Une équipe internationale d’astronomes, comprenant plusieurs chercheurs français, vient de mesurer l’éloignement exact de cinq galaxies très lointaines, grâce à l’observatoire spatial Herschel de l’ESA et à des observations au sol, impliquant notamment l’interféromètre de l’Institut de radioastronomie millimétrique1 . Les chercheurs ont ainsi démontré que la lumière de ces galaxies avait dû voyager pendant environ dix milliards d’années avant de nous atteindre. Pour parvenir à ces résultats, ils ont tout d’abord mis au point une nouvelle méthode qui utilise, pour la première fois dans le domaine submillimétrique2 , un phénomène appelé « lentille gravitationnelle », sorte de loupe cosmique que détecte Herschel. Difficiles à observer jusqu’à aujourd’hui, ces galaxies lointaines en cours d’évolution rapide constituent l’une des clés pour mieux comprendre l’histoire des galaxies dans notre Univers. Ces résultats sont publiés dans la revue Science du 5 novembre 2010.
Albert Einstein avait prédit le phénomène de « lentille gravitationnelle » : lorsque la lumière passe à proximité d’un objet très massif, telle une galaxie, sa trajectoire est courbée. Si une galaxie se situe entre nous et la galaxie très lointaine que l’on observe, dans un alignement parfait, la lumière provenant de l’objet le plus distant sera alors amplifiée. Ce phénomène de lentille gravitationnelle est l’équivalent d’une loupe cosmique et permet d’observer des galaxies très éloignées, émettant leur lumière quand l’Univers n’avait que 10 à 20 % de son âge.
La collaboration internationale conduite par Mattia Negrello (The Open University, GB) et impliquant 89 autres astronomes, parmi lesquels 7 travaillant dans des laboratoires français3 soutenus par le CNES, a utilisé les caméras panoramiques SPIRE et PACS qui équipent Herschel, dont l’instrumentation a été mise au point notamment dans les laboratoires du CEA et du CNRS. Pour la première fois, les chercheurs ont pu observer de grandes surfaces du ciel dans le domaine des longueurs d’onde submillimétriques1, ce qui a permis de détecter d’éventuelles lentilles gravitationnelles.
Image de la première portion du ciel observée dans le cadre du relevé Herschel-ATLAS. Située dans la constellation de l’Hydre, cette portion du ciel s’étend sur 4 degrés et correspond à 8 fois le diamètre de la pleine Lune. La plupart des quelques 6 000 galaxies visibles sur cette image sont à des distances si éloignées – correspondant à l’époque où l’Univers n’avait que quelques milliards d’années – qu’elles n’apparaissent que comme un simple point. Cette image représente environ un trentième de la surface totale qui sera observée par Herschel-ATLAS, dans laquelle les astronomes pensent trouver environ 250 000 galaxies. Les fines structures qui traversent l’image sont des nuages de poussière diffus de notre Galaxie. Les cinq galaxies discutées dans l’article de M. Negrello et al. sont identifiées sur cette image.
© Herschel – ESA
« Découvrir des lentilles gravitationnelles permet d’observer des galaxies extrêmement lointaines qui sont difficilement visibles sans ce phénomène d’amplification lumineuse », précise Denis Burgarella, un des co-auteurs français, astronome au Laboratoire d’astrophysique de Marseille. « Ces galaxies sont souvent le siège de brutales et très importantes formations d’étoiles, qu’il est important d’observer pour connaître les différents stades d’évolution des galaxies à travers l’histoire de l’Univers ».
Chacune des images du projet « Herschel-ATLAS » contient des dizaines de milliers de galaxies. La plupart sont si éloignées que leur lumière a mis des milliards d’années pour nous atteindre. A partir des premiers résultats de ce relevé panoramique (1/30ème de la surface totale qui sera couverte en fin de projet), l’équipe internationale H-ATLAS s’est focalisée sur cinq objets exceptionnellement brillants qui sont des lentilles gravitationnelles. En scrutant la position de chacun d’eux avec de grands télescopes optiques au sol, les astronomes y ont trouvé des galaxies d’un type qui, normalement, ne devrait pas être brillant aux longueurs d’onde observées par Herschel. Il était donc très probable que ces galaxies, modérément éloignées et vues en lumière visible, soient en fait les lentilles gravitationnelles amplifiant la lumière provenant de galaxies beaucoup plus lointaines révélées par Herschel dans le rayonnement submillimétrique. Ensuite, les astronomes ont utilisé les meilleurs télescopes au sol et ont pu détecter les galaxies de premier plan mais surtout prouver qu’il y avait bien dans chaque axe de visée deux galaxies parfaitement alignées, à des distances différentes. La distance de chacune de ces galaxies a été mesurée grâce au décalage spectral vers le domaine millimétrique d’une raie émise par la molécule de monoxyde de carbone, marqueur de ces galaxies. « L’interféromètre de l’IRAM a joué un rôle important dans ces mesures, démontrant que la lumière de ces objets a dû voyager pendant environ dix milliards d’années avant de nous parvenir », souligne Pierre Cox, directeur de l’IRAM et co-auteur. Sa grande sensibilité, son pouvoir de résolution angulaire, ainsi que les récents développements instrumentaux devraient permettre de mesurer avec précision la distance à ces objets lointains, de sonder les propriétés de la matière dense (en observant l’émission des poussières et du gaz moléculaire) dans laquelle les étoiles se forment et d’étudier la morphologie ainsi que la dynamique de ces galaxies aux confins de l’Univers.
