Pénurie de planètes proches d’étoiles en rotation rapide : biais observationnel ou cause physique ?

Pénurie de planètes proches d’étoiles en rotation rapide : biais observationnel ou cause physique ?

Pour dévoiler ce mystère, plusieurs équipes aux compétences diversifiées du Département d’Astrophysique ont dû se réunir, car l’architecture qui unie l’étoile à sa planète est très complexe. Il fallait fusionner une compréhension fine de la physique stellaire et planétaire, en explorant leurs interactions, et avoir une connaissance approfondie des observations du satellite Kepler (NASA) pour en être capable d’en déchiffrer les données.

L’étude démontre que la rareté observée semble découler non pas d’un biais observationnel, mais plutôt de causes physiques. Les effets de marée et le magnétisme suffisent à expliquer qualitativement et quantitativement la migration des planètes proches autour des étoiles à rotation rapide. De surcroît, cette migration semble être dépendante du type spectral (qui dépend fondamentalement de la masse) de l’étoile. Bien que ces résultats soient prometteurs, il est néanmoins nécessaire d’élargir la taille de l’échantillon pour mieux contraindre la pénurie et mieux comprendre les mécanismes en jeu. En particulier, cette étude souligne l’importance de considérer le type spectral des étoiles (leurs masses) si l’on veut correctement modéliser les interactions étoile-planète.

Ce travail fait l’objet d’une publication dans la revue Astronomy & Astrophysics.

Figure 1 – Modélisation de l’interaction magnétique étoile-planète. Crédit : CEA/A. Strugarek
Un trou dans les données : biais observationnel ou réalité physique ?

Lancé en 2009, le satellite Kepler a observé la même portion du ciel durant plus de 4 ans à la recherche d’exoplanètes par la méthode des transits. Avec la découverte de plus de 3000 exoplanètes à son actif, contribuant ainsi à plus de la moitié des découvertes confirmées à ce jour, Kepler a révolutionné notre compréhension des planètes et de leurs étoiles hôtes.

La science est faite de découvertes, mais toujours sous couvert d’incertitudes et de biais, liés à plusieurs facteurs, connus ou pas. Il y a notamment les biais observationnels qui peuvent mener à des conclusions erronées juste parce que l’échantillon que l’on étudie n’est pas représentatif. Les chercheurs en font donc la traque, au moyen de tests statistiques notamment.

Dans le cas des observations Kepler, on a constaté à partir de 2013 (McQuillan et al. 2013) une pénurie de planètes à mesure que celles-ci sont proches des étoiles, mais pas de n’importe quelles étoiles : celles qui tournent rapidement sur elles-mêmes, dites « à rotation rapide » (c’est-à-dire jusqu’à 10 fois plus rapide que notre Soleil). Sur la figure 2, cette pénurie est clairement visible sous la ligne magenta. Est-ce que ce trou est dû à simplement un biais observationnel, lié à un nombre trop faible d’observation par exemple, ou bien y a-t-il une raison physique sous-jacente ?

Figure 2 – Le diagramme représente la période de rotation de l’étoile (Prot) en fonction de la période orbitale des planètes (Porb) détectées par le satellite Kepler. Les points bleus représentent un système composé d’une seule planète et d’une seule étoile. Plus ce point est bas dans le diagramme, plus l’étoile hôte tourne rapidement sur elle-même. Plus le point est à gauche, plus la planète tourne rapidement autour de son étoile, signifiant qu’elle en est proche. Ainsi, on constate une pénurie de planètes rapprochées des étoiles à rotation rapide (en bas à gauche donc), représentée par la ligne pointillée magenta. La ligne pointillée grise correspond à la synchronisation 1:1, c’est-à-dire que la planète tourne à la même vitesse autour de son étoile que celle-ci tourne sur elle-même. Crédit : Garcia et al. 2023
Des données méticuleusement sélectionnées

Dans le but de comprendre cette pénurie dans les données, les chercheurs vont comparer ces systèmes observés à une population synthétique calculée avec le code d’évolution étoile-planète ESPEM (Évolution des Systèmes Planétaires et du Magnétisme). Ce dernier calcule les interactions de marées et magnétiques dans un système composé d’une seule étoile et d’une seule planète, depuis la phase de dissipation du disque de gas dans lequel se forme le système exo-planétaire jusqu’à la fin de la séquence principale.

