Compter des photons sans les détruire: une nouvelle façon de voir
Serge Haroche
Ecole Normale Supérieure / Collège de France
Lundi 17/11/2008, 11:00
Bat 141, salle André Berthelot (143) , CEA Paris-Saclay
Les détecteurs usuels de lumière agissent de façon brutale. Ils détruisent les photons et convertissent leur énergie en un signal électrique ou chimique. Un processus destructif analogue se produit sur notre rétine. En un mot, le photon, comme le soldat de Marathon, semble condamné à périr en livrant son message. Cette fatalité n’est cependant pas imposée par la théorie quantique qui n’empêche pas l’existence d’un détecteur transparent, capable d’observer les photons sans les absorber. Nous avons réalisé à l’ENS un tel détecteur. Des quanta de lumière – en l’espèce des photons micro-onde - sont piégés dans une cavité formée de miroirs ultra-réfléchissants qui réalise une "boîte à photons" analogue à celle qu’Einstein et Bohr avaient imaginée dans une célèbre expérience de pensée. Les photons rebondissant sur les parois de la boîte sont vus de façon répétée. L’expérience utilise comme détecteur non destructif une horloge atomique dont le battement est modifié par le champ électromagnétique associé aux photons. La mesure de la fréquence de cette horloge permet de compter, sans les détruire, les photons qui en ont perturbé le rythme. L’analyse de cette expérience illustre tous les aspects non-intuitifs du processus de mesure en physique quantique. L’absorption ou l’émission résiduelle de lumière dans les parois de la cavité se manifeste à des instants aléatoires par des sauts quantiques soudains du nombre de photons. On observe ainsi pour la première fois en temps réel la naissance et la mort de quanta de lumière individuels. Cette nouvelle façon de voir permet aussi de préparer et de détecter des états exotiques du champ électromagnétique appelés "chats de Schrdinger". Nous avons, par des mesures non-destructives répétées, reconstruit l’état quantique complet de ces états et observé comment leurs caractéristiques quantiques s’effacent progressivement sous l’effet de leur couplage à l’environnement. Cette expérience, en nous permettant d’étudier en détail ce phénomène de décohérence, ouvre des perspectives fascinantes à l’exploration de la frontière entre les mondes classique et quantique.

 

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