Les magnétars sont des étoiles à neutrons arborant les champs magnétiques les plus intenses observés dans l’Univers. Pour s’atteler à la question encore ouverte de l’origine de ces champs magnétiques extrêmes, un scénario a été proposé par une équipe du Département d’Astrophysique (DAp) du CEA Saclay faisant appel au mécanisme dynamo de Tayler-Spruit, provoqué par la matière qui retombe sur la jeune étoile à neutrons après l’explosion en supernovae. L’équipe de scientifiques avait montré en 2022 par une analyse analytique que ce type de dynamo pouvait expliquer l’intensité du champ magnétique des magnétars. Dans cette nouvelle étude, l’équipe confirme ce résultat grâce à des simulations numériques tridimensionnelles. Cela aura de grandes répercussions sur la compréhension de l’origine des champs magnétiques, non seulement pour les magnétars, mais aussi pour l’évolution stellaire où le même mécanisme dynamo pourrait être à l’œuvre.
Cette nouvelle étude a été publié dans le journal Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters.
Les scénarios de la formation des magnétars
Les étoiles à neutrons sont le résultat de la contraction violente du coeur de fer d’une étoile massive pendant son explosion en supernova gravitationnelle. Elles ont un rayon d’environ 12 km et une masse de 1 à 2 fois celle du Soleil, ce qui implique une densité extrême. Les magnétars sont une classe spéciale d’étoiles à neutrons. Ils émettent principalement dans les rayons X à cause de la dissipation d’un champ magnétique extrêmement intense qui, en combinaison avec une rotation très rapide, peut provoquer des supernovae extrêmement énergétiques, comme les hypernovae et les supernovae super-lumineuses.
La question de la formation des magnétars, ainsi que le scénario des explosions extrêmes associé, est encore vivement débattue mais un scénario prometteur est l’amplification du champ magnétique par un effet dynamo dans une proto-étoile à neutrons.
Les effets dynamos, qui sont certainement à l’origine de la majorité des champs magnétiques astrophysiques, sont des processus d’instabilité complexe couplant les mouvements d’un fluide et de son champ magnétique pour amplifier et maintenir ce dernier de manière auto-entretenue. Deux types de dynamos ont été étudiés au sein de l’équipe supernovae du Département d’Astrophysique au CEA Saclay, l’une est entretenue par des mouvements convectifs et l’autre par une instabilité magnétohydrodynamique due à la rotation différentielle du fluide. Ces scénarios permettent de retrouver l’intensité du champ magnétique des magnétars et les explosions extrêmes. Néanmoins, ces dynamos nécessitent que le coeur de l’étoile progénitrice soit en rotation rapide, ce qui est encore incertain et probablement trop rare pour expliquer l’ensemble de la population observée.
Un troisième scénario proposé par cette même équipe suggère que la rotation rapide de la proto-étoile à neutrons vient de la matière retombant sur la surface de cette dernière environ 10 secondes après le début de l’explosion. Cela déclenche une dynamo entretenue par l’instabilité de Tayler-Spruit, une instabilité du champ magnétique toroïdal lorsqu’il devient trop intense, au dépend des deux autres mécanismes dynamos.
« Ce nouveau scénario se complète des deux précédents, car il n’exige pas un cœur en rotation rapide pour engendrer un magnétar. Ainsi, il s’applique davantage aux magnétars formés au sein de supernovae avec des énergies typiques, tandis que les deux autres conviennent mieux aux magnétars nés dans des explosions plus énergétiques, impliquant donc un cœur en rotation rapide. » précise Paul Barrère, chercheur principal de cette étude.
L’apport des simulations numériques tridimensionnelles dans la confirmation de résultats
L’existence de la dynamo de Tayler-Spruit a été longtemps débattue. Après une première étude analytique montrant que ce mécanisme peut participer à la formation des magnétars, les chercheurs de l’équipe supernovae du DAp et du Max Planck Institute for Gravitational Physics ont franchi une étape décisive en l’étudiant à travers des simulations numériques tridimensionnelles. Ces simulations ont abouti à la reproduction du dipôle magnétique, avec une intensité de 10^14 G, correspondant à l’ordre de grandeur observé dans les magnétars, confirmant ainsi l’existence de la dynamo de Tayler-Spruit.
A ce résultat de premier plan, s’ajoute la découverte qu’il existe deux types de dynamo de Tayler-Spruit qui se distinguent par l’intensité et la géométrie du champ magnétique qu’elles génèrent. Dans la figure 2, on peut voir que le champ magnétique est soit concentré dans un hémisphère (à gauche), soit à symétrie dipolaire par rapport à l’équateur (à droite). Par ailleurs, ces dynamos de Tayler-Spuit sont respectivement en accord avec les prédictions théoriques de Spruit 2002 et Fuller et al. 2019 (voir la figure 3), accentuant la pertinence de ce nouveau scénario.
« En plus de faire un grand pas dans la compréhension de la formation des magnétars, cette étude aura un impact plus large dans le domaine de la physique stellaire, notamment sur le problème du transport de moment cinétique à l’origine du ralentissement de la rotation du cœur des étoiles. » enchérie Paul Barrère.
L’équipe poursuit actuellement ce travail en étudiant l’impact de différents paramètres physiques sur les dynamos de Tayler-Spruit, dans le but de mieux comprendre la formation des magnétars et d’approfondir notre compréhension de ces dynamos.
Contacts : Paul Barrère, Jérôme Guilet, Raphaël Raynaud