Des cheminées de gaz chaud découvertes de part et d’autre du centre galactique
Grâce aux satellites en rayons X Chandra et XMM-Newton, une équipe internationale à laquelle a participé le Département d'Astrophysique du CEA-Irfu vient de découvrir l'existence de deux bulles de gaz chaud s'échappant jusqu'à des distances d'environ 500 années-lumière, de part et d'autre de l'environnement du trou noir massif situé au centre de notre Galaxie. Tout comme les messages des amérindiens transmis par des bulles de fumée visibles de loin, ces « cheminées de gaz chaud » nous renseignent aujourd'hui sur l'activité passée intense du trou noir et des régions centrales de notre Galaxie. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature du 21 mars 2019.
Un monstre endormi
Les régions situées au centre de la Voie lactée représentent un véritable laboratoire pour l’astrophysique des hautes énergies. Elles ont déjà fait l’objet de nombreuses études, notamment en rayons X qui permettent de détecter les phénomènes les plus énergétiques de la région, en particulier le gaz très chaud présent dans les environs immédiats du trou noir supermassif Sagittarius A*, situé au centre de notre Galaxie. Ce trou noir central, de plus de 4 millions de fois la masse du Soleil, est actuellement particulièrement inactif. Jusqu'ici, il est responsable seulement de façon persistante d'un fort rayonnement d'ondes radio et d'une très faible émission de rayons X ainsi que de quelques sursauts de faible luminosité qui lui paraissent associés, observés en rayons X et aux fréquences infrarouges.
Pourtant, l'observation récente par le satellite gamma de hautes énergies FERMI de vastes structures, baptisées « bulles de Fermi », vers le centre galactique laisse soupçonner des épisodes de violente activité dans le passé. Découvertes en 2010, les « bulles de Fermi » sont deux larges volumes d'émission en rayons gamma de très haute énergie (GeV), s’étendant sur environ 25 milliers d’années-lumière, de part et d’autre du plan Galactique. Elles témoignent ainsi d’une activité exceptionnelle au cœur de notre Galaxie. Pourtant leur origine reste un mystère et leur association directe avec le trou noir central n'a pu encore être démontrée de façon certaine.
Des cheminées de gaz chaud
De 2016 à 2018, l'équipe des chercheurs, avec notamment des astrophysiciens Département d'Astrophysique du CEA-Irfu (DAp) et du laboratoire Astroparticule et Cosmologie de Paris (APC), ainsi que de l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble (IPAG) avec le soutien du Centre National d'Etudes Spatiales (CNES), a alors mobilisé le satellite européen XMM-Newton pour établir une carte à grande échelle de l'émission en rayons X de la région du centre de la Galaxie. Près de cinquante nouvelles observations sur une durée totale de plus de 300 heures lors de deux campagnes, jointes aux observations déjà acquises par le satellite qui est en orbite depuis près de vingt ans, ont alors abouti à une image spectaculaire.
La carte de l'émission en rayons X, qui couvre une région de 1800 par 1500 années-lumière à la distance du centre galactique, a révélé l'existence de véritables « cheminées » de gaz, deux structures en forme de cylindres qui semblent remplies d'un gaz très chaud, à des températures de plusieurs millions de degrés, s'échappant de part et d'autre du centre de la Galaxie. Ces cheminées culminent jusqu'à une hauteur d'environ 500 années-lumière, perpendiculairement au-dessus du plan galactique, exactement dans l'axe des bulles de Fermi.
Selon l'un des auteurs, Andrea Goldwurm du Département d'Astrophysique du CEA et du laboratoire Astroparticule et Cosmologie de Paris qui a conduit de nombreuses études du centre galactique à hautes énergies : « L’hypothèse la plus convaincante est que les cheminées de gaz chaud que nous avons découvertes pourraient être le canal qui transporte l'énergie de la région active du centre de la Galaxie vers l'extérieur, alimentant ainsi les bulles de Fermi, comme le suggère leur morphologie« .
Néanmoins le lien immédiat avec le trou noir super-massif n'est pas totalement éclairci. Selon Maïca Clavel de l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble, co-auteure : « Bien que ce lien semble suggéré en raison de l'intermittence probable de l'injection d'énergie provenant des régions centrales, il ne peut être entièrement prouvé en raison des incertitudes sur la forme exacte des cheminées de gaz chaud au plus près du trou noir et de la complexité de cette région centrale« .
En dehors du trou noir massif, le centre de la Galaxies est en effet très riche en étoiles et il ne peut être exclu que l'explosion en chaine d'étoiles (supernovae) ou même le vent de particules issu d'étoiles très massives soit également une source d'énergie importante pouvant alimenter le gaz chaud des cheminées. Le lien suggéré entre les cheminées de gaz découvertes par XMM et les grandes bulles de FERMI est néanmoins un indice important démontrant que l'activité du centre de notre Galaxie a été très intense dans le passé, il y a seulement quelques millions d'années. Le trou noir central est plus que jamais sous surveillance.
Contact : Andrea GOLDWURM
Publication :
« An X-ray Chimney extending hundreds of parsecs above and below the Galactic Centre »
G. Ponti, F. Hofmann, E. Churazov, M. R. Morris, F. Haberl, K. Nandra, R. Terrier, M. Clavel, A. Goldwurm
publié dans la revue Nature du 21 mars 2019 et Nature News & Views
Voir : – le communiqué de presse du CEA (21 mars 2019)
– le communiqué de presse de l'Agence Spatiale Européenne (21 mars 2019)
– le communiqué du CNES (21 mars 2019)
Voir aussi : – Bulles et filaments au cœur de la Voie lactée (19 août 2015)
– Traces d’éruptions multiples du trou noir central de la Galaxie (24 octobre 2013)
– Reflet du passé (27 mai 2010)
Rédaction: M. Clavel, A. Goldwurm, J.M. Bonnet-Bidaud