« Quand les résultats de Herschel auront été complètement exploités grâce à ces loupes, les astronomes pourront étudier les galaxies de l’Univers jeune, avec le même luxe de détails qu’ils le font jusqu’ici pour les galaxies proches » prédit Alain Omont, co-auteur qui travaille à l’Institut d’astrophysique de Paris. Ces lentilles de Herschel vont être des objets clés pour le très grand interféromètre millimétrique ALMA en construction au Chili. L’étude des galaxies d’avant-plan, qui constituent les lentilles, est également très prometteuse, car ce sont leurs halos de matière noire qui dominent l’effet de lentille. « La statistique des résultats accumulés sur des centaines de halos va apporter de nouvelles contraintes sur la nature encore mystérieuse de la matière noire » souligne Mattia Negrello.
(1) de 60 à 500 microns de longueur d’onde.
(2) Institut d’astrophysique de Paris, (CNRS/UPMC) ; Institut d’astrophysique spatiale (CNRS/Université Paris-Sud 11) ; Institut de radioastronomie millimétrique (CNRS/MPG/IGN) ; Laboratoire d’astrophysique de Marseille (CNRS/Université de Provence) ; Laboratoire « Astrophysique, instrumentation et modélisation » (CEA-Irfu/ CNRS/ Université Paris Diderot).
(3) Herschel ATLAS (Astrophysical Terahertz Large Area Survey) est le plus grand programme-clé sur le temps d’observation du satellite dit « Temps ouvert » . Il lui a été attribué 600 heures de temps d’observation de Herschel pour observer 550 degrés carrés du ciel dans 5 bandes (110, 170, 250, 350, et 500 micromètres). On attend la détection d’environ 250 000 galaxies, réparties à peu près également entre l’Univers assez proche et l’Univers jeune très lointain. Il est piloté par S. Eales (Cardiff University) et L. Dunne (Nottingham University).
(4) Ce phénomène est analogue au décalage vers le rouge ou redshift dans le visible.
(5) L’IRAM a été fondé par le CNRS en France et la Max-Planck-Gesellschaft en Allemagne, rejoints par l’Instituto Geográfico Nacional en Espagne. Il est constitué d’un radiotélescope de 30 m de diamètre au Pico Veleta en Espagne et d’un interféromètre de 6 antennes de 15 m de diamètre sur le Plateau de Bure en France.
Bibliographie
The Detection of a Population of Submillimeter-Bright, Strongly-Lensed Galaxies:
Mattia Negrello, R. Hopwood, G. De Zotti, A. Cooray, A. Verma, J. Bock, D. T. Frayer, M. A. Gurwell, A. Omont, R. Neri, H. Dannerbauer, L. L. Leeuw, E. Barton, J. Cooke, S. Kim, E. da Cunha, G. Rodighiero, P. Cox, D. G. Bonfield, M. J. Jarvis, S. Serjeant, R. J. Ivison, S. Dye, I. Aretxaga, D. H. Hughes, E. Ibar, F. Bertoldi, I. Valtchanov, S. Eales, L. Dunne, S. P. Driver, R. Auld, S. Buttiglione, A. Cava, C. A. Grady, D. L. Clements, A. Dariush, J. Fritz, D. Hill, J. B. Hornbeck, L. Kelvin, G. Lagache, M. Lopez-Caniego, J. Gonzalez-Nuevo, S. Maddox, E. Pascale, M. Pohlen, E. E. Rigby, A. Robotham, C. Simpson, D. J. B. Smith, P. Temi, M. A. Thompson, B. E. Woodgate, D. G. York, J. E. Aguirre, A. Beelen, A. Blain, A. J. Baker, M. Birkinshaw, R. Blundell, C. M. Bradford, D. Burgarella, L. Danese, J. S. Dunlop, S. Fleuren, J. Glenn, A. I. Harris, J. Kamenetzky, R. E. Lupu, R. J. Maddalena, B. F. Madore, P. R. Maloney, H. Matsuhara, M. J. Michalowski, E. J. Murphy, B. J. Naylor, H. Nguyen, C. Popescu, S. Rawlings, D. Rigopoulou, D. Scott, K. S. Scott, M. Seibert, I. Smail, R. J. Tuffs, J. D. Vieira, P. P. van der Werf, J. Zmuidzinas. Science. 5 novembre 2010.
Pour en savoir plus:
– Site Herschel France : http://www.herschel.fr
– Site Herschel ESA : http://www.esa.int/SPECIALS/Herschel/index.html6
Contacts
Chercheur l Alain Omont l T 01 44 32 80 71 l
Pierre Cox l T 04 76 82 49 53 l
Denis Burgarella l T 04 91 05 69 71 l
Helmut Dannerbauer l T 01 69 08 67 93 l
Presse CNRS l Priscilla Dacher l T 01 44 96 46 06 l
Presse CNES l Julien Watelet l T 01 44 76 78 37 l
Presse CEA l Stéphane Laveissière l T 01 64 50 27 53 l
Communication INSU-CNRS l Philippe Chauvin l T 01 44 96 43 36 – 06 33 50 18 97 l