L’opacité des étoiles en laboratoire

L’opacité des étoiles en laboratoire

Le gaz chaud des étoiles recréé par des tirs laser

Une large collaboration internationale [1], incluant des chercheurs du Service d’Astrophysique du CEA-Irfu, CEA-IRAMIS et le CEA-DAM, vient de mesurer pour la première fois les effets de l’absorption de la lumière par le nickel dans des plasmas à très hautes températures, similaires à ceux qui existent dans l’enveloppe de certaines étoiles variables de type Cépheïdes. Ces étoiles qui sont un des indicateurs importants de distance dans l’univers, présentent des pulsations périodiques créées par une brusque augmentation de l’absorption de la lumière par le gaz chaud de l’étoile. Elles sont dues à l’interaction sur des éléments spécifiques partiellement ionisés tels que l’hélium, l’oxygène, le fer et le nickel. Jusqu’ici, cette absorption ne pouvait être évaluée que par des modèles complexes de physique atomique et des plasmas. Grâce à des tirs lasers, les chercheurs ont pu recréer en laboratoire un plasma de nickel avec des températures de 116 000 à 440 000 degrés et des densités de l’ordre de quelques milligrammes par centimètre-cube qui reproduisent les distributions ioniques rencontrées dans les enveloppes d’étoiles. La mesure directe de l’opacité du nickel est une des validations essentielles qui permettent de vérifier l’exactitude des modèles actuels de la structure des étoiles.

Course d’obstacle de la lumière

La structure d’une étoile est déterminée par l’équilibre entre les couches de gaz qui s’effondrent par gravité et la pression de la lumière qui est produite au centre par les réactions nucléaires. L’énergie libérée se manifeste par la production de lumière sous fome de photons qui vont se propager vers l’extérieur en interagissant avec la matière rencontrée. De véritables barrières de transport se créent dues à l’interaction de ces photons avec les différents éléments chimiques qui composent le gaz de l’étoile. Cet obstacle à la lumière est mesuré par une grandeur appelée « section efficace d’absorption » qui doit donc être calculée pour chaque élément à la température qui règne à l’intérieur des étoiles. Jusqu’à récemment, ces calculs précis de sections efficaces s’appuyaient uniquement sur des modèles de physique atomique complexes. Certains de ces calculs peuvent aujourd’hui être testés grâce à l’expérimentation.

L’installation du laser LULI 2000. L’énergie du laser est concentrée sur une petite cible placée dans une chambre à vide pour produire un plasma, gaz chaud de plusieurs centaines de milliers de degrés. La chambre est équipée de multiples instruments de mesure du plasma. Crédit LULI/CEA

Sous le feu du laser

Depuis une dizaine d’années, les astophysiciens ont entrepris de recréer les gaz chauds de l’intérieur des étoiles grâce à l’énergie du laser. Les températures étant très élevées, plus de 100 000 degrés, il n’est pas possible de maintenir un gaz si chaud pendant de très longues durées mais l’énergie concentrée d’un laser de puissance permet d’atteindre ces températures pour des temps très courts de quelques secondes. Pour mesurer l’opacité du nickel, les chercheurs ont utilisé le laser du LULI (pour Laboratoire pour l’Utilisation des Lasers Intenses), un très grand équipement international de recherche fondamentale à haute énergie, installé sur le campus de l’École Polytechnique. Un premier laser nanoseconde a concentré une énergie de 30 à 500 joules pendant seulement 0,5 nanoseconde (soit 0,5 milliardième de seconde) pour chauffer et vaporiser à très haute température une petite cible de nickel. Un second laser a produit ensuite une très brève impulsion de rayons X pour « éclairer » le gaz. C’est la transmission de cette lumière à rayons X à travers le gaz qui a fourni la mesure de l’opacité du nickel.

Mesure de l’opacité du nickel dans le domaine des rayons X-UV, réalisée grâce au laser LULI 2000 (courbe en noir) et compararée aux prévisions des modèles théoriques OP pour différentes températures (courbes en couleur). L’accord général permet de confirmer la validité de cette classe de modèles à la base de la structure stellaire.

Les mesures ont été réalisées dans le domaine des rayons X-UV, dans une gamme de température de 116 000 à 440 000 degrés (correspondant à une énergie entre 10 eV et 38 electronvolts) et des densités de l’ordre de quelques milligrammes par centimètre-cube. Les conditions choisies reproduisent les distributions de densité et d’ionisation rencontrées dans les enveloppes d’étoiles de type beta Cépheï, d’environ 10-15 masses solaires. Les mesures avaient pour objectif de trancher entre deux types de calcul d’opacité utilisés en astrophysique : les codes OPAL et OP qui diffèrent d’un facteur 2 dans ce domaine de température, créant des difficultés d’interprétation, notamment pour la compréhension des oscillations sismiques des étoiles.

La mesure du nickel semble favoriser le code OP même si les vérifications doivent maintenant se poursuivre pour d’autres éléments et d’autres températures. Pour mieux comprendre ces mesures, les différents groupes théoriques du consortium confrontent leurs calculs et leurs hypothèses. La validation expérimentale et l’amélioration des calculs d’opacité permettront de mieux comprendre l’excitation des modes de pulsation détectés par les satellites COROT et KEPLER pour ces étoiles massives.
Ils aideront aussi à la caractérisation de ces modes et contribueront à explorer la dynamique interne de ces étoiles. La simulation de plasmas astrophysiques en laboratoire est en plein développement et bénéficiera bientôt d’un nouveau grand équipement, le Laser Mega Joule (LMJ) actuellement en cours de construction près de Bordeaux.


Contact : Sylvaine TURCK-CHIEZE

Publications :

« On theoretical and experimental activities on opacities for a good interpretation of seismic stellar probes »
Turck-Chièze S, Loisel G, Gilles D, Thais F, Bastiani S et OPAC consortium [1]
SOHO24, 2010, Journal of Physics, conf series (2010), in press
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« Radiative properties of stellar plasmas and open challenges »
Turck-Chièze S, Loisel G, Gilles D et al., [1]
Astrophysics & Space Science (2010), in press
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voir aussi  : – « Le magnétisme fossile des étoiles » (30 novembre 2010)

Notes :

[1] Collaboration regroupant le Commissariat à l’Energie atomique et aux Energies Alternatives (Irfu-IRAMIS, CEA et CEA-DAM) – Laboratoire pour l’Utilisation des Lasers Intenses, Ecole Polytechnique (LULI) – Laboratoire Los Alamos (USA) – Atomic Weapons Establishment (AWE- Aldermaston, UK) – Observatoire de Paris (LERMA et LUTH)


Redaction: S. Turck-Chieze, J.M. Bonnet-Bidaud