Des galaxies « invisibles » qui questionnent les modèles d’évolution de l’Univers
Une étude conduite par des astrophysiciens du Département d'Astrophysique-Laboratoire AIM du CEA-Irfu vient de révéler une grande quantité de galaxies aussi massives que la Voie Lactée dans l'univers lointain, grâce au grand interféromètre ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) au Chili. Ces galaxies étaient restées jusqu'ici invisibles en raison de l'atténuation de leur luminosité par la poussière interstellaire. Elles sont 10 à 100 fois plus nombreuses que toutes celles détectées jusqu'ici, à des distances où l'univers n'avait encore que deux milliards d'années. Cette grande abondance de galaxies massives dans l'univers jeune est en contradiction avec les modèles théoriques actuels de formation des galaxies et représente un nouveau défi pour notre compréhension des premiers âges de l'univers. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature du 7 aout 2019.
Voir la video : Interview David ELBAZ
Le contenu de l'univers jeune.
Les galaxies les lointaines sont aussi les plus jeunes, en raison de temps mis par la lumière pour nous parvenir. Mais ce sont les plus difficiles à observer car, à des distances de plusieurs milliards d'année-lumière, leur éclat devient très faible. Jusqu'ici, deux types de galaxies lointaines avaient été découvertes : de nombreuse galaxies peu massives détectées dans le domaine de la lumière visible par le satellite Hubble et un très petit nombre de galaxies très particulières observées dans l'infrarouge et dites « à flambée d'étoiles » car ce sont de véritables monstres qui forment de étoiles à un taux très élevé de 500 masses solaires par an, soit 100 fois plus que notre Galaxie actuellement.
C'est en utilisant les observations faites avec le grand réseau ALMA, constitué d'environ 50 antennes détectant la lumière de longueur d'onde millimétrique (plus longue que l'infrarouge) et situé dans le désert de l'Atacama au Chili, que les chercheurs ont pu identifier 39 nouvelles galaxies jusqu'alors inconnues, datant de moins de 2 milliards d'années après le Big Bang et qui représentent une nouvelle classe de galaxies jeunes.
ALMA perce la poussière.
Pour identifier ces galaxies, les chercheurs ont d'abord remarqué l'existence de sources de lumière infrarouge moyen apparaissant dans les images du satellite Spitzer, situées dans des zones complètement vides sur les images du télescope spatial Hubble. Les galaxies très éloignées souffrent en effet des effets de l'obscurcissement interstellaire de la poussière qui rendent Hubble aveugle à ces galaxies. Mais, la faible résolution spatiale de Spitzer ne permettait pas d'identifier l'origine de ces « taches » de lumière infrarouge ni de savoir avec certitude si elles provenaient de sources proches ou très éloignées dans l'univers.
C'est l'utilisation du grand interféromètre ALMA qui a enfin permis de percer le mystère des tâches de lumière grâce des images à très haute résolution spatiale obtenue par la technique d'interférométrie. Sur 63 sources observées par Spitzer, ALMA en a détecté 39 et a permis de confirmer leur nature de galaxies très lointaines, riches en poussière interstellaire. La poussière interstellaire n'est abondante que dans les galaxies massives de ces époques lointaines. Elle absorbe les rayons UV émis par les étoiles et rayonne aux longueurs d'onde infrarouges qui sont décalées au millimètre par l'expansion de l'univers. La recherche de ces galaxies avait jusqu'à présent échoué car elle reposait essentiellement sur des techniques basées sur des images prises dans le domaine du visible ou du proche infrarouge, dans lesquels ces galaxies sont totalement invisibles.
Ces galaxies constituent le chaînon manquant entre les populations de galaxies déjà connues à ces grandes distances. Elles sont parmi les plus massives de l'univers à cette époque et dix fois plus nombreuses que les galaxies les plus lontaines détectées jusqu'ici par le télescope Hubble.
La découverte de ces galaxies pose un sérieux défi aux modèles actuels qui sont incapables d'expliquer une telle efficacité de formation d'étoiles ayant permis de produire des galaxies aussi massives que la Voie lactée, en seulement un milliard d'années. Ces modèles qui tentent d'expliquer l'histoire de la formation des galaxies jusqu'à aujourd'hui sont incompatibles avec une telle efficacité si tôt après le Big Bang. L'énigme de ces galaxies « invisibles » imposera probablement de revoir les recettes qui décrivent l'évolution interne des galaxies, celle qui donne naissance aux étoiles. Un défi qui arrive à point car ces galaxies « invisibles » devraient sauter aux yeux du successeur du télescope Hubble, le James Webb Space Telescope dont le lancement est prévu pour 2021.
Contact : David ELBAZ
Publication :
« A dominant population of optically-invisible massive galaxies in the early Universe«
T. Wang, C. Schreiber, D. Elbaz, Y. Yoshimura1, K. Kohno1, X. Shu6, Y. Yamaguchi1, M. Pannella, M. Franco, J. Huang, C.-F. Lim & W.-H. Wang
publié dans la revue Nature du 7 aout 2019
Voir aussi : le communiqué de presse du CEA (7 aout 2019)
: le communiqué de l'université de Tokyo (7 aout 2019, en anglais)
Voir aussi
– Les galaxies elliptiques lointaines refusent de former des étoiles (19 janvier 2018)
– Dessiner l'univers: les rayons X apportent une nouvelle lumière (4 octobre 2018)
– Détection de gaz froid autour de lointaines galaxies en formation (30 août 2017)
Rédaction : D. Elbaz, J.M. Bonnet-Bidaud