Comprendre la formation des étoiles est l’une des grandes énigmes de l’astrophysique. Seulement 1 % du gaz moléculaire dense des galaxies se transforme en étoiles, un phénomène que les scientifiques cherchent encore à expliquer, malgré certaines avancées. Dans le cadre du projet CAFFEINE, une équipe de chercheurs du CEA – Paris-Saclay a utilisé la caméra ArTéMiS sur le télescope APEX au Chili pour cartographier des nuages moléculaires massifs à une résolution sans précédent en longueurs d’ondes submillimétriques. Leurs découvertes révèlent que l’efficacité de la formation des étoiles ne dépend pas de la densité du gaz moléculaire au-delà d’une densité critique. Cela s’explique peut-être par la façon dont ces nuages plus denses se fragmentent en structures filamentaires et en globules de gaz à partir desquels les étoiles se forment. Des études futures, incluant des observations avec le télescope James Webb et le réseau ALMA, promettent d’approfondir cette compréhension.
Cette étude fait l’objet de l’ESO Picture of the Week et les résultats sont publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics.
L’importance d’étudier le gaz moléculaire dense
Les étoiles sont des éléments constitutifs majeurs de l’Univers. Comprendre les facteurs qui régissent leur formation dans le milieu interstellaire froid (nuages moléculaires) des galaxies est donc l’une des questions fondamentales en astrophysique.
En 1970, la molécule de monoxyde de carbone (CO) a été découverte dans le nuage moléculaire d’Orion. Cette molécule, la deuxième plus abondante dans l’univers, possède une signature spectrale facilement identifiable, et permet de mesurer la masse d’un nuage moléculaire. Grâce à cette découverte, les astrophysiciens ont estimé directement la masse des nuages moléculaires dans notre galaxie, et ont compris que le taux de formation des étoiles est étroitement lié à la quantité de gaz moléculaire disponible. Il est alors apparu que la formation des étoiles est un processus étonnamment inefficace : seulement 1 % du gaz moléculaire est converti en étoiles. Cette faible efficacité explique pourquoi notre galaxie ne forme pas d’étoiles à un rythme excessif et non observé. L’origine de cette inefficacité reste une énigme pour les astrophysiciens depuis près de cinquante ans.
Des travaux récents, incluant notamment des études aux longueurs d’onde submillimétriques réalisées avec l’observatoire spatial Herschel, ont révélé que la formation des étoiles se produit principalement dans le gaz moléculaire dense, avec une contribution négligeable du gaz de faible densité. Il en résulte que la masse de gaz dense est un facteur bien plus déterminant pour la formation des étoiles que la quantité totale de gaz moléculaire disponible. En effet, les observations d’Herschel ont montré que la majorité des étoiles de type solaire dans le voisinage solaire (à des distances inférieures à environ 500 parsecs) se forment au sein de filaments de gaz moléculaire froid (environ 10 K) et dense, avec une largeur typique d’environ 0,1 parsec et une densité critique d’environ 16 masses solaires par parsec.
On ignore cependant si tous les filaments qui dépassent cette densité critique forment les étoiles avec une efficacité similaire, ou s’ils le font de manière de plus en plus efficace à mesure que leur densité augmente.
La capacité de résolution du télescope Herschel était néanmoins insuffisante pour discerner la structure filamentaire du gaz moléculaire au-delà du voisinage solaire, dans les complexes de formation d’étoiles massives du Plan Galactique, à des distances bien supérieures à 500 parsecs, lesquels contiennent la majorité du gaz dense et sont responsables de l’essentiel de la formation d’étoiles dans la Voie lactée.
Le relevé CAFFEINE avec ArTéMiS apporte de nouvelles réponses sur la formation des étoiles
Dans le but d’étudier la relation entre la formation des étoiles et la densité des nuages moléculaires au-delà de notre voisinage proche, une équipe de chercheurs dirigée par le Département d’Astrophysique de l’IRFU au CEA – Paris-Saclay a utilisé la caméra ArTéMiS sur le télescope Atacama Pathfinder Experiment (APEX) pour observer 49 nuages galactiques massifs formant activement les étoiles. Ce relevé, nommé CAFFEINE, a permis d’imager avec une résolution environ quatre fois meilleure que celle d’Herschel tous les nuages denses jusqu’à une distance de 3 kpc (cf. Figure 2). Ces observations ont révélé que ces nuages moléculaires contiennent deux ordres de grandeur de gaz dense en plus que les nuages du voisinage solaire, posant ainsi des contraintes beaucoup plus précises sur la dépendance de l’efficacité de la formation des étoiles avec la densité du gaz dans les nuages moléculaires, par rapport aux possibilités offertes par Herschel.
Les résultats de cette étude montrent que l’efficacité de la formation des étoiles ne croît pas avec la densité des nuages, restant approximativement constante au-delà de la densité critique des filaments moléculaires, soit 16 masses solaires par parsec (cf. Figure 3). Globalement, l’étude CAFFEINE suggère que la formation des étoiles est inefficace car elle est régulée par les processus physiques qui régissent la fragmentation de filaments de gaz dense en cœurs protostellaires à petite échelle. De plus, les filaments denses ne constituent qu’une petite fraction de la masse totale des nuages moléculaires, ce qui contribue également grandement à cette inefficacité.
Les futures observations pour aller plus loin
De nouvelles observations avec le télescope spatial James Webb (cf. Figure 4) et le grand interféromètre ALMA sont en cours pour mieux comprendre comment les filaments moléculaires se fragmentent et forment des protoétoiles, une étape clé de la formation des étoiles dans les galaxies.
Pour une compréhension approfondie de ce processus, il sera essentiel de prendre en compte l’influence du champ magnétique. Afin d’atteindre cet objectif, un imageur polarimétrique multi-longueurs d’onde embarqué dans l’espace, tel que l’instrument « B-BOP » initialement proposé pour le projet SPICA, serait d’une valeur inestimable. L’équipe de chercheurs prévoit donc d’adapter le plan focal d’ArTéMiS dans les prochaines années, en intégrant de nouveaux réseaux de détecteurs bolométriques de type B-BOP, actuellement en développement au Laboratoire d’Électronique et de Technologie de l’Information (LETI) du CEA – Grenoble.
Contacts Irfu/Dap : Philippe ANDRÉ, Michael MATTERN, Vincent REVÉRET
Publication : « Understanding the star formation efficiency in dense gas: Initial results from the CAFFEINE survey with ArTéMiS » M. Mattern, Ph. André, A. Zavagno et al. 2024, Astronomy & Astrophysics (& le lien ArXiv).