figure b): Différence de densité en fonction de la profondeur entre le soleil vrai et le même modèle solaire.
SOHO, satellite de l'Agence Spatiale Européenne (ESA), première pierre angulaire de l'ESA, horizon 2000, est une sonde pointant en permanence vers le Soleil avec une remarquable stabilité, et lancée en décembre 1995 à 1,5 millions de kilomètres de la Terre au point de Lagrange L1 (point où les attractions gravitationnelles du Soleil et de la Terre se compensent exactement) afin d'étudier le Soleil.. Après deux ans d'observations régulières, SOHO nous a fait une grosse frayeur au cours de l'été 1998, en n'émettant plus pendant plusieurs mois faute d'avoir conservé la bonne orientation de ses panneaux solaires, mais les scientifiques des agences américaines et européennes se sont mobilisés avec succès pour le retrouver et le restabiliser..
La campagne d'observation doit durer entre 8 à 10 ans, pour couvrir plus d'un demi cycle solaire. Grâce à GOLF et MDI (imageur Döppler américain) nous accédons au profil de la vitesse du son, de la densité et de la rotation à différentes latitudes. Il apparaît aujourd'hui évident que la région dite « tachocline », région où la rotation change brutalement pour passer de la rotation différentielle observée à la surface à la rotation quasi rigide du coeur solaire est une région très intéressante. Cela permet de passer d'une vision purement statique d'une étoile à une vision beaucoup plus dynamique où deux grands oubliés de l'évolution stellaire, la rotation et le champ magnétique, commencent à révéler leurs mystères (voir Encyclopedia of Astronomy and Astrophysics, Institute of Physics, paru en Janvier 2001).
En effet, même si l'on sait que tous les systèmes astronomiques tournent plus ou moins vite et que le champ magnétique joue un rôle crucial dans l'histoire de l'Univers, leur manifestation dans les grandes étapes d'évolution stellaire était exclue des équations de structure, rendant difficile l'étude unifiée des différentes étapes de la vie des étoiles. C'est la manifestation et la compréhension fine de l'effet dynamo qui sont recherchées ici et qui vont permettre d'avancer sur les phases initiales et finales...
Aujourd'hui, l'héliosismologie met ces phénomènes en évidence et montre qu'ils induisent certaines instabilités, sources de turbulence et de mélange, dans les couches les plus externes mais aussi à la base de la zone convective. Ces mélanges entraînent la destruction du lithium, élément dont la faible abondance en surface était un réel problème. En introduisant cette instabilité et sa dépendance temporelle probable, les astrophysiciens supposent que le champ magnétique de surface est créé à la base de la zone convective, par effet dynamo, puis transporté via cette zone convective jusqu'à la surface en engendrant des cycles magnétiques. Ces cycles se manifestent par une variation de l'activité solaire d' une période d'environ 11 ans. D'autres instruments à bord de SOHO, permettent de suivre les arcs de matière à l'extérieur du Soleil et l'on aimerait prévoir leurs éruptions suffisamment tôt.. Car ce phénomène observé de longue date pourrait avoir des incidences sur Terre : induire des périodes glaciaires, modifier le climat. Ce qui est sûr, c'est qu'il perturbe la vie en altitude ainsi que les communications. C'est pourquoi ce phénomène doit être de mieux en mieux maîtrisé. Vivre avec une étoile et grâce aux étoiles n'est pas forcément aussi paisible qu'il était apparu au siècle passé, d'où l'idée d'adjoindre à SOHO, les quatre satellites CLUSTER de surveillance de la terre.
Figure de gauche: fréquence de rotation solaire en fonction de la profondeur (exprimée en rayons solaires) et de la latitude. On observe une rotation différentielle à la surface et dans la zone convective. A la base de cette zone convective, vers 0.7 rayons solaires, la rotation devient uniforme (rotation solide).
Figure de droite: couches concentriques montrant les variations de la vitesse du son dans l'intérieur solaire (vue en coupe). En rouge, les couches où les ondes se propagent plus rapidement que prévu par la théorie (ce qui implique une température plus élevée). En bleu, les zones où les ondes se propagent moins rapidement (température plus faible).
