A l'heure actuelle, on pense que le système solaire a été formé à partir d'un disque d'accrétion originel, appelé nébuleuse protoplanétaire (Fig. 1). En vieillissant, ce disque se serait refroidi, entraînant la condensation de poussières solides qui formeraient le matériau originel des planètes. Pendant longtemps, la structure précise de ce disque (masse, taille, évolution de la température, de la densité) est cependant demeuré un mystère. Nous avons récemment réussi à obtenir des informations concernant ces paramètres à partir d'un modèle analytique du disque combiné avec des contraintes venant de la théorie de formation des planètes géantes, et d'observation de l'enrichissement en Deutérium (par rapport à la valeur protosolaire) dans divers objets du Système Solaire (Océan terrestre, météorites, planètes géantes).
L'enrichissement en D/H dans l'eau, élément lourd le plus abondant dans la nébuleuse, qui a pu se produire au sein de cette nébuleuse, dépend des distributions radiales de température et pression, à chaque instant, ainsi que de la durée de vie de la nébuleuse. Suivant notre modèle analytique nous pouvons calculer l'évolution temporelle des distributions de densité et de pression. Connaissant la dépendance en température et pression, mesurée en laboratoire, du coefficient d'échange isotopique entre HD et HDO, il est possible de calculer en chaque point de la nébuleuse la valeur de l'enrichissement isotopique en fonction du temps. Cette valeur est limitée de deux manières : à haute température parce que le fractionnement est proche de un, à basse température parce que la vitesse d'échange isotopique tend vers zéro et que la durée de vie de la nébuleuse est limitée. Par ailleurs, l'enrichissement cesse de s'effectuer quand la pression devient très basse. On peut alors sélectionner les modèles de nébuleuse qui permettront d'obtenir les rapports D/H mesurés dans le système solaire.
Nous trouvons ainsi que la nébuleuse protoplanétaire était initialement un disque d'environ 0.1 Masse solaire, de rayon environ 30 unités astronomiques. Ces valeurs sont en accord avec les observations de disques autour d'étoiles jeunes. Notre analyse nous permet de déterminer l'histoire des grains et des glaces qui ont formé les objets du Système Solaire. Un système à deux réservoirs se dessine : un premier réservoir, majoritaire dans tous les objets du Système Solaire, excepté les comètes, contenant des grains formé dans la nébuleuse et dans lesquels l'enrichissement en deutérium est modeste ; Un deuxième réservoir, majoritaire au moins dans les comètes Halley et Hyakutake, et sans doute dans l'ensemble des comètes, étant constitué de grains formés dans le milieu interstellaire, antérieurement à la formation de la nébuleuse, et qui ne furent jamais reprocéssés dans cette dernière. Dans ces grains, l'enrichissement en Deutérium est très élevé parce qu'obtenu par des réactions ion-molécules qui sont très rapides, même à basse température et à basse pression. Ceci suggère, que les comètes furent soit formées quelque peu au-delà de Neptune, dans une région où la nébuleuse n'est plus turbulente, ou, plus vraisemblablement, éjectées de leur zone de formation (près de Neptune) au bout de quelques millions d'années, conservant ainsi la mémoire d'un enrichissement plus important.
Nous obtenons également une estimation du transfert de moment cinétique dans la nébuleuse. Nous trouvons une valeur 10 millions de fois supérieure à la valeur attendue si ce transfert était effectué par de simples processus visqueux. Ce résultat suprenant s'explique bien si la nébuleuse est turbulente, puisque la turbulence accélère les processus de transport. Si la présence de turbulence dans le disque se confirme, cela aurait d'importantes conséquences sur les scénarios de formation des planètes. En effet, un des mécanismes les plus prisés expliquant la fabrication des planètes à partir de ces poussières est la coagulation (effet boule de neige). Malheureusement, cette coagulation dépend beaucoup des paramètres externes (densité, pression, température, efficacité du collage), et n'est pas suffisamment efficace pour expliquer la formation des grosses planètes externes en des temps raisonnables (moins de 4 milliard d'années). Certains auteurs ont donc imaginé une solution à ce problème : sous l'action de la gravité solaire et de la friction avec le gaz, les poussières ont une tendance à se sédimenter vers le plan médian du disque. Ce processus entraîne la formation d'un sous-disque de poussière très dense, qui peut se fragmenter par instabilité gravitationnelle en des planétésimaux de quelques centaines de mètres (voire quelques kilomètres) en quelques temps orbitaux.
fig 3: Vue d'artiste des planètes du système solaire, formées après capture et agglomération des planétésimaux dans les tourbillons.
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On accélère ainsi suffisamment la coagulation des poussières pour permettre la fabrication des planètes externes. En présence de turbulence, la sédimentation des poussières est fortement inhibée, et le sous-disque de poussière n'est pas assez tassé verticalement pour que l'instabilité gravitationnelle se déclenche. Heureusement, la turbulence n'a pas que des aspects négatifs : sous l'influence de la rotation différentielle, on peut s'attendre à la formation de tourbillons à grande échelle, à longue durée de vie (cf. fig 2), qui pourrait agir comme des pièges à poussière et augmenter ainsi la densité du sous-disque jusqu'à un niveau suffisant. Une étude numérique simplifiée a confirmé ce scénario.
Il s'agit maintenant de confirmer ces résultats préliminaires en bâtissant un modèle plus réaliste de la turbulence dans le disque.