fig 1 : Vision complète du Soleil accessible grâce au satellite SoHO du coeur nucléaire à la couronne
Il a fallu moins d'un siècle, pour émettre des hypothèses sur le fonctionnement des étoiles, les mettre en équation, calculer l'ensemble des quantités thermodynamiques internes et les vérifier très précisément dans le cas particulier du Soleil. Ceci forme une base stable pour toutes les étoiles.
La vision dite « microscopique », celle qui relève de l'infiniment petit ramené aux fantastiques dimensions de l'étoile, est sous contrôle. Dans cette représentation, l'étoile a une vie interne propre, indépendante de la vie externe, agitée, éruptive, montrant des périodes plus calmes, d'autres plus agitées. La modélisation stellaire a été bâtie à l'économie, en ignorant deux ingrédients essentiels : la rotation et le champ magnétique. En effet, comme le Soleil tourne lentement, un tour complet en 28 jours, les déformations d'asphéricité sont minimes, mais ceci ne permet pas d'avoir une vision unifiée du Soleil, ni de bien comprendre les étoiles jeunes et les phases d'explosion, pour lesquelles la prise en compte de ces processus est indispensable. De plus la terre est soumise aux phénomènes de surface.
C'est pourquoi, aujourd'hui, il faut s'attaquer à définir la vision « macroscopique » du Soleil, celle qui évolue sur des temps qui ne se chiffrent plus en milliards d'années mais en heures, jours ou années. L'héliosismologie va permettre ce pas conceptuel, en allant chercher sous la photosphère l'origine des phénomènes qui sont observés depuis plus de trois siècles à la surface ou au niveau de la couronne. L'abbé Picard, au 17ème siècle, mesurait chaque jour le nombre de tâches présents à la surface du Soleil. Aujourd'hui nous cherchons à comprendre pourquoi ces régions sombres (température plus basse de quelques degrés) ont un champ magnétique plus élevé que leur environnement et pourquoi elles migrent des régions polaires vers l'équateur (voir les simulations magnétohydrodynamiques du Soleil). Mais d' abord il faut mesurer ces mouvements macroscopiques internes.
Selon que l'onde acoustique se propage dans la direction où le Soleil tourne ou dans la direction opposée, la fréquence d'un mode va être affectée. Au lieu d'une simple valeur, ce mode apparaîtra sous forme d'un multiplet à plusieurs composantes et la distance entre celles-ci portera l'information non seulement de la rotation de surface mais aussi de la rotation interne que l'onde traverse (voir les mesures sismiques). Plus le degré l du mode sera élevé et plus le nombre de multiplets m sera élevé (2l +1 composantes). Grâce au grand nombre de modes observés et au temps passé par les modes dans les régions les moins denses, il est possible d'extraire le profil de rotation en latitude dans la région convective.
La rotation différentielle de surface (25 jours à l'équateur et 35 jours aux pôles), clairement identifiable par les tâches solaires, se retrouve dans toute la région convective. Ceci n'avait pas du tout été prévu théoriquement, on pensait que la rotation dépendait de la distance au centre et que dans la région convective, le flux de matière était laminaire. Ce nouveau résultat, obtenu par l'expérience américaine MDI, à bord de SoHO apporte donc de fortes contraintes, sur l'interaction entre rotation, convection et turbulence. De plus, l'héliosismologie a mis en évidence une région, nommée tachocline, de brusque changement entre une rotation différentielle convective et une rotation rigide radiative. Cette zone correspond à un cisaillement horizontal qui induit un mélange des éléments. L'introduction de cette instabilité hydrodynamique dans les équations de structure, limite la diffusion principalement gravitationnelle, précédemment décrite, et permet de parfaitement reproduire l'abondance d'hélium photosphérique, obtenue grâce aux modes acoustiques, comme il est montré dans le tableau précédent donnant les caractéristiques du modèle sismique. Cette région de transition est donc maintenant « visible » de façon macroscopique, elle semble d'ailleurs avoir un comportement périodique encore non expliqué, d'une période de 1 an et quelques mois. C'est une transition cruciale pour comprendre l'effet dynamo dans le soleil qui maintient et réorganise le champ magnétique, produisant les phénomènes cycliques et éruptifs observés à la surface du Soleil avec un changement de polarité entre pôles tous les 11 ans. L'observation sismique de la rotation interne contribue donc à comprendre les processus dynamique de surface.