Une autre conséquence du sondage profond des mesures sismiques à bord de SOHO est l'étude fine du coeur nucléaire solaire. Grâce à la centaine de modes acoustiques pénétrant dans cette région, nous validons notre vision de l'état du plasma et testons des processus comme l'accélération de l'interaction nucléaire par les électrons libres périphériques. Cela n'est pas jusqu'ici accessible à nos laboratoires, mais avec le développement du Laser Mégajoule à Bordeaux, il deviendra possible de recréer pendant un très court instant les conditions thermodynamiques d'un plasma stellaire et d'en étudier certaines propriétés. En attendant, la sismologie des étoiles est un moyen puissant de vérifier les hypothèses théoriques utilisées pour simuler la production d'énergie nucléaire. En 10 ans, nous avons gagné un ordre de grandeur sur la différence vitesse du son solaire et vitesse du son du modèle en gagnant sur la qualité des observations et celle de la Physique incluse dans les modèles. Actuellement, il semble que la structure observée est si proche de celle obtenue avec une physique détaillée mais classique que toutes les propositions d'idées plus exotiques ont été rejetées (WIMPS au centre du Soleil, migration des éléments lourds, turbulence central...). Toutefois il faut être prudent, tout ceci n'est vrai que dans le cadre fixé: une étoile en équilibre hydrostatique, respectant la balance thermique (voir le paragraphe suivant). Ces conclusions sont importantes pour l'Astrophysique mais aussi pour la Physique des Particules qui utilise le Soleil comme une source de neutrinos électroniques dont les propriétés restent à découvrir. Si l'astrophysicien peut mesurer in situ le flux de neutrinos émis et l'environnement dans lequel ces neutrinos se déplacent, le mystère du déficit de neutrinos détectés au sol pourrait alors s'éclaircir. S'agit-il d'un phénomène d'oscillations entre neutrinos de saveur différente ou d'une interaction du moment magnétique du neutrino avec le plasma solaire ?
Du fait des difficultés d'extraction de l'information, les mesures du coeur du Soleil faites par SOHO constituent une grande première. Nous avons donc trouver un moyen de sonder notre étoile en direct. Avant nous ne savions que mesurer la luminosité de la photosphère, témoin de ce qui se passe au coeur du Soleil, mais avec un décalage d'environ 1 million d'années. C'est la première fois que l'on peut tester une théorie de l'infiniment loin avec des précisions de laboratoire.
La deuxième partie de la mission SOHO sera consacrée à l'étude des variabilités. En effet, si l'instrument MDI a mis en évidence de façon éclatante la dynamique de la région convective externe, la région interne contenant plus de 80 % de la masse du Soleil ne nous apparaît aujourd'hui que statique. Il est trop tôt pour dire si cette vision correspond à la réalité ou si elle est due au manque de résolution spatiale et temporelle des mesures actuelles. Une profonde compréhension des étoiles passe par l' « histoire du moment angulaire ». En effet, la formation des étoiles est un épisode très dynamique avec « accrétion » et éjection de matière. Lorsque l'étoile se désolidarise du disque de poussières qui l'entoure, elle se met à tourner beaucoup plus vite sur elle même. Le Soleil jeune tournait-il très vite (plusieurs centaines de km/s) ou lentement comme aujourd'hui (environ 2 km/s, tout de même), voici une des questions d'actualité, non négligeable pour comprendre le rôle et la production du champ magnétique. Un certain nombre de réponses est contenu dans les données sismiques, livrées soit par le Soleil, soit par d'autres étoiles plus jeunes ou de masse légèrement différentes. D'autres indicateurs tels que la teneur en lithium photosphérique (élément brûlant à des températures proches de la région de transition radiation-convection) nous aideront à reconstruire le puzzle complet qui devrait nous conduire à mieux comprendre le rôle majeur de notre étoile dans notre vie sur terre mais aussi nous emmener vers nos origines à travers la formation des étoiles, des planètes et des galaxies.
Découpler les effets magnétiques de surface des mesures intégrées est un nouveau défi pour les années à venir, qui nous donnera accès à la rotation centrale. Comprendre dans le détail les modes acoustiques du Soleil sera très précieux pour explorer d'autres étoiles moins classiques. De plus le site privilégié de SOHO nous laisse un profond espoir d'accéder à des modes d'amplitude plus faible régis cette fois par la gravité. Si SOHO ne fera probablement que défricher ce domaine, une nouvelle génération d'instruments est à l'étude qui permettra de beaucoup améliorer la résolution spatiale au coeur du Soleil.