Des amas de galaxies qui entrent en collision

Des amas de galaxies qui entrent en collision

Les événements les plus énergiques de l’Univers

Une équipe de chercheurs dirigée par Rémi Adam (Laboratoire Lagrange – OCA, UCA, LPSC Grenoble, CNES), Iacopo Bartalucci et Gabriel Pratt (Service d'Astrophysique-Laboratoire AIM du CEA-Irfu), a obtenu pour la première fois une image de la vitesse du gaz dans des amas de galaxies en collision grâce à NIKA [1], une caméra nouvelle génération dans le domaine millimétrique, au foyer du télescope IRAM de 30 m de diamètre du Pico Veleta (Espagne). Les observations NIKA, qui ont fourni une cartographie précise de la vitesse du gaz chaud dans les amas, offrent une nouvelle manière d'étudier la collision des amas de galaxies, responsables des événements les plus énergiques dans l’Univers après le Big Bang. Ces travaux sont en cours de publication dans la revue Astronomy & Astrophysics.

Amas de galaxies : clé de la formation des grandes structures.

L'Univers dans lequel nous vivons aujourd'hui a été façonné par la formation de grandes structures, vastes concentration de matière qui ont commencé à se former par effondrement gravitationnel il y a environ 14 milliards d'années, juste après le Big Bang. Aujourd'hui, les plus grands objets connus gravitationnellement liés sont les amas de galaxies qui constituent les pièces fondamentales de notre Univers observable. Selon le modèle cosmologique actuel, les amas de galaxies malgré leur nom, sont en réalité principalement composés de matière noire (~ 85%) et de gaz chaud ionisé (~ 12%), avec seulement quelques pour cent de leur masse contenue dans les galaxies elles-mêmes. Pour cette raison, le processus de formation des amas est principalement dominé par l'effondrement gravitationnel de la matière noire, le gaz et les galaxies accompagnant ce processus. Au cours de leur assemblage, les amas peuvent entrer en collision les uns avec les autres, avec une vitesse élevée. Ces fusions sont les événements les plus énergiques depuis le Big Bang et ils sont fondamentaux pour comprendre comment s’assemblent et évoluent les structures dans l'Univers.

Image multi-longueur d’onde du groupe d’amas MACS J0717.5+3745 montrant la distribution des galaxies (en vert, données du télescope spatial Hubble), la densité du gaz (en rouge, rayonnement X, données Chandra), la pression électronique du gaz (en bleu, caméra NIKA) et le signal kSZ (contours jaunes, NIKA). Les cercles rouges (A, B, C et D) indiquent la position des principaux sous-amas. A la distance de l’amas (environ 5 milliards d’années-lumière), la taille de l’image correspond à environ 5 millions d’années-lumière.

Un défi instrumental

Une façon d'étudier la vitesse du gaz des amas est de mesurer l'empreinte de ce mouvement dans le rayonnement du fond diffus cosmologique (CMB) par l'utilisation de l'effet Sunyaev-Zel'dovich cinétique (kSZ). Cet effet provient de la modification de l’énergie des photons du CMB quand ils interagissent avec les électrons du gaz intra-amas qui se déplacent à grande vitesse (décalage Doppler). L'effet kSZ est le seul moyen connu de mesurer directement la vitesse particulière d'objets à des distances cosmologiques, car le rayonnement du CMB, issu de l’ensemble de l’Univers fournit lui-même une référence absolue pour la mesure. Il existe également un homologue thermique (l’effet Sunyaev-Zel'dovich thermique, tSZ) qui est couramment utilisé pour mesurer la pression du gaz dans les amas. L'effet SZ cinétique est beaucoup plus difficile à observer et seulement une poignée de mesures de faible signification statistique a été obtenue jusqu'à présent.

Le consortium NIKA, dirigé par Alain Benoît et Alessandro Monfardini (Institut Néel), a construit, testé et mis en service un prototype de nouvelle caméra baptisée NIKA (pour « New IRAM KIDs Array »)[1], une mosaïque de détecteurs de type KID (pour Kinetic Inductance Detectors – Détecteurs à inductance cinétique) [1]. Cette caméra installée au télescope de 30m de l’IRAM, observe simultanément dans deux bandes de fréquence 150 et 260 GHz, ce qui permet aux astronomes d'extraire à la fois le signal tSZ et kSZ quand ils observent les amas de galaxies. Motivée par le défi scientifique et les performances élevées de NIKA, l'équipe a décidé de tenter une mesure de l’effet kSZ en cartographiant l’un des amas en fusion la plus violente, MACS J0717.5+ 3745, situé à un décalage vers le rouge de 0.55, soit une distance de plusieurs milliards d’années lumières.

