Des galaxies qui ne forment plus d’étoiles malgré d’énormes réserves de gaz
En réussissant pour la première fois à analyser la lumière de près de 1000 galaxies elliptiques très lointaines, à plus de 10 milliards d'années-lumière, une équipe de chercheurs incluant trois astrophysiciens du Département d'Astrophysique du CEA-Irfu vient de révéler que ces galaxies du début de l'univers contiennent beaucoup de gaz mais ne forment pas pour autant des étoiles. Une véritable énigme qui remet en cause notre compréhension de l'évolution de ces galaxies géantes. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Astronomy du 16 Janvier 2018.
La forme des galaxies révèlent leur histoire
Les galaxies existent en deux types principaux : disque et elliptique. Les galaxies à disque, comme par exemple notre galaxie, la Voie Lactée, sont plates et contiennent de grands réservoirs de gaz qu'elles utilisent pour former continuellement des étoiles. Les galaxies elliptiques sont au contraire massives, de forme sphérique et ont cessé de former des étoiles il y a longtemps. La plupart des théories supposent qu'à un certain moment les galaxies elliptiques ont perdu leurs réservoirs de gaz, ce qui a fait chuter le taux de formation d'étoiles.
Pour vérifier cette hypothèse basée sur les galaxies les plus proches, les chercheurs ont souhaité savoir s'il en était de même pour les galaxies elliptiques les plus lointaines, celles que nous voyons encore au début de leur évolution. Leur objectif était notamment de mesurer la quantité de gaz contenue dans ces jeunes galaxies.
Ils ont utilisé des observations de galaxies elliptiques en infrarouge et en ondes radio, ce qui permet de mesurer à la fois le taux de formation d'étoiles et la masse de poussière froide qui révèle le gaz dans les galaxies.
Des mesures sur un catalogue de mille galaxies
Malheureusement, pour des objets aussi lointains, il est impossible encore d'avoir des mesures précises pour chaque galaxie individuellement. Les chercheurs ont contourné cette difficulté en combinant la lumière près de 1 000 galaxies pour déterminer combien de gaz elles contiennent en moyenne et à quelle vitesse elles forment des étoiles.
Pour cela, ils ont notamment utilisé les mesures d'un sondage profond baptisé COSMOS (pour Cosmic Evolution Survey – Sondage de l'évolution cosmique). Ce sondage, initié en 2003, analyse en profondeur une région du ciel de deux degrés carrés (soit environ 16 fois la surface de la pleine Lune) à l'aide de nombreux télescopes différents au sol et dans l'espace. Il implique plus de 100 scientifiques de différents pays.
Cette étude a permis une découverte étonnante. Malgré leur faible taux de formation d'étoiles, les galaxies elliptiques lointaines contiennent des quantités étonnamment grandes de gaz : 100 fois plus que prévu. C'est surprenant de deux façons. Tout d'abord, cela remet en question notre vision standard des galaxies elliptiques comme des objets pauvres en gaz, relativement inactives. Mais cela nous oblige aussi à repenser la vision fondamentale des processus de formation d'étoiles. Il a toujours été supposé jusqu'ici que la présence de gaz froid devait conduire à la formation d'étoiles. Ici, nous trouvons que, malgré une forte présence de gaz, les galaxies elliptiques forment des étoiles beaucoup moins efficacement que les galaxies à disque à la même époque.
Pour l'instant, il n'existe que très peu de pistes pour expliquer ce paradoxe. Certaines simulations numériques montrent par exemple que dans les galaxies à disque comme la voie Lacée, l'attraction gravitationnelle des étoiles aide le gaz à s'effondrer pour former de nouvelles étoiles. En revanche, le gaz dans les galaxies elliptiques ressent une attraction plus faible des étoiles et ne s'effondre pas aussi facilement. Il se pourrait donc que la morphologie globale d'une galaxie puisse contrôler ce qui se passe dans des régions beaucoup plus petites et très localisées où se forment les étoiles.
Pour confirmer ce résultat, les chercheurs vont développer d'autres simulations et vont chercher à détecter ce gaz directement grâce au grand intérferomètre radio ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) maintenant opérationnel sur les sommets du Chili à 5200 m d'altitude.
Contacts : Emanuele DADDI , Frederic BOURNAUD , Shuowen JIN
Publication:
« The unexpectedly large dust and gas content of quiescent galaxies at z > 1.4«
R. Gobat, E. Daddi, G. Magdis, F. Bournaud, M. Sargent, M. Martig, S. Jin, A. Finoguenov, M. Béthermin, H. S. Hwang, A. Renzini, G. W. Wilson, I. Aretxaga, M. Yun, V. Strazzullo & F. Valentino
Nature Astronomy, 16 janvier 2018 (doi:10.1038/s41550-017-0352-5)
Voir aussi : Détection de gaz froid autour de lointaines galaxies en formation (30 août 2017)
ALMA explore le Champ Ultra Profond d’Hubble (28 septembre 2016)
Rédaction: J.M. Bonnet-Bidaud