Contact : Philippe André
Publication : « The circumstellar environment of low-mass protostars : A millimeter continuum mapping survey » F. Motte, P. André, 2001, Astronomy & Astrophysics, 365, 440
La formation des étoiles par imagerie millimétrique
L’étude directe des phases les plus précoces de la formation stellaire a longtemps été impossible parce que le gaz froid et dense qui constitue les coeurs denses des nuages interstellaires est opaque aux longueurs d’onde optiques et infrarouges. L’avènement récent de caméras de bolomètres fonctionnant dans le domaine submillimétrique (par exemple MAMBO sur le radio-téléscope de 30 m de l’IRAM et SCUBA sur le JCMT) a enfin permis de cartographier en détail l’émission du continuum thermique des poussières à des longueurs d’ondes voisines de 1mm où le milieu est transparent.
En utilisant des valeurs plausibles pour la température, l’émissivité et l’abondance des poussières de la matière circumstellaire, les cartes d’intensités peuvent être transformées en cartes de densités de colonne, donnant ainsi accès à la structure des coeurs denses au sein des nuages. Cela permet de tester certaimes prédictions des modèles théoriques de formation d’étoiles. A l’aide de la caméra de bolomètres MAMBO installée au téléscope de 30 m de l’IRAM, un échantillon de 49 objets stellaires jeunes enfouis a ainsi été cartographié avec une résolution de 11″ d’arc. Cette résolution correspond, à la distance des objets étudiés (140 à 460 parsecs), à des échelles spatiales de 1500 to 5000 UA.
Le processus de formation des étoiles
Une étoile de type solaire se forme à partir d’un fragment de gaz moléculaire (appelé aussi coeur dense de nuage) qui s’effondre sous l’effet de son propre poids. Ce fragment de nuage évolue vers une concentration de plus en plus élevée jusqu’à la formation en son centre d’un embryon stellaire. La protoétoile naissante acquiert ensuite progressivement sa masse par accrétion de la matière de son enveloppe circumstellaire en effondrement. Une fois l’enveloppe dissipée, l’objet central émerge dans le domaine visible comme une étoile de la pré-séquence principale. Après une contraction qui dure quelques millions d’années, l’étoile commence a brûler son hydrogène en hélium par des réactions de fusion thermonucléaire, et entre alors sur la séquence principale. Dans les années 80, un modèle a été proposé pour expliquer la formation des étoiles isolées de faible masse (Shu et al. 1987). Ce modèle « standard », décrit l’effondrement gravitationnel spontané d’un coeur dense isolé idéal. Cependant, on sait maintenant que la plupart des étoiles se forment en amas, dans des nuages moléculaires où les fragments occupent un volume restreint et où de nombreuses perturbations extérieures, dues par exemple à l’influence d’étoiles voisines, peuvent provoquer leur effondrement gravitationnel. En raison de la complexité du problème, il y a encore peu d’idées théoriques sur la formation des étoiles en amas.
Afin de contraindre les conditions initiales de l’effondrement protostellaire et élaborer des modèles plus réalistes, les astronomes doivent observer la structure en densité et en vitesse des coeurs denses et enveloppes protostellaires (cf. André et al. 2000). Bien que les premiers modèles théoriques de protoétoiles aient été proposés il y a plus de 30 ans (Larson 1969), ce n’est qu’avec l’avènement d’instruments (sub-)millimétriques performants qu’ils ont pu être confrontés aux observations. Les études observationnelles précédentes ne portaient que sur un petit nombre d’objets et n’avaient donné que des résultats contradictoires et peu contraignants sur la structure en densité des enveloppes protostellaires.
L’observation des proto-étoiles
Grâce à la très bonne sensibilité et à la haute résolution angulaire de la caméra MAMBO installée au téléscope de 30 m de l’IRAM, F. Motte et P. André ont pu observer un large échantillon de protoétoiles situées dans des nuages moléculaires proches, où les étoiles se forment aussi bien de manière isolée qu’en amas. Ils ont cartographié l’ensemble des 27 candidats protoétoiles du nuage du Taureau qui avaient été identifiés en infrarouge, ainsi que 9 globules isolés détectés par le satellite infrarouge IRAS et 9 protoétoiles du complexe moléculaire de Persée.
