Les rayons gamma de l'espace
Astronomie gamma
Un des plus beaux fleurons de la conquête spatiale
L'astronomie, science du regard, est basée sur la collecte des ondes électromagnétiques rayonnées par les corps célestes. Les explorations menées in situ restent l'apanage du seul système solaire et les études conduites par le truchement d’autres messagers (neutrinos, ondes gravitationnelles) sont encore dans les limbes.

Tributaires du rayonnement électromagnétique, les astronomes n'ont que très récemment étendu leur regard au-delà du domaine visible, cette demi-décade du spectre qui rassemble les rayonnements propres à impressionner aussi bien la rétine de l'œil que la plupart des émulsions photographiques. Il existe pourtant toute une panoplie d'objets célestes qui rayonnent très peu - voire pas du tout - dans le visible, mais qui brillent d'un vif éclat dans d'autres domaines spectraux. C'est le cas de tous les milieux portés à des températures très différentes de celle du Soleil, l'astre à la lumière duquel notre œil s'est adapté, qu’ils soient beaucoup plus froids, comme les planètes, ou beaucoup plus chauds, comme les disques de plasmas qui ceinturent certaines étoiles effondrées.

Le spectre électromagnétique
Bien que le spectre électromagnétique rassemble des rayonnements tous de même nature, on a pris l'habitude de le subdiviser en une demi-douzaine de domaines spectraux dont les bornes sont assez mal définies, à l'exception de celles du domaine visible. Les astres qui produisent une émission de nature thermique rayonnent le plus d’énergie à une longueur d’onde inversement proportionnelle à leur température de surface exprimée en kelvin. Le domaine gamma est pour l’essentiel l’apanage de mécanismes d’émission impliquant des particules accélérées.

Il est en général très difficile d'observer tous ces types d'astres depuis le sol car l'atmosphère terrestre constitue un écran opaque à la plupart des rayonnements. Sont ainsi irrémédiablement bloqués dans la haute atmosphère ceux dont la longueur d'onde est plus courte que celle de la lumière visible. Au début des années soixante, la course à l'espace, enfantée par la rivalité entre les États-Unis et l'ancienne Union Soviétique, offrit aux astronomes l'opportunité de propulser leurs télescopes au-delà de l'atmosphère pour observer enfin le ciel sur toute la gamme des rayonnements. Trente ans plus tard, observatoires terrestres et spatiaux se complètent pour scruter le cosmos sur plus de vingt décades du spectre électromagnétique, des bandes radio jusqu'aux domaine des rayons X et des rayons gamma. Il s'agit là d'une révolution majeure, encore plus considérable que celle qui vit Galilée braquer une longue vue vers le ciel.

Astronomie de l'impossible ?
Observer le ciel dans le domaine des rayons gamma est une entreprise des plus ingrates
et les astronomes qui s’y risquent doivent surmonter un triple handicap :
  • La grande sensibilité des appareils opérant dans les autres domaines tient à leur aptitude à concentrer le rayonnement au moyen de vastes structures réfléchissantes. Avec sa longueur d'onde inférieure aux distances entre les atomes, le rayonnement gamma ne se plie pas à cette pratique. La seule solution pour recueillir un signal exploitable reste, pour l’instant, d’accroître démesurément le détecteur, l'élément le plus coûteux à réaliser et le plus complexe à mettre en oeuvre.
  • La pratique de l’astronomie gamma exige de très longs temps de pose car à puissance rayonnée égale, les sources célestes de rayonnement gamma émettent beaucoup moins de photons puisque chacun d'eux emporte une plus grande quantité d'énergie. Comme la surface collectrice des télescopes gamma reste modeste pour les raisons évoquées plus haut, il faut des jours entiers d'observation pour détecter sans ambiguïté les sources gamma cosmiques et des semaines pour en faire une analyse détaillée.
  • Opérer dans l'espace expose les détecteurs et les véhicules spatiaux où ils sont embarqués à un bombardement massif de particules énergétiques aptes à susciter l'émission de photons gamma parasites. Ce bruit de fond, fort difficile à atténuer, même au prix de blindages massifs, condamne les observations gamma à s’apparenter à des observations dans le visible qu’un astronome tenterait de mener en plein jour !


