HESS : Instruments
Observer le rayonnement gamma depuis le sol ou comment utiliser l'atmosphère comme un calorimètre
Le faible flux de photons attendu, la faible efficacité de détection des télescopes embarqués sur satellite à ces énergies, les contraintes de poids et de dimension liées à la mise en orbite des charges utiles, semblaient rendre l'exploration du ciel dans cette gamme d'énergie impossible jusqu'à encore une époque récente. Néanmoins, une technique de détection originale, indirecte, a permis à cette branche de l'astrophysique des hautes énergies de voir le jour et de connaître depuis deux décennies un développement spectaculaire. Cette méthode consiste à utiliser une propriété physique des particules se propageant dans un milieu: sous certaines conditions elles émettent un rayonnement dans le domaine visible, qui lui peut parvenir jusqu'au sol pour être ensuite capté par des télescopes. Ce phénomène est appelé effet Tcherenkov du nom du physicien russe qui l'a découvert en 1934.
Cette propriété physique des particules est mise à profit dans le cadre de la détection des photons gamma de très hautes énergies. Un photon gamma provenant d'une source céleste interagit avec les atomes de l'atmosphère. La collision génère dans l'axe de propagation du photon une ou plusieurs particules extrêmement énergétiques, principalement des électrons et des protons. Ces particules à leur tour interagissent avec le milieu et créent d'autres particules. Une cascade ou gerbe électromagnétique se développe. Ces particules énergétiques émettent via le rayonnement Tcherenkov un bref flash de lumière bleue qui parvient au sol. Le télescope, dotée d'une caméra électronique très sensible et très rapide (l'impulsion lumineuse ne dure que quelques nanosecondes) peut alors capter l'image de cette trace. Il devient alors possible de reconstituer sur la voûte céleste la direction du photon gamma et de mesurer son énergie (plus l'impulsion lumineuse détectée est intense, plus l'énergie du photon ayant généré la gerbe électromagnétique est importante). Dans ce sens, l'atmosphère terrestre est utilisée comme un véritable calorimètre.
Séparer les photons gamma du rayonnement cosmique.
Si le principe de détection parait simple, il se heurte néanmoins à plusieurs problèmes. Comme nous l'avons décrit, la Galaxie baigne dans un flux continu de particules chargées, le rayonnement cosmique. Ces particules vont également interagir avec les constituants de l'atmosphère et produire une lumière Tcherenkov. Cette lumière indésirable, de loin beaucoup plus importante que celle produite par le très faible flux de rayonnement gamma provenant de l'objet céleste observé, constitue une véritable source de pollution. Néanmoins, i) ces particules ne proviennent pas de direction privilégiée sur le ciel ii) leurs interactions sur les atomes de l'atmosphère ne génèrent pas le même type de gerbe électromagnétique qu'un photon gamma. La réside toute l'innovation de l'expérience HESS: en couplant plusieurs grands télescopes (quatre) regardant le flash lumineux sous différents angles à des caméras électroniques de grandes précisions, les images obtenues de ce fin pinceau lumineux permettent de séparer en reconstituant ses caractéristiques ce qui est issu de la source gamma du fond indésirable. Le signal devenu beaucoup plus pur, il devient alors possible d'effectuer une véritable cartographie de la région observée, d'atteindre une très bonne sensibilité de détection (faculté à détecter des objets peux lumineux) et de mesurer l'énergie du photon gamma.
Exemples de traces de gerbes atmosphériques vues par les caméras situées au foyer de chaque télescope de HESS. Chaque caméra est constituée d'une mosaïque de 960 photomultiplicateurs. Le centre de chaque caméra est aligné avec l'axe optique du télescope qui pointe dans la direction d'une source gamma. Des algorithmes mathématiques permettent de trier par reconnaissance de forme les traces signatures d'une particule issue du rayonnement cosmique (soit une cause de bruit pour l'observateur) ou bien d'un photon gamma provenant de la source céleste observée. (crédit: collaboration HESS)
Ces brefs et faibles impulsions lumineuses baignent dans le fond du ciel nocturne. Il importe donc de s'affranchir au maximum des sources de lumière parasites d'où la nécessité d'effectuer les observations dans un site propre, loin des contaminations lumineuses liées à l'activité humaine. Les périodes de lune sont également proscrites. De même le ciel doit être clair, sans nuages et avec un minimum de vapeur d'eau, source d'absorption pour les photons bleus et ultraviolets qui composent la lumière Tcherenkov. Ceci a guidé le choix du site de construction de l'expérience HESS. Il est à ce titre intéressant de noter que l'observation des rayons gamma de très hautes énergies exigent les mêmes précautions de qualité du ciel nocturne que celles réclamés par les grands observatoires. Néanmoins ces derniers étudient les sources célestes grâce à leur rayonnement en lumière visible d'énergie ~ 1 eV, soit un milliard de fois plus faible que les photons gamma.