Les filaments, berceaux des étoiles
Une équipe internationale dirigée par le Département d'Astrophysique-Laboratoire AIM du CEA-Irfu vient d’obtenir des nouveaux indices sur l’origine de la distribution en masse des étoiles, en combinant des données d’observation provenant du grand interféromètre ALMA et du radiotélescope APEX opérés par l'Observatoire Européen Austral (ESO) et de l’observatoire spatial Herschel. Grâce à ALMA, les chercheurs ont notamment découvert dans la nébuleuse dite de la Patte de chat, située à environ 5500 années-lumière, la présence de cœurs denses protostellaires beaucoup plus massifs que ceux observés dans le voisinage solaire. Les chercheurs ont pu montrer qu'il existe un lien étroit entre la distribution en masse des filaments interstellaires et la distribution en masse des étoiles. La densité – ou masse par unité de longueur – des filaments parents est donc le paramètre clé qui contrôle la « masse » des étoiles formées. Cette découverte donne un indice-clé sur l’origine des masses stellaires. Ces résultats sont publiées dans trois articles de la revue Astronomy & Astrophysics.
L'énigme de la masse des étoiles
Les étoiles sont l’un des éléments constitutifs de l’Univers et la vie d’une étoile est presque entièrement déterminée par sa masse initiale. Mais, l’origine de la distribution en masse des étoiles à la naissance – appelée fonction de masse initiale par les astronomes – est encore une question non résolue. On a longtemps considéré que les étoiles se formaient par l'effondrement d'un nuage interstellaire plus ou mois sphérique. Mais à partir de 2009, l’observatoire spatial Herschel, observant dans l'infrarouge lointain et le submillimétrique, a permis une découverte fondamentale en révélant que les étoiles naissent principalement dans des filaments de gaz froid. Lorsque ces longs filaments de gaz, à une température d'à peine ~ 10 K (soit 10 degrés au dessus du zéro absolu), atteignent un seuil critique en densité d’environ 5 fois la masse du Soleil (Mo) par années-lumière de longueur, la concentration de masse devient suffisante pour former des étoiles.
En observant les nuages interstellaires du voisinage solaire, les résultats du satellite Herschel ont montré que les filaments qui forment les étoiles ont tous à peu près la même largeur, voisine de ~0.3 année-lumière. Dans ces nuages, la masse caractéristique des étoiles formées par fragmentation des filaments est d'environ ~0.3 masse solaire.
Mais la sensibilité et la résolution des images du satellite Herschel étaient insuffisantes pour étudier ce processus de fragmentation dans des nuages plus lointains. Pour mieux comprendre comment des étoiles significativement plus massives que notre Soleil peuvent se former au sein de filaments interstellaires, les astronomes ont donc dû utiliser des instruments offrant un pouvoir de résolution supérieur à celui d’Herschel, comme la caméra ArTéMiS sur le radiotélescope APEX et le grand interféromètre ALMA, tous les deux situés dans le désert d’Atacama au Chili.
Des étoiles plus massives dans des filaments plus denses ?
L'étude a porté en particulier sur une région de formation d’étoiles massives, dénommée NGC 6334, aussi connue sous le nom de nébuleuse de la Patte de chat, située à environ 5500 années-lumière de la Terre. Cette nébuleuse a été l’une des premières régions « photographiée » par la caméra ArTéMiS observant dans le domaine submillimétrique à 350 µm. L’image d’ArTéMiS a révélé que le filament principal a une largeur d’environ 0,5 années-lumière, très semblable à celle mesurée avec Herschel pour les filaments du voisinage solaire. La masse linéique de ce filament – environ 300 masses solaires par année-lumière de longueur – est en revanche plus de vingt fois plus élevée que celle de la plupart des filaments du voisinage solaire.
Les chercheurs du laboratoire AIM ont pu ensuite cartographier une partie du filament de la Patte de chat grâce l’interféromètre ALMA. A son tour, l'image ALMA a montré que la structure du filament est très similaire à celle des filaments du voisinage solaire, faite de « fibres » ou de tresses entrelacées et de condensations proto-stellaires mais ces condensations proto-stellaires sont ici un ordre de grandeur plus massives. Il apparaît donc que les filaments interstellaires se fragmentent qualitativement de manière très semblable, indépendamment de leur densité, mais que la masse caractéristique des condensations proto-stellaires – et donc des étoiles – qui résulte de cette fragmentation augmente avec la densité linéique des filaments.
Cette relation, démontrée pour la première fois, renforce l’idée que la formation des étoiles à partir de filaments de matière est peut-être quasi-universelle. Les filaments apparaissent donc comme des « briques de base » de la naissance des étoiles et la densité (ou masse par unité de longueur) des filaments serait le paramètre critique qui détermine finalement la masse des étoiles formées. La distribution en masse des étoiles formées serait ainsi partiellement « héritée » de la distribution en densité des différents filaments interstellaires.
Mais l'énigme de la masse des étoiles n'est pas encore totalement résolue. Car une nouvelle question se pose à la suite de ces travaux : quelle est l’origine de la distribution en densité des filaments interstellaires où se forment les étoiles ? Les chercheurs soupçonnent que le champ magnétique et l’organisation des lignes de champ à l’intérieur des filaments jouent ici un rôle crucial. L’instrument B-BOP, l’imageur polarimétrique du projet SPICA de télescope spatial cryogénique pour l’infrarouge proposé comme mission M5 de l’Agence Spatiale Européenne (ESA), devrait permettre de tester cette hypothèse à l’avenir.
Contact : Philippe ANDRE
Publications :
– « Probing fragmentation and velocity sub-structure in the massive NGC 6334 filament with ALMA » Y. Shimajiri, Ph. André, E. Ntormousi et al. (2019) sous presse dans la revue Astronomy & Astrophysics (Voir : https://arxiv.org/abs/1910.02622)
– « Properties of the dense core population in Orion B as seen by the Herschel Gould Belt survey »
V. Könyves, Ph. André, D. Arzoumanian et al. (2019) sous presse dans la revue Astronomy & Astrophysics (Voir : https://arxiv.org/abs/1910.04053)
– « The role of molecular filaments in the origin of the prestellar core mass function and stellar initial mass function »
Ph. André, D. Arzoumanian, V. Könyves et al. (2019), Astronomy & Astrophysics (Letters), 629, L4
– « Characterizing the properties of nearby molecular filaments observed with Herschel »
D. Arzoumanian, Ph. André, V. Könyves et al. (2019), Astronomy & Astrophysics, 621, A42
ALMA is a partnership of ESO (representing its member states), NSF (USA) and NINS (Japan), together with NRC (Canada), NSC and ASIAA (Taiwan), and KASI (Republic of Korea), in cooperation with the Republic of Chile. The Joint ALMA Observatory is operated by ESO, AUI/NRAO and NAOJ.
APEX is a collaboration between the Max Planck Institute for Radio Astronomy (MPIfR), the Onsala Space Observatory (OSO) and ESO. Operation of APEX at Chajnantor is entrusted to ESO.
Voir aussi : La caméra ArTéMiS en opération à 5100 m d'altitude (11 mars 2017)
Les étoiles naissent dans des filaments denses (06 juin 2016)
Plongée au coeur de la formation des étoiles avec ArTéMiS (25 septembre 2013)
La naissance d'une étoile géante (10 juillet 2013)
Contrat rempli pour l'observatoire spatial Herschel (29 avril 2013)
Rédaction: Ph. André, J.M. Bonnet-Bidaud