Les plus petits « tremblements stellaires » jamais détectés

Les plus petits « tremblements stellaires » jamais détectés

Une équipe internationale, dont fait partie le Département d’Astrophysique du CEA-Saclay, dirigée par l’Instituto de Astrofísica e Ciências do Espaço (IA), a utilisé l’un des spectrographes les plus avancés au monde pour détecter les plus petits « tremblements stellaires » jamais enregistrés dans une étoile naine orange, ce qui en fait l’étoile la plus petite et la plus froide observée à ce jour avec des oscillations solaires confirmées. Cette étude démontre que l’astérosismologie est une technique puissante pour étudier de telles étoiles, ouvrant de nouvelles perspectives dans notre compréhension de la physique stellaire et, par la même occasion, des exoplanètes.

Cette étude fait l’objet d’une publication dans le journal Astronomy & Astrophysics Letters : “Expanding the frontiers of cool-dwarf asteroseismology with ESPRESSO: Detection of solar-like oscillations in the K5 dwarf ε Indi”.

Impression d’artiste des ondes sismiques se propageant au sein de l’étoile à des couches plus ou moins profondes en fonction de leurs fréquences. L’étude de ces différents modes de vibration au niveau de la surface de l’étoile nous informe quant à la structure et la composition des différentes couches stellaires, tout comme un échogramme nous permet de voir l’intérieur de notre corps. Crédit : Tania Cunha (Planetário do Porto – Centro Ciência Viva)/Instituto de Astrofísica e Ciências do Espaço)
Des mesures incroyablement précises…

Située à une distance de 11,9 années-lumière, Epsilon Indi (ε Indi) est une étoile naine orange (également connue sous le nom de naine K) dont le diamètre est de 71 % celui du Soleil. Pour observer cette petite étoile, l’équipe de scientifiques a utilisé le puissant spectrographe ESPRESSO, monté sur le Very Large Telescope (VLT) de l’Observatoire européen austral (ESO).

L’équipe a ensuite utilisé une technique appelée astérosismologie permettant de mesurer les tremblements stellaires. Ces oscillations sismiques, mesurables qu’au niveau de la surface de l’étoile par photométrie ou vitesse radiale, sont riches en informations car elles se propagent dans toutes les étoiles. Elles donnent une mesure précise des paramètres fondamentaux stellaires (masse, rayon, âge) ainsi qu’un aperçu indirect de l’intérieur de l’étoile, telle que sa structure et sa composition, à l’instar des séismes terrestres qui nous renseignent sur l’intérieur de la Terre.

Dans le cas de ε Indi, l’amplitude maximale des oscillations détectées est de seulement 2,6 centimètres par seconde, soit 14 % de l’amplitude des oscillations solaires, ce qui en fait l’étoile naine la plus petite et la plus froide observée à ce jour avec des oscillations solaires confirmées. Ces mesures sont si précises que la vitesse détectée est plus lente que la vitesse moyenne d’un paresseux !

« Le niveau d’extrême précision de ces observations est une réalisation technologique exceptionnelle. Il est important de noter que cette détection montre de manière concluante que l’astérosismologie précise est possible jusqu’aux naines froides avec des températures de surface aussi basses que 4200 degrés Celsius, soit environ 1000 degrés de moins que la surface du Soleil, ouvrant ainsi effectivement un nouveau domaine en astrophysique observationnelle », commente Tiago Campante, chercheur principal de l’étude et professeur adjoint au Département de physique et d’astronomie de la Faculté des sciences de l’Université de Porto (DFA-FCUP).

Infographie comparant l’étoile naine orange ε Indi au Soleil. La détection de si faibles oscillations ouvre de nombreuses perspectives, à la fois en physique stellaire et dans l’étude des exoplanètes. Crédit: Paulo Pereira (Instituto de Astrofísica e Ciências do Espaço)
… qui ouvrent bien de nouvelles perspectives !

Ce niveau de précision pourrait aider les scientifiques à résoudre un désaccord de longue date entre la théorie et les observations concernant la relation entre la masse et le diamètre de ces étoiles naines froides. « Les modèles d’évolution stellaire ont tendance à sous-estimer le diamètre des naines K de 5 à 15 % par rapport au diamètre obtenu par des méthodes empiriques. L’étude des oscillations dans les naines K, via l’astérosismologie, permettra d’identifier les lacunes des modèles stellaires actuels et, ainsi, de les améliorer afin d’éliminer cette disparité », explique la chercheuse Margarida Cunha, de l’IA.

Malgré un scepticisme initial quant à la possibilité de détecter de telles oscillations au-delà des capacités instrumentales actuelles, Mário João Monteiro (IA & DFA-FCUP) explique que : « En plus de détecter la présence d’oscillations solaires dans ε Indi, nous espérons désormais utiliser les oscillations pour étudier la physique complexe des couches superficielles des naines K. Ces étoiles sont plus froides et plus actives que notre Soleil, ce qui en fait des laboratoires importants pour sonder les phénomènes clés se déroulant dans leurs couches superficielles que nous n’avons pas encore étudiés en détail dans d’autres étoiles. »

Par ailleurs, étant donné que les étoiles naines oranges et leurs systèmes planétaires ont des durées de vie très longues, elles sont récemment devenues un point focal principal dans la recherche de mondes habitables et de vie extraterrestre. Ce résultat démontre que l’astérosismologie peut être mise à contribution dans la caractérisation détaillée de telles étoiles et de leurs planètes habitables, avec des implications véritablement étendues. De plus, la détermination précise des âges des naines froides proches rendue possible par l’astérosismologie peut être cruciale dans l’interprétation des biosignatures dans les exoplanètes directement imagées.

Diagramme du rayon stellaire en fonction de la température effective, mettant en évidence les détections sismiques des campagnes de photométrie Kepler et TESS (cercles bleus) et de vitesse radiale (diamants rouges). Les lignes pointillées délimitent les classes spectrales des étoiles. ε Indi est l’étoile la plus petite et la plus froide analysée en astérosismologie. Crédit : Campante et al. 2024

Enfin, ces « secousses stellaires » peuvent également être utilisées pour aider à planifier le futur télescope spatial PLATO de l’Agence spatiale européenne (ESA), une mission à laquelle le Département d’Astrophysique est fortement impliqué. Les amplitudes d’oscillation mesurées dans cette étude sont une information clé pour aider à prédire avec précision le rendement sismique de PLATO, prévu pour être lancé en 2026.

Contacts : Rafael Garcia