A gauche: signal kSZ en direction du groupe d’amas MACS J0717.5+3745 (rapport signal sur bruit), donnant la quantité de mouvement du gaz sur la ligne de visée. A droite: vitesse du gaz sur la ligne de visée, en km/s, par rapport au référentiel du CMB.

Les données ont révélé que les deux sous-amas principaux de MACS J0717.5+3745 sont en train de tomber l’un sur l'autre avec une très grande quantité de mouvement. Selon Rémi Adam: « la simple détection de l'effet kSZ est déjà un excellent résultat en soi, mais quand nous avons réalisé que nous étions en mesure d'en obtenir une carte, ce fut un succès considérable pour nous».
En complément des observations NIKA, cette procédure a requis l'utilisation d'observations en rayons X par les satellites XMM-Newton et Chandra, qui ont permis de mesurer la vitesse de déplacement de l’amas et d'extraire la carte de la vitesse du gaz par rapport au référentiel du CMB. L'image obtenue n’est pas facile à interpréter car elle dépend de différentes hypothèses de modélisation. Elle est néanmoins particulièrement frappante car elle présente une image du gaz en mouvement pour la première fois dans un amas de galaxies très lointain.

Ces résultats ouvrent la voie à une nouvelle méthode pour l’étude de la fusion des amas, grâce à une résolution angulaire élevée et des instruments de haute sensibilité, telle que la caméra prototype NIKA. Une nouvelle caméra de plus grande dimension NIKA2 [2], a été installée en octobre 2015 à l’IRAM et est maintenant opérationnelle.


Contacts : Gabriel PRATT et Iacopo Bartalucci

Publication :
« Mapping the kinetic Sunyaev-Zel’dovich effect toward MACS J0717.5+3745 with NIKA »
R. Adam, I. Bartalucci, G.W. Pratt et al. (2017) ,
A&A (en cours de publication)
pour une version electronique :
arxiv.org/abs/1606.07721

Voir : le communiqué de presse de l'IRAM

Le site du consortium NIKA2
Le site de l'IRAM (NIKA et NIKA2)

[1] L'instrument NIKA (New IRAM KID Arrays) est une caméra à double bande (150 et 260 GHz) constituée d'une mosaique de détecteurs à inductance cinétique (KID) pour l'observation du rayonnement millimétrique au foyer du 30m télescope de l'IRAM (Institut de Radio Astronomie Millimétrique). NIKA a été construite par l'Institut Néel, LPSC, IPAG et IRAM Grenoble, et l'Université de Cardiff. NIKA comprend deux plans focaux: 132 pixels à 120-170 GHz et 224 pixels à 200-280 GHz et couvre simultanément dans les deux bandes la même portion du ciel avec un champ de vision instantané de 2 arc-min.

[2] NIKA2 est issue du prototype NIKA qui a été utilisé avec succès au Pico Veleta. L'imagerie dans deux bandes de fréquence est obtenue grâce à la lecture simultanée d'une mosaïque de 1000 pixels à la longueur d’onde de 2 mm (150 GHz) et de 2 x 2000 pixels à 1,2 mm (260 GHz). Les deux réseaux à la longueur d’onde de 1,2 mm permettent la mesure de la polarisation linéaire dans cette bande

Le consortium NIKA inclut des scientifiques, ingénieurs et techniciens de l’Institut Néel, l’IPAG, le LPSC, l’IRAM, l’IAS, le CEA, l’IRAP, l’IEF, l’IAP, l’Observatoire de Paris, le LAM, l’UCL, l’Université de Cardiff, l’ESO, le Laboratoire Lagrange (OCA), et l’IAC.
– Le consortium NIKA a reçu le support de l’ANR NIKA, l’ANR NIKA2Sky, l’ERC ORISTARS, FOCUS, ENIGMASS, l’INP, l’INSIS, l’INSU, l’IN2P3, et l’UGA.

Les résultats présentés ici impliquent des scientifiques du JPL, du RIT, Arizona State University, the University of Arizona et Università degli Studi di Roma ‘Tor Vergata’.


Rédaction : Consortium NIKA, J.M. Bonnet-Bidaud