La simulation Grand Challenge “Extreme-Horizon”: comprendre l’Univers noir et la formation des galaxies

La simulation Grand Challenge “Extreme-Horizon”: comprendre l’Univers noir et la formation des galaxies

Le projet de simulation “Extreme-Horizon”, collaboration internationale menée par des équipes du CEA (avec le DAp et DEDIP de la DRF/Irfu et la DAM/DSSI) avec notamment la participation de l’IAP du CNRS, constitue l’un des principaux “grands challenges” réalisés sur la nouvelle architecture du supercalculateur Joliot Curie de GENCI au Très Grand Centre de Calcul du CEA (TGCC), utilisant plus de 25.000 cœurs de calculs sur cinquante millions d’heures. En utilisant le code numérique RAMSES à « résolution variable », cette simulation modélise l’évolution des structures cosmiques, galaxies, étoiles et trous noirs supermassifs, à partir de quelques instants après le big bang jusqu’à aujourd’hui.

Grace à la montée en puissance du TGCC et au code avec des mailles adaptatives, cette simulation a repoussé les limites en résolvant la matière intergalactique diffuse (réservoir du gaz accrété par les galaxies) qui représente 90% du volume de l’Univers, à un niveau de précision jamais atteint. Ce gain en haute résolution dans les régions de faible densité est une première et a eu deux conséquences surprenantes aux échelles galactiques et cosmologiques. Les résultats ont donné lieu à une publication dans la revue A&A.

La température du gaz est montrée ici (violet ~104 K – jaune ~107 K). Les principales galaxies apparaissent comme des points froids au sein de vastes halos de gaz chaud.
https://youtube.com/watch?v=r5a-gnwn9qk

Réalisation : unité de communication CEA Paris-Saclay/DRF, CEA/Irfu.

Tournage et montage: Francis Rhodes

Les enjeux d’une simulation de l’Univers

La matière visible ne constitue que 16% de la masse totale de l’Univers. L’essentiel est formé d’une composante invisible, la “matière noire”. Matière noire et visible ne constituent pour autant que 30% du contenu énergétique de l’univers, dont 70% prend la forme d’”énergie noire”, responsable de l’expansion accélérée de l’Univers. Pour comprendre la nature de la matière et de l’énergie noires, les astrophysiciens ont recours à deux grands types d’observations : les sondages de la structure de l’Univers à des échelles allant du mégaparsec (Mpc) à plusieurs gigaparsecs (Gpc) par différents traceurs, et l’étude détaillée des propriétés des galaxies, de leur formation et leur évolution. Dans les deux cas, ces observations ne peuvent être interprétées qu’en comparaison aux prédictions de modèles théoriques de matière et énergie noires. Ces prédictions théoriques sont établies par recours à la simulation numérique sur les plus grands supercalculateurs mondiaux, et nécessitent d’incroyables quantités de calcul, avec plusieurs dizaines millions d’heures de calcul pour faire évoluer des univers de quelques centaines de Mpc3.

http://www.galactica-simulations.eu/eh_l50/index.html

Carte interactive réalisée par Damien Chapon (Dedip) à partir des données de la simulation Extrême Horizon. Différentes couches peuvent être visualisées (densité, entropie, métallicité, composite densité/entropie/métallicité, vitesse du gaz) auxquelles il est possible de superposer les lignes de champ de vitesse du gaz. À leur niveau de zoom le plus élevé, ces images de 32768 x 32768 pixels ont nécessité plusieurs dizaines de milliers d'heure de calcul. Un pixel de chacune de ces cartes correspond aux plus petites mailles de cette simulation 3D.

Nécessité d’un supercalculateur

Le supercalculateur Joliot-Curie, avec une puissance de 22 pétaflops, est le supercalculateur de recherche académique et industrielle ouverte le plus puissant de France et le troisième plus puissant d’Europe. Joliot-Curie dispose, depuis janvier 2020, d’une puissance de calcul étendue avec plus de 440.000 cœurs x86 répartis dans 5.000 nœuds de Calcul Haute Performance. Il occupe aujourd’hui la 34e position dans le Top500. Pour la simulation d’Extreme-Horizon, Le volume de données numériques a dépassé 3To à chaque instant du calcul, justifiant la mise en œuvre de nouvelles techniques d’écriture (le code numérique à raffinement adaptatif de maille RAMSES, figure 1) et de lecture des données de simulations, réduisant l’utilisation de l’espace disque et accélérant l’accès aux données.

Cette mise en place a été le fruit d’une collaboration entre des équipes de la DRF et la DAM au CEA.

Figure 1: Le code de simulation RAMSES (R. Tessier et al.) est un code numérique pour l’astrophysique et la cosmologie. Il est basé sur une technique de calcul à base de maille adaptative. La figure illustre bien la configuration du maillage adaptatif en fonction de la densité de matière (RAMSES User’s Guide).

