La compréhension des diverses populations stellaires constituant les galaxies est cruciale pour étudier la formation de ces dernières à travers le temps cosmique. Néanmoins, des irréductibles étoiles résistent encore et toujours aux modélisateurs ! Leur nature complexe et leur courte durée de vie rendent les étoiles de la branche asymptotique des géantes thermiquement pulsantes (TP-AGB) difficiles à modéliser, un sujet de débat depuis des décennies. Le télescope spatial James Webb permet enfin de lever le voile sur leur contribution au spectre des galaxies lointaines. Ces découvertes ont des répercussions sur la détermination de l’âge et de la masse stellaire des galaxies, ainsi que sur la production de poussière cosmique et l’enrichissement chimique.
Cette découverte vient d’être publiée dans la prestigieuse revue Nature.
Les étoiles TP-AGB – le chainon manquant pour l’étude des galaxies
Pour comprendre la formation et l’évolution des galaxies, les chercheurs utilisent les populations stellaires qui les composent en comparant les spectres des galaxies observées à des modèles stellaires basés sur des observations et théories.
Bien que la plupart des phases d’évolution des étoiles sont bien modélisées, les étoiles TP-AGB, des géantes asymptotiques à pulsation thermique, restent une source d’incertitude. En effet, avec une durée de vie courte (entre 0,6 et 2 milliards d’années) et une évolution rapide du fait de phénomènes complexes comme la perte de masse et les pulsations thermiques, ces étoiles sont particulièrement difficiles à modéliser.
La contribution des étoiles froides TP-AGB à l’émission infrarouge des galaxies fait ainsi l’objet d’une controverse depuis longtemps. Si leur contribution est significative, cela pourrait diminuer les estimations d’âge et de masse des galaxies, en particulier pour celles âgées d’environ 1 milliard d’années, fréquemment observées dans l’univers lointain. Une telle révision aurait des répercussions majeures sur notre compréhension de la formation et de l’évolution des galaxies (voir Figure 1).
Premières signatures claires d’étoiles TP-AGB révélées par le télescope spatial James Webb
Les étoiles TP-AGB sont des astres froids qui présentent des signatures spectrales distinctives dans le proche infrarouge (0,5-2 microns), notamment des bandes d’absorption larges et des discontinuités causées par diverses molécules. Dans le cas où ces étoiles contribueraient de manière significative à la lumière d’une galaxie, ces caractéristiques spectrales devraient être facilement détectables.
Une équipe de chercheurs dirigée par le Département d’Astrophysique du CEA-Saclay a utilisé des observations du télescope spatial James Webb (JWST) dont la sensibilité dans l’infrarouge est idéale pour détecter ces étoiles dans les galaxies quiescentes jeunes (∼ 1 milliard d’années) et lointaines (z = 1–2). Les chercheurs ont sélectionné trois galaxies issues du programme CEERS (JWST NIRSpec Cosmic Evolution Early Release Science), dont l’une, beaucoup plus lumineuse que les autres, offrait un spectre de haute qualité.
Le spectre de cette galaxie, nommée D36123, a révélé des signatures claires d’étoiles TP-AGB riches en oxygène et en carbone, avec une contribution importante à la lumière de la galaxie (voir Figure 2). Les deux autres galaxies, bien que présentant un spectre de qualité inférieure, confirment ces observations.
Les modèles de synthèse stellaire intégrant une contribution significative des étoiles TP-AGB s’ajustent mieux aux spectres observés, indiquant que ces galaxies pourraient être moins massives et plus jeunes que prévu initialement. Ces résultats ont également des implications pour la production de poussière cosmique et l’enrichissement chimique des galaxies.
De futures observations pour contraindre les modèles
La galaxie D36123 est unique et n’a pas d’analogue connu dans l’Univers proche, offrant un premier aperçu de l’émission des étoiles froides dans les galaxies lointaines. Cette découverte met fin au débat sur leur présence dans les galaxies âgées de plusieurs milliards d’année. Toutefois, même le modèle qui correspond le mieux aux données ne parvient pas à expliquer toute la richesse des signatures spectrales détectées. Un échantillon plus vaste d’observations similaires est donc crucial pour déterminer si les caractéristiques de la galaxie D36123 sont exceptionnelles ou si elles reflètent des propriétés communes des galaxies quiescentes.
L’équipe de chercheurs a d’ailleurs obtenu de nouvelles observations avec le JWST pour approfondir ces questions. A plus long terme, l’équipe envisage d’observer ces galaxies à plus grande longueur d’onde afin d’obtenir de meilleurs modèles stellaires, guidés par les observations actuelles et futures.
Contact Irfu/DAp : Emanuele Daddi
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