Comment nourrir les trous noirs géants ?

Comment nourrir les trous noirs géants ?

Une nouvelle hypothèse pour l’origine des trous noirs massifs

Grâce à des simulations numériques à haute résolution, une équipe de chercheurs conduite par des astrophysiciens du Service d’Astrophysique- Laboratoire AIM du CEA-Irfu vient de montrer que les trous noirs géants au centre des galaxies pouvaient être alimentés par des instabilités qui se déclenchent au sein même des disques galactiques. Jusqu’ici le seul scénario envisagé pour faire croitre la masse de ces trous noirs massifs qui peuvent atteindre jusqu’à un milliard de fois la masse du Soleil était celui de la collision de galaxies, un mécanisme qui semblait bien aléatoire. Les résultats de six simulations différentes ont montré que, pour les galaxies lointaines qui contiennent beaucoup de gaz, les instabilités qui se dévelopent alimentent le trou noir central à raison de 1 à 10 masses solaires par an de telle sorte qu’en deux milliards d’années, plus de la moitié du gaz de la galaxie se retrouve venir nourrir le trou noir. Les chercheurs estiment qu’il s’agit là d’une des pistes les plus intéressantes pour expliquer enfin l’apparition et l’énorme masse des trous noirs géants.
Ces résultats sont publiés dans le numero de novembre 2011 de la revue Astrophysical Journal.

L’énigme des trous noirs géants

La majorité des galaxies de l’Univers contiennent en leur centre une très forte concentration de matière que les astrophysiciens pensent être des trous noirs, régions de l’univers où la densité de matière est tellement forte qu’elle retient la lumière par sa gravitation, laissant l’apparence d’un trou « noir ». Ainsi, notre galaxie, la Voie Lactée contient au centre un trou noir supermassif de 3 millions de fois la masse du Soleil. Dans certaines galaxies elliptiques géantes, la masse du trou noir central dépasse le milliard de masse solaires.

Vue d’artiste d’un « noyau actif » de galaxies. La région centrale est occupé par un trou noir massif. Crédit A. Simonnet, Sonoma State University

La formation de ces trous noirs supermassifs demeure aujourd’hui mystérieuse. Les réservoirs de gaz des galaxies forment habituellement des disques en rotation très étendus, de plusieurs dizaines de milliers d’années-lumière de diamètre. Du fait de la rotation, ce gaz ne tombe pas facilement vers le centre. Pour alimenter la croissance d’un trou noir central, il est nécessaire d’évacuer le moment angulaire de ce gaz afin qu’il puisse tomber dans la très petite zone centrale de quelques années-lumière de dimension où se situe le trou noir. En tombant, il déclenche alors avant d’être « avalé » par le trou noir une cascade d’émissions, faisant apparaitre cette zone centrale comme un « noyau actif ». Jusqu’à récemment, le seul mécanisme connu pour évacuer le moment angulaire des disques de gaz était la collision de deux galaxies. Pourtant, les observations sont formelles : les galaxies dont le trou noir central est en phase de croissance et rayonne sous forme d’un noyau actif ne sont pas plus souvent en collision que les galaxies inactives.
L’énigme de la croissance des trous noirs restait donc entière.

Simulations haute-résolution.

Les simulations numériques, réalisées sur les supercalculateurs du Très Grand Centre de Calcul hébergé par le CEA, atteignent une résolution telle qu’elles permettent de résoudre de nouveaux processus physiques. En particulier, elles ont permis de montrer que les galaxies jeunes dans les 3-4 premiers milliards d’années de l’Univers sont extrêmement instables : sous l’effet de leur propre gravité, elles se fragmentent en plusieurs « grumeaux », prenant alors des formes très irrégulières.

Simulation à très haute résolution de la structure d’une galaxie primordiale, riche en gaz, vue de face (en haut) et par la tranche (en bas), à deux instants séparés de cent millions d’années. Les couleurs représentent la densité de matière croissante du violet-bleu au rouge-blanc. L’instabilité gravitationnelle a fragmenté le disque initialement homogène en une dizaine de grosses « concentrations », tout en générant une turbulence qui forme les nombreux filaments visibles sur l’image. La dissipation de l’énergie turbulente conduit très efficacement à l’alimentation du trou noir au centre. Crédit F. Bournaud/CEA-SAP.

Utilisant le code de calcul RAMSES, six simulations contenant plusieurs millions de points de calculs ont été réalisées pour des paramètres différents avec une résolution de quelques années-lumière pour des galaxies d’un rayon de 20 à 50 mille années-lumière. Le degré de détail atteint permet de suivre au cours du temps l’évolution de la structure interne de la galaxie. Une instabilité apparait qui génère des mouvements turbulents très rapides dans le gaz interstellaire: le gaz est agité de mouvements désordonnés à des vitesses largement supersoniques, à plusieurs dizaines de kilomètres par seconde. Ces mouvements supersoniques génèrent de nombreux chocs dans le gaz, par le biais desquels le gaz évacue son énergie et son moment cinétique. Résultat : le gaz des galaxies primordiales tombe spontanément vers leur noyau, où il peut être aisément capturé par le tour noir central.

L’instabilité interne d’une galaxie semble donc suffisante pour alimenter la croissance des trous noirs et pourrait être le mécanisme central pour expliquer l’apparition de ces monstres cosmiques. Pour le vérifier, les scientifiques ont entrepris de scruter la structure de 27 galaxies lointaines grâce à des observations très profondes du télescope spatial Hubble [3]. Ils ont ainsi identifié que les galaxies marquées par cette instabilité gravitationnelle et fragmentées en « grumeaux » montraient également toutes les traces d’un noyaux actif contenant un trou noir. Simulations et observations semblent donc s’accorder. Un trou noir massif peut se former tout seul dans une galaxie sans l’intervention d’une collision. Si cette hypothèse se confirme, elle mettrait ainsi fin à la très longue énigme de la naissance des objets les plus masifs de l’univers.


Contact : F. Bournaud, R. Teyssier, E. Daddi

Publications :

[1] « Black Hole growth and AGN obscuration by instability- driven inflows in high-redshift disk galaxies fed by cold streams»
F. Bournaud, A. Dekel, R. Teyssier, M. Cacciato, E. Daddi, S. Juneau, F. Shankar (2011) Astrophysical Journal Letters, vol. 741, L33, 10 novembre 2011 (pour une version électronique
fichier PDF) [2] « Observed link between AGN and Violent instability in gas-rich disk galaxies« 
F. Bournaud, S. Juneau, E. Le Floch, et al. (2011), Astrophysical Journal (sous-presse)
(pour une version électronique
fichier PDF) [3] « A New Diagnostic of Active Galactic Nuclei: Revealing Highly-Absorbed Systems at Redshift« 
S. Juneau, M. Dickinson, D. Alexander, S. Salim (2011), Astrophysical Journal, vol. 736, p. 104J
(pour une version électronique
fichier PDF)

voir aussi  : « Le Message des Antennes« , 04 octobre 2010
« De très jeunes galaxies géantes« , 20 mai 2010
« Une nouvelle théorie pour la formation des galaxies« , 22 janvier 2009


Rédaction : F. Bournaud, J.M. Bonnet-Bidaud