  • Ces contraintes expliquent l'essor tardif de l'astronomie gamma. Les premiers résultats ne datent que de 1968 et l'exploration approfondie du ciel gamma ne débuta qu'au début des années quatre-vingt dix avec les observations du télescope français SIGMA sur le satellite russe GRANAT et celles de l'Observatoire à Rayons Gamma COMPTON de la NASA.


    Le télescope français SIGMA
    Dans une salle du cosmodrome de Baïkonour (Kazakhstan), prêt pour le lancement à bord du satellite russe GRANAT (décembre 1989).
    L’Observatoire à Rayons Gamma COMPTON
    Dans l’espace, lors des ultimes phases de mise à poste par la navette spatiale Columbia (avril 1991).

    Astronomie de l'extrême
    Pourquoi s'obstiner à pratiquer une telle discipline, si difficile à mettre en œuvre ? Pour découvrir et étudier les sources extrêmes de l’Univers, celles où se produisent les plus grands transferts d’énergie, avec au premier rang les explosions d’étoiles et leurs résidus compacts, étoiles à neutrons et trous noirs. La plupart des sources extrêmes sont en effet très efficaces pour accélérer des particules jusqu’à des vitesses proches de celle de la lumière. Ces particules relativistes suscitent à leur tour l’émission de flux intenses de photons gamma pour peu qu’ils interagissent avec l’environnement des sources extrêmes où se rencontre pêle-mêle matière, champs de photons et champs magnétiques.

    En plus de ces processus à spectres d'émission plus ou moins continus, le domaine gamma révèle également des mécanismes d'émission de raies, dans la mesure où l'énergie de liaison des nucléons dans les noyaux atomiques tombe dans la bande des photons gamma. D'une manière comparable aux photons d'énergie généralement bien moindre émis quand les atomes se désexcitent, la désexcitation des noyaux produit des photons gamma de basse énergie. Il en résulte une émission de raies gamma qui ouvre la possibilité de pratiquer une véritable spectroscopie nucléaire des sites cosmiques. Tombe enfin dans le domaine gamma les photons émis par interaction matière antimatière entre électrons et positions (rayonnement d’annihilation).

    Les sites cosmiques parmi les plus actifs dans le domaine gamma sont des milieux denses portés à très haute température, comme les bourrelets internes des disques de plasma qui ceinturent parfois les étoiles effondrées (étoiles à neutrons et trous noirs d'origine stellaire) appartenant à un système binaire. Ces processus émissifs sont aussi responsables de l'émission gamma à basse énergie des noyaux actifs de galaxies.

    Trou noir en système binaire
    Vue d’artiste d’un trou noir stellaire en système double capturant les couches externes de son étoile compagnon. Avant de disparaître au-delà de l’horizon du trou noir, la matière accrétée forme un disque dont le bord interne, porté à une température de plusieurs millions de kelvins sous l’effet de formidables phénomènes de frictions, rayonne en abondance dans les domaines des rayons X et des rayons gamma de basse énergie.

    Les objectifs de la spectroscopie gamma sont des plus variés avec en premier les explosions d’étoiles où la désintégration d’isotopes radioactifs fraîchement synthétisés s'accompagne de l'émission de raies gamma. Sont à citer également les régions du milieu interstellaire enrichies en isotopes radioactifs relâchés par ces mêmes processus explosifs et par d'autres phénomènes à l'œuvre lors de phases moins brutales de l'évolution stellaire, non sans oublier les nuages interstellaires denses, pour peu qu'ils soient bombardés par des faisceaux de protons et de noyaux accélérés.