Dans les deux premiers groupes, où les objets sont relativement isolés, les auteurs trouvent que la structure en densité des enveloppes protostellaires (telles que L1527) est décrite de manière satisfaisante par le modèle standard de Shu et al. (1987). En revanche, dans le troisième groupe où les objets stellaires jeunes sont groupés en amas, les enveloppes protostellaires (telles que L1448-N ) sont plus denses et plus compactes.
Carte dans le continuum à 1.3 mm d’une enveloppe proto-stellaire (L1527) isolée dans la constellation du Taureau | Carte dans le continuum à 1.3 mm d’un groupe d’enveloppes proto-stellaires (L1448) dans la constellation de Persée |
André, P., Ward-Thomspon, D., & Barsony, M. 2000, « From Pre-Stellar Cores to Protostars:The Initial Conditions of Star Formation », dans« Protostars & Planets IV », Ed. V. Mannings, A. Boss, S. Russell (Tucson: Univ. Arizona Press), p. 59
Larson, R.B. 1969, « Numerical calculations of the dynamics of a collapsing proto-star », MNRAS, 145, 271
Shu, F.H., Adams, F.C., Lizano, S. 1987, « Star formation in molecular clouds – Observation and theory », ARA&A, 25, 23
Exemples de profils radiaux de densité de colonne déduits des cartes d’émission dans le continuum à 1.3 mm. Les coeurs denses pré-stellaires (par exemple L1535-NE) et les enveloppes protostellaires (p.ex. L1527 dans le Taureau et L1448-N dans Persée) sont clairement résolus par le téléscope de 30 m alors que les disques des étoiles T Tauri (p.ex. HLTau) ne le sont pas. La résolution du télescope est indiquée par la courbe en pointillés marquée « IRAM 30m beam ». Le modèle de sphère isotherme singulière (SIS – Shu et al. 1987) rend assez bien compte des profils radiaux des sources isolées observées dans le nuage du Taureau, bien que la densité soit trop fortement piquée au centre pour bien représenter les coeurs pré-stellaires. Par contre, les enveloppes des protoétoiles de Persée (p.ex. L1448-N) ont une densité centrale dépassant par un ordre de grandeur celle prédite par le modèle SIS et leur profil radial d’intensité rejoint l’émission du nuage moléculaire à environ 10000 unités astronomiques du centre.
Les projets futurs (Herschel/FIRST)
Parce qu’elles sont profondément enfouies dans des cocons de gaz et de poussières, les protoétoiles en phase de gestation (dites de « Classe~0 ») sont invisibles en infra-rouge et à plus courtes longueurs d’onde. Elles ne peuvent s’étudier directement que par imagerie dans le domaine submillimétrique. De telles études seront grandement facilitées dans la prochaine décennie par le lancement du satellite Herschel/FIRST (Far Infra-Red and Submillimeter Telescope) par l’Agence Spatiale Européenne en 2007. En permettant pour la première fois l’observation systématique détaillée de nuages moléculaires dans le domaine submillimétrique entre 70 à 500 microns, là où les protoétoiles émettent l’essentiel de leur rayonnement, cette mission spatiale devrait révolutionner notre compréhension des premières phases de la formation stellaire. Le Service d’Astrophysique du C.E.A. participe activement à la construction de deux des trois instruments qui seront embarqués sur Herschel/FIRST: les caméras de bolomètres PACS et SPIRE. Il est notamment responsable de la réalisation des détecteurs de PACS, basée sur un nouveau concept de matrice monolithique développé au LETI à Grenoble.
« The circumstellar environment of low-mass protostars : A millimeter continuum mapping survey »
F. Motte, P. Andre, 2001, Astronomy & Astrophysics, 365, 440