A la recherche du mécanisme expliquant la mort des galaxies massives

A la recherche du mécanisme expliquant la mort des galaxies massives

Le « cosmic noon », quand l’univers avait 4 à 5 milliards d’années, a marqué une période de formation d'étoiles très active pour la plupart des galaxies. Paradoxalement, environ un tiers des galaxies les plus massives à cette époque étaient mortes et ne formaient plus d’étoiles. A ce jour, la réduction de l'activité de formation d'étoiles est souvent attribuée à des flux gazeux provoqués par la rétroaction des trous noirs supermassifs, mais leur impact sur les galaxies du jeune Univers n'est pas encore définitivement établi.

Grace à l’interféromètre ALMA, une équipe d’astrophysicien dans lequel est fortement impliqué le Département d’Astrophysique/ Laboratoire AIM du CEA Paris-Saclay, a détecté une éjection de gaz exceptionnelle dans une galaxie massive, appelé ID2299. D’après leurs analyses le scénario de cette mort annoncée ne peut pas venir des trous noirs, mais de la fusion de galaxie spirales qui est à l’origine de la galaxie. Et si avec ce nouveau scenario, on revisitait les rapports d’autopsie des galaxies mortes…Les observations quantitatives de cette étude posent question. Les résultats viennent d’être publiés dans la revue Nature Astronomy: https://www.nature.com/articles/s41550-020-01268-x

L’image HST (Hubble Space Télescope ) montre la lumière provenant des étoiles jeunes dans la galaxie ID2299. La morphologie de la galaxie dans cette image est très perturbée à la suite de la fusion de galaxies qui la précède et de l’absorption par la poussière qui est abondante dans les galaxies fusionnées. © Puglisi et al. 2020

ID2299 : une galaxie perturbée

L’éjection découverte dans cette galaxie implique qu’environ la moitié du gaz froid de cette galaxie est en train d’être expulsée du système et envoyée dans l’espace intergalactique environnant (voir figure). À ce rythme d'éjection, la galaxie serait privée du matériau pour former de nouvelles étoiles en seulement quelques millions d'années, c'est à dire presque instantanément par rapport aux échelles de temps cosmologiques.

Cette éjection de gaz très importante va tuer la galaxie qui deviendra une galaxie morte ne fabriquant plus d’étoiles.

Comprendre les mécanismes responsables de la mort des galaxies

La plupart des étoiles dans l’Univers actuel sont situées dans de grandes galaxies « elliptiques » extrêmement massives et de forme sphéroïdale. Ces galaxies, qui semblent simples à décrire, font pourtant partie des objets les plus mystérieux du cosmos. Les galaxies elliptiques dans l'Univers local sont constituées d'étoiles très vieilles et n’en forment plus de nouvelles. Les astrophysiciens essaient de comprendre depuis longtemps les mécanismes responsables de la mort de ces galaxies, c’est-à-dire la suppression de la formation des étoiles dans ces systèmes. La découverte de l’éjection massive du gaz froid de la galaxie elliptique ID2299 pourrait aider les scientifiques à mieux comprendre ce phénomène.

Quelle est la raison de l’éjection exceptionnelle du gaz froid hors de la galaxie ID2299 ?

Dans des situations similaires, les scientifiques pensent souvent que les trous noirs super-massifs, que l’on retrouve au cœur des galaxies, en sont responsables. L’activité d’accrétion sur le trou noir est capable d’émettre de grandes quantités d’énergie en produisant des vents qui pourraient balayer le gaz de la galaxie, qui est le matériel nécessaire pour former des nouvelles étoiles. Cette activité de rétroaction est un ingrédient essentiel pour reproduire les observations des galaxies avec les simulations numériques. Cependant, le caractère extrême du cas de ID2299 qui perd plus de la moitié de son gaz, permet d’exclure avec assurance cette explication ‘standard’ au moins en ce cas. En fait, l’énorme masse du gaz éjectée et le taux d’éjection ne peuvent pas être expliqués par les vents de rétroaction.

Figure 1 : spectre du gaz froid obtenu par ALMA. Le pic principal est associé à la galaxie, ID2299. Le pic secondaire est le gaz éjecté. © Puglisi et al. 2020

Des queues de marée provoquées par une fusion de galaxies

En revanche, on peut expliquer de façon satisfaisante cette éjection par la formation d'une queue de marée produite par la fusion entre deux galaxies massives, qui est en cours dans ID2299. La fusion des galaxies a donc expulsé une grande partie du gaz dans une queue de marée exceptionnelle. En raison de cette même fusion, la moitie restante du gaz froid dans ID2299 a été comprimé dans un noyau dense situé à son centre, une zone dénommée « starburst ». Ce gaz qui reste dans ID2299 est converti en nouvelles étoiles très rapidement, à un rythme 500 fois plus rapide que dans notre galaxie environ, et va être consommé et épuisé très rapidement.

Cette conclusion est confortée par des simulations détaillées, pour une galaxie avec les caractéristiques de ID2299. La figure 2 ci-contre montre la distribution du gaz froid dans une galaxie en fusion par des simulations numériques. L’image correspond à l’époque où le système à presque terminé la fusion des deux galaxies vers une seule. Les zones en jaune indiquent le gaz plus dense. La majorité du gaz se trouve dans le « starburst », où se forment des nouvelles étoiles à un rythme rapide. Une partie du gaz est éjectée dans une queue de marée. La configuration est similaire à l’état de ID2299.

Des queues de marée ne sont pas des phénomènes exotiques et sont observées régulièrement dans les galaxies en interaction proches de nous, notamment dans les Galaxies des Antennes. Il est très difficile d’identifier les queues de marée dans les galaxies lointaines, à cause de leur faible luminosité. La queue de marée identifiée dans ID2299 est quand-même assez rare. Cette découverte n’a été possible que grâce à un grand échantillon statistique de cartes d'émission du gaz froid dans plus de 100 galaxies de l'époque du ‘cosmic noon’ obtenu dans des projets pluriannuels d’observations avec l’interféromètre ALMA situé au Chili. Néanmoins, les chercheurs ont calculé que la fréquence de ces événements est suffisante pour expliquer en principe la plupart des galaxies sans formation d’étoiles qui se sont formées à cette même époque.

En conclusion, leurs résultats suggèrent que les fusions jouent un rôle central dans le cycle évolutif des galaxies et leur maturité. Cette étude suggère aussi que les phénomènes d’éjection violents ne sont pas forcément dus à la rétroaction mais aussi à des fusions. Il est toutefois très difficile de distinguer ces mécanismes, souvent coexistant dans la même galaxie, parce qu’ils peuvent donner des caractéristiques observationnelles similaires. Il est possible que plusieurs résultats observationnels publiés dans les dernières décennies aient conclu trop rapidement à des phénomènes de rétroaction. Il faudra donc les reconsidérer sous cette nouvelle lumière.

Figure 2 : l’image montre la distribution du gaz froid dans une galaxie en fusion par des simulations numériques. © Fensch et al. 2017, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 465, Issue 2, p.1934-1949, doi:10.1093/mnras/stw2920

Contacts: Annagrazia Puglisi (Durham, UK), Emanuele Daddi (Irfu)

Retrouvez sur le site de l'Université Paris Saclay cet article vulgarisé sur le sujet:

« EMANUELE DADDI : POURQUOI LES ÉTOILES NAISSENT ET MEURENT »