Alors, tout comme un bon cuisinier sélectionne avec soin ses ingrédients avant de concocter un plat, les chercheurs commencent par sélectionner l’échantillon d’étude de manière strict afin de ne pas introduire de biais observationnel qui pourrait fausser les résultats.

Pour cela, les données d’observations doivent suivre deux critères :

  • Utiliser uniquement les observations de Kepler dont les caractéristiques sont très bien connues et maîtrisées. Un mélange de données provenant de différents télescopes pourrait introduire des biais observationnels.
  • Des systèmes pouvant être modélisés par le code ESPEM. A savoir : Les systèmes doivent contenir qu’une seule planète et qu’une seule étoile. Cette dernière doit être dans la séquence principale (c.a.d. des étoiles qui brulent l’Hydrogène dans leur noyau), et possédant suffisamment de taches d’origine magnétique à leur surface pour pouvoir mesurer précisément leur période de rotation (Prot).

Au final, ce sont 576 systèmes exo planétaires observées par Kepler qui respectent ces critères.

Une pénurie confirmée par les modèles stellaires

Les systèmes exo planétaires synthétiques générées par le code de modèles ESPEM prévoient également une pénurie de planètes en orbite étroite autour d’étoiles à rotation rapide, prédiction en accord avec l’échantillon de données Kepler comme le montre la Figure 2. De plus, une corrélation semble émerger avec le type spectral des étoiles, en d’autres termes, avec leur masse : Il y aurait davantage de planètes rapprochés d’étoiles à rotation rapide froides de type K, donc peu massives (0,436 ≤ M ≤ 0,896 M☉), qu’autour d’étoiles chaudes de type F, donc massives (M >= 1.015 M☉).

Cette tendance s’explique par l’interaction complexe entre l’étoile et la planète, principalement régie par la force de gravitation et les forces magnétiques.

L’interaction gravitationnelle entre deux astres engendre des effets de marées, induisant des déformations de leur structure. Ces déformations dissipent de l’énergie (initialement sous forme gravitationnelle) sous forme de chaleur, entrainant un échange de moment cinétique pouvant ralentir ou accélérer la rotation de l’étoile centrale et faisant migrer la planète vers l’extérieur ou vers l’étoile. C’est pour cette raison que la Lune s’éloigne de la Terre de 3,8 cm par an : les marées terrestres, principalement causées par la Lune, induisent un ralentissement de la rotation de la Terre, contribuant à l’éloignement de la Lune. De la même manière, une planète peut migrer en raison des effets de marée qu’elle génère sur son étoile, avec des effets d’autant plus marqués que la planète est massive.
Ensuite, d’intensité moindre en général (mais pas toujours), le magnétisme entre en jeu. De la même manière qu’un grand bateau perturbe la vitesse d’un plus petit qui rentre dans son sillon, l’empreinte magnétique d’une étoile dans son environnement applique un effet de trainée magnétique sur les planètes en orbite. Plus la planète est proche de l’étoile, plus cette trainée est intense, et peut alors faire migrer la planète sur des échelles de temps typiques de la centaine de millions d’années.

Les orbites des planètes massives sont principalement influencées par les marées, tandis que les planètes moins massives sont surtout affectées par le magnétisme. Pour les étoiles chaudes de type F, l’influence prédominante est magnétique, tandis que pour les autres étoiles plus froides, ce sont surtout les marées qui jouent un rôle déterminant. Ainsi, dépendamment du type spectral de l’étoile et de la masse de la planète, une planète peut migrer plus ou moins loin de son étoile, expliquant la distribution planétaire en orbite autour des étoiles à rotation rapide observée.

Toutefois, bien que ces résultats soient prometteurs, il est nécessaire d’augmenter la taille de l’échantillon afin de mieux contraindre la pénurie et comprendre les mécanismes en jeu. Ces conclusions préliminaires démontrent néanmoins l’importance de considérer à l’avenir le type spectral des étoiles lorsque l’on modélise les interactions qu’unissent une étoile à sa planète.

Contacts : Rafael Garcia et Antoine Strugarek

Figure 3 – Même légende que la figure 2, séparé cette fois-ci par le type spectral de l’étoile, les plus froides en haut, auquel a été superposé la distribution étoile-planète possible calculées par le code ESPEM, avec en rouge la plus grande densité. A noter qu’il y a un facteur de 100 de différence entre les couleurs rouges et vertes dans l’échelle de densité. La zone grise correspond à l’espace des paramètres ne pouvant être calculé par ESPEM. Crédit : Garcia et al. 2023