La dynamique de la région radiative est plus difficile à extraire car le nombre de modes acoustiques pénétrant cette région est plus faible ainsi que le nombre de composantes m. De plus l'excitation stochastique rend l'extraction de l'information difficile sur des durées d'observation limitée. Toutefois, les observations accumulées depuis vingt ans et les comparaisons instrumentales, ont permis d'obtenir de façon incontestée le profil de rotation dans la région radiative en utilisant 5 ans de données de SoHO cumulées permettant de n'utiliser que des modes de basse fréquence faiblement perturbées par l'excitation stochastique et les effets du cycle solaire. Nous concluons que la région radiative tourne de façon rigide et uniforme avec une période d'environ 27 jours, c'est-à-dire intermédiaire entre la rotation de l'équateur et des pôles jusqu'au bord du coeur nucléaire.
Sachant que les étoiles jeunes tournent beaucoup plus vite que le soleil actuel, ce profil met de fortes contraintes sur la perte de moment angulaire au cours de la vie du Soleil, il semble que le principal responsable d'un tel profil soit le champ magnétique, ceci permet aussi de mettre une limite supérieure à sa valeur actuelle : pas plus que quelques centaines de MG au centre de la région radiative.
Dans la région nucléaire, les incertitudes de mesures sont du même ordre de grandeur que l'information provenant de la région concernée. Une image complète de la rotation nécessite donc la détection de modes de gravité car ces modes ont une très grande sensibilité à la partie nucléaire et la mesure des composantes de 2 ou 3 d'entre eux permette déjà de répondre à plusieurs questions importantes.
fig 3 : Un des candidats modes de gravité, détecté à 90% de confiance comme un triplet après 1200 jours d'observation puis comme un quintuplet après 2000 jours. Superposée sur la première figure, la position théorique des 2 modes de gravité correspondant au modèle sismique.
Ces ondes, principalement piégées dans la région radiative ont un comportement évanescent dans la région convective. Aussi leur vitesse photosphérique est très faible. C'est donc très difficile pour la communauté sismique de les détecter. Les efforts, entrepris depuis vingt ans se sont avérés infructueux avec les réseaux sols. Le satellite SoHO est donc une opportunité exceptionnelle. Grâce à sa localisation au point de Lagrange L1 (conditions très stables en température et radiation), à sa longévité (environ 11 ans) et à la présence à bord de 3 instruments sismiques qui observent le Soleil continûment : GOLF, VIRGO et SOI/MDI.
Aucune détection crédible n'a été répertoriée dans la recherche de pics uniques. La recherche de multiplets est plus prometteuse car elle baisse le seuil de détection et permet d'apporter des informations sur la rotation du coeur. Les recherches actuelles ont permis d'identifier des structures candidates avec plus de 90% de confiance d'être des modes de gravité. Les vitesses mesurées sont aussi petites que 2mm/s à la surface du Soleil. Ce niveau de vitesse revient à identifier, de la terre, une cerise située à la surface de la lune. Aussi les conditions d'observation pour une telle recherche sont très importantes. En fait, au point de Lagrange, le principal perturbateur est le Soleil lui-même, car la granulation de surface et l'activité solaire perturbent la mesure. C'est pourquoi nous avons bon espoir de confirmer ou infirmer ces potentielles détections en Soleil calme avant l'arrêt de SoHO prévu en 2007, dès que l'activité solaire va décroître (le maximum était en 2001). Les signatures identifiées actuellement correspondent à des signaux présents pendant 5 ans. S'ils s'avéraient réels, ils révéleraient un coeur central à rotation rapide avec un axe d'inclinaison différent du reste de l'étoile. Ceci constituerait une nouvelle page d'histoire solaire car le coeur nucléaire aurait conservé un vestige des conditions initiales. C'est un champ d'investigation passionnant pour les années à venir. C'est aussi une opportunité pour tous les ingénieurs et techniciens de transformer l'essai en construisant une nouvelle génération d'instruments encore plus performants pour mesurer la dynamique temporelle du coeur nucléaire …
Nous nous orientons donc vers une modélisation des différentes échelles de l'histoire d'une étoile, à travers les simulations numériques sur de gros calculateurs massivement parallèles, c'est-à-dire où les opérations ne sont plus faits séquentiellement mais en parallèle. Mais d'autres projets spatiaux se dessinent, en particulier avec ILWS (International Living with a Star) et Solar Orbiter, collaborations Européennes et Américaines. L'ensemble des processus microscopiques et macroscopiques seront alors quantitativement mesurées et mis en équation. Pour des raisons évidentes de connaissance intime du plasma solaire, les équipes du CEA se sont fortement mobilisées au cours des vingt dernières années et resteront des acteurs majeurs de cette page de l'histoire des Sciences.
Brun, Turck-Chièze et Zahn, 1999, ApJ, 525, 1032
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