par Jacques Paul
Parmi toutes les nouvelles astronomies spatiales, celle des rayons gamma est la plus apte à découvrir les astres les plus violents, ceux qui jouent un rôle déterminant dans l’évolution de l’univers. C’est en revanche la plus ardue, en raison des propriétés même des rayonnements à très courte longueur d’onde qui ne se prêtent pas aux combinaisons de miroirs à la base des télescopes opérant dans les autres domaines spectraux. Produire des images sans miroir ni lentille est pourtant possible en s’inspirant des chambres noires qu’utilisèrent les pionniers de la photographie. En perçant un trou sur le côté d’une boîte, et en disposant une plaque sensible sur le côté opposé, on réalise une chambre photographique rudimentaire, mais qui permet de former des images d’autant plus nettes que le trou est petit. La même technique est parfaitement envisageable dans le domaine gamma pour peu que l’on utilise un matériau, comme le tungstène, propre à bloquer le rayonnement gamma, et que l’on remplace la plaque photo par une caméra à scintigraphie en usage dans les services de médecine nucléaire. Pour accroître la luminosité des images sans perdre en finesse, on multiplie le nombre de trous que l’on dispose suivant un code précis. Ce principe d’imagerie à ouverture codée fut à la base du télescope Sigma, fruit d’une collaboration entre le Service d’Astrophysique à Saclay et le Centre d’Etude Spatiale des Rayonnements à Toulouse. Sigma fut réalisé de 1983 à 1988 sous la maîtrise d’oeuvre du Centre National d’Etudes Spatiales, qui confia au Service d’Astrophysique la réalisation de la caméra à rayons gamma, l’élément clé du télescope. Mesurant plus de trois mètres de haut et pesant plus d’une tonne, Sigma (cf. figure 1) compte parmi les expériences spatiales les plus imposantes jamais réalisées en France. Monté à bord du satellite russe Granat (cf. figure 2), mis en orbite à la fin de 1989 par une fusée Proton (cf. figure 3) tirée depuis le cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan, Sigma a scruté le ciel gamma avec un pouvoir de localisation pouvant atteindre 30 secondes d’angle dans le cas des sources les plus brillantes, un progrès d’un à deux ordres de grandeur par rapport aux autres dispositifs expérimentaux opérant dans la même bande spectrale. L’appareil, optimisé pour produire des images du ciel dans la bande des rayons gamma de basse énergie, là où l’on s’attend à identifier la signature spectrale des trous noirs stellaires en système binaire a fonctionné sans la moindre défaillance pendant plus de huit ans. Il a ainsi permis de recueillir une impressionnante série de résultats, avec, en premier lieu, une radiographie approfondie du coeur de la Voie lactée.