Impact sur les résultats scientifiques

Aux échelles cosmologiques, c’est l’étude de la forêt Lyman-alpha, traceur idéal pour contraindre la masse des neutrinos et étudier différents modèles de matière noire et d’énergie noire, qui a bénéficié du gain en résolution du milieu intergalactique. La forêt Lyman-alpha est une collection de raies d’absorption observée dans les spectres de quasars, qui sont parmi les objets les plus lumineux de l’univers, visibles jusqu’à plus de 10 milliards d’années-lumière. La forêt Lyman-alpha provient de l’hydrogène intergalactique, présent sur le trajet de la lumière du quasar, traçant ainsi la distribution de matière aux grandes échelles de l’Univers. Entre nous et ces quasars lointains, de nombreux trous noirs supermassifs expulsent une quantité considérable d’énergie dans le milieu intergalactique, modifiant ainsi son état thermique, et donc les propriétés de la forêt Lyman-alpha : le modèle physique baryonique implémenté dans RAMSES décrit finement ces effets de rétro-action des trous noirs supermassifs et Extreme-Horizon a permis l’étude précise de l’impact de ce phénomène sur la forêt Lyman-alpha. Ignorer un tel effet dans les prédictions théoriques biaise les estimations des paramètres cosmologiques de quelques pour cent, rendant indispensable leur modélisation fine par le biais d’une telle simulation numérique [1].

Grâce aux mesures faites dans la simulation, le facteur correctif nécessaire aux analyses de données de traceurs Lyman-alpha (comme l’expérience DESI Dark Energy Spectroscopic Instrument), sera crucial (figure 2). Ce facteur correctif peut dépasser 5% alors que l’expérience vise une précision de 1%.

Figure 2 : cette figure montre l’impact des phénomènes de rétro-action des trous noir sur le spectre de puissance de la forêt Lyman-alpha à différents redshifts z (courbe de couleur, plus z est petit, plus l’Univers est vieux, ou proche de nous). En ordonnée, le facteur beta = [spectre de puissance (avec mécanisme de rétro-action) / spectre de puissance (sans rétro-action ) – 1]. Autrement dit, si beta =0 il n’y a aucun impact, si beta = 0,08, il y a 8% d’effet.

Aux échelles galactiques, la haute résolution dans les régions de faible densité a permis une meilleure modélisation des flux de gaz froid s’accrêtant sur les galaxies qui a eu pour conséquence de voir apparaitre dans ces simulations des galaxies massives ultra-compactes lorsque l’univers avait 2-3 milliard d’années, ce qui est en meilleur accord avec les observations par rapport aux autres simulations. Extreme-Horizon apporte une interprétation inédite aux galaxies ultracompactes de l’Univers primordial [2], révélée entre autres par des observations récentes du radiotélescope ALMA [3] (figure 3).

Figure 3 : relation masse-taille des galaxies de la simulation Extreme-Horizon (bleu) comparé à celle de la même région de l’Univers re-simulée à la résolution habituelle des simulations cosmologiques (rouge). Extreme-Horizon reproduit la relation masse-taille des galaxies observées (courbe noire) et explique la présence de galaxies ultra-compactes (sous la courbe en pointillés) observées dans l’Univers primordial, grâce au gain de résolution dans le milieu diffus qui alimente la formation des galaxies.

D’après Extreme-Horizon, ces galaxies ultra-compactes se forment par agglomération rapide de nombreuses galaxies très petites, une formation “ en essaim d’abeilles”, qui n’a pu être révélée que grâce à la résolution sans précédent de cette simulation numérique (figure 4).

Figure 4 : en haut : Extreme-Horizon, zoom sur un amas de galaxies avec en jaune des galaxies de type Voie Lactée alimentées par des filaments cosmologiques de gaz diffus. En bas : Même région dans la simulation Standard-Horizon qui modélise le gaz intergalactique à la résolution standard des grandes simulations cosmologiques existantes.

Quelques vidéos 2D à télécharger (Projet COAST Bruno Thooris)

[1] The impact of AGN feedback on the 1D power spectra from the Ly-α forest using the Horizon-AGN suite of simulations – Chabanier, Solène; Bournaud, Frédéric; Dubois, Yohan; Palanque-Delabrouille, Nathalie; Yèche, Christophe; Armengaud, Eric; Peirani, Sébastien. MNRAS, 495, 1825 (2020)

[2] Formation of compact galaxies in the Extreme-Horizon simulation – Chabanier, S; Bournaud, F.; Dubois, Y. et al., A&A Letters, submitted.

[3] Starbursts in and out of the star-formation main sequence – Elbaz, D.; Leiton, R.; Nagar, N.; Okumura, K.; et al. A&A 616, A110 (2018)

Le communiqué de presse du CEA

Contacts Irfu: Solène Chabanier (DPhP), Frédéric Bournaud (DAp), Damien Chapon (Dédip)

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