Pour la première fois les mouvements relatifs d’une population de condensations de gaz protostellaire sur le point de former des étoiles ont pu être mesurés avec précision par une équipe européenne conduite par des chercheurs du Service d’Astrophysique du CEA-DAPNIA. Ces travaux montrent que la masse des étoiles de type solaire est fixée principalement lors de la fragmentation des nuages et non pas par des processus de collision. Les résultats obtenus par cette étude montrent que les condensations évoluent indépendamment les unes des autres sans beaucoup d'interactions entre elle. Ces travaux sont publiés dans le numéro de septembre 2007 de la revue Astronomy & Astrophysics.
Une des grandes énigmes actuelles en astrophysique est l’origine de la distribution en masse des étoiles à leur naissance, appelée « IMF [1] » par les astronomes pour « Initial Mass Function » ou « fonction de masse initiale ». Il s'agit d'expliquer les mécanismes de formation des étoiles et de déterminer si toutes les galaxies forment dans les mêmes proportions étoiles massives et étoiles de petite masse.
Deux modèles principaux s’affrontent actuellement pour expliquer l’origine de l'IMF l’un basé sur la fragmentation des nuages moléculaires sous les effets conjugués de la gravité et de la turbulence interstellaire, l’autre sur un phénomène d’ « accrétion compétitive » de la matière ambiante lié aux mouvements des proto-étoiles au sein du nuage parent. Dans le premier modèle, les nuages moléculaires se fragmentent en un certain nombre de condensations pré-stellaires auto-gravitantes qui se découplent de leur environnement turbulent puis s’effondrent sur elles-mêmes pour chacune donner naissance à une étoile. Les masses des étoiles formées sont directement reliées aux masses des condensations pré-stellaires initiales, de sorte que l’IMF résulte du processus de fragmentation des nuages au stade pré-stellaire (c’est à dire avant l’effondrement des condensations de gaz en proto-étoiles). Dans le deuxième modèle, en revanche, la distribution en masse des étoiles formées est quasiment indépendante des masses initiales des condensations produites par fragmentation. Chaque proto-étoile se déplace à l’intérieur du nuage parent et accumule progressivement sa masse finale par accrétion compétitive en « balayant » une plus ou moins grande quantité de matière ambiante. Dans ce modèle, l’IMF n’est déterminée qu’au stade proto-stellaire (c’est à dire après l’effondrement des condensations en proto-étoiles). Les interactions dynamiques entre proto-étoiles jouent un rôle prépondérant et la masse finale de chaque étoile dépend surtout de sa trajectoire au sein du nuage parent : les proto-étoiles qui passent beaucoup de temps dans les régions les plus denses du nuage gagnent la « compétition » et deviennent des étoiles relativement massives alors que celles qui sont éjectées très tôt des parties denses peuvent donner naissance à des étoiles de très petite masse, voire des naines brunes.
Mosaïque de l'émission continuum des poussières à 1.2mm du nuage moléculaire Rho Ophiuchi obtenue avec la caméra de bolomètres MAMBO sur le télescope de 30m de l'IRAM. Une soixantaine de condensations pré-stellaires, de masses comprises entre ~0.05 et ~ 3 masse solaire sont identifiées dans cette région. (figure extraite de Motte, André, Neri, Astronomy and Astrophysics 1998, vol. 336, p. 150).
L’une des clés pour trancher entre les deux modèles proposés pour l’origine de l’IMF réside dans la mesure des mouvements présents au sein d’un amas d’étoiles en formation : ces mouvements jouent un rôle dominant dans le modèle d’accrétion compétitive et seulement mineur dans le modèle de fragmentation pré-stellaire.
A cette fin, les chercheurs ont utilisé le radiotélescope de 30m de l’IRAM pour mesurer, par l'effet Doppler [2] sur l’émission spectrale de l’ion moléculaire N2H+, les vitesses projetées le long de la ligne de visée d’une cinquantaine de condensations pré-stellaires dans le nuage de rho Ophiuchi. Ce nuage abrite le plus proche exemple connu d’un amas d’étoiles de type solaire en gestation. Une population de condensations pré-stellaires avait été précédemment identifiée dans cette région par la même équipe, grâce à des observations de l’émission continuum millimétrique des poussières froides mélangées au gaz moléculaire des condensations (voir figure ci-dessus). Ces premières observations avaient permis de montrer que la distribution en masse des condensations pré-stellaires du nuage de rho Ophiuchi était remarquablement similaire à l’IMF des étoiles de la Galaxie mais ne donnaient aucune information sur la dynamique d’ensemble de ces condensations.
Les nouvelles observations indiquent que les vitesses relatives des condensations les unes par rapport aux autres sont trop faibles (moins de 0.4 km/s – voir figue ci-dessous à gauche) pour provoquer un nombre significatif de collisions avant que les condensations ne s’effondrent en proto-étoiles. De plus, les vitesses mesurées sont telles que la quantité de masse accumulée par les proto-étoiles de rho Ophiuchi au cours de leur déplacement dans le nuage de gaz ambiant est négligeable par rapport aux masses résultant directement de l’effondrement des condensations pré-stellaires.
A gauche: Exemples de spectres observés dans la raie moléculaire N2H+(101-012) à 3mm de longueur d’onde en direction des condensations pré-stellaires OphE-MM2 et OphE-MM4 (marquées E-MM2 et E-MM4 sur la figure de gauche). De tels spectres permettent de mesurer très précisément, grâce au décalage spectral dû à l’effet Doppler, les vitesses projetées le long de la ligne de visée des condensations par rapport à l’observateur. La différence de vitesse projetée mesurée ici entre OphE-MM2 et OphE-MM4 est très faible (< 0.3 km/s), comparable à la largeur en vitesse des raies observées.
A droite: Carte des vitesses projetées mesurées par effet Doppler à partir des spectres observés dans la raie moléculaire N2H+(101-012) (figure de droite) en direction de plus de quarante condensations pré-stellaires du nuage de rho Ophiuchi. Chaque condensation est représentée par un disque plein de taille croissante et de couleur variant du bleu foncé au rouge en fonction du décalage Doppler vers le rouge. La carte de l’émission continuum des poussières à 1.2 mm (cf. figure de gauche) est matérialisée par des contours. Cette figure illustre que les différences de vitesse projetée entre condensations voisines sont faibles, le champ de vitesse étant surtout caractérisé par un gradient global à l’échelle du nuage (décalage Doppler vers le bleu en haut à droite de la figure et progressivement vers le rouge en allant vers le bas à gauche). L’observation d’un tel champ de vitesse indique que les mouvements individuels des condensations à l’intérieur du nuage ne sont pas à l’origine de la distribution en masse des étoiles.
Autrement dit, les résultats obtenus favorisent nettement le premier modèle de l’IMF par rapport au second : la distribution en masse des étoiles semble fixée dès le stade pré-stellaire de fragmentation du nuage en condensations auto-gravitantes, les phénomènes d’accrétion compétitive et d’interactions dynamiques jouant un rôle négligeable, dans cette région de formation d’étoiles de type solaire tout au moins.
Contact :
"The initial conditions of star formation in the Ophiuchus main cloud: Kinematics of the protocluster condensations"
Ph. André, A. Belloche, F. Motte, and N. Peretto
dans la revue Astronomy and Astrophysics septembre 2007, vol 472, Issue 2, p. 519
pour une version électronique (voir arxiv:0706.1535 et fichier PDF- 1.5 Mo)
Voir aussi
-Surprenante population d'étoiles jeunes et massives dans la région du Cygne (octobre 2007) |
Pour en savoir plus
Notes :
[1] IMF : Une des grandes énigmes actuelles en astrophysique est l’origine de la distribution en masse des étoiles à leur naissance, appelée « IMF » par les astronomes pour « Initial Mass Function » ou « fonction de masse initiale ». La masse d’une étoile est un paramètre fondamental qui détermine la durée de vie de l’étoile (environ dix milliards d’année pour le Soleil). La question de l’origine de l’IMF est centrale, non seulement pour qui cherche à expliquer le processus de formation des étoiles, mais aussi pour comprendre jusqu'à quel point toutes les galaxies forment les étoiles massives et les étoiles de petite masse dans les mêmes proportions ou si ces proportions dépendent des conditions physiques locales. Elle constitue le thème de recherche principal du réseau européen « Constellation » financé par la Commission Européenne (cf. http://www.constellation-rtn.eu) auquel participe le Service d’astrophysique.
[2] Effet Doppler : L'effet Doppler-Fizeau est un changement apparent de la fréquence d'une onde, tel que le son ou la lumière lorsque la source est en mouvement par rapport à l'observateur. La fréquence s'accroît lorsque la source se rapproche de l'observateur (décalage vers le bleu) et décroît lorsqu'elle s'éloigne (décalage vers le rouge). Cet effet a été découvert de façon indépendante par le français Hippolyte Fizeau (1819-1896) et l'autrichien Christian Doppler (1803-1853).
Rédaction: P. André, V. Minier
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire