Une utilisation originale de l’imagerie profonde optique

Une utilisation originale de l’imagerie profonde optique

le sondage à petite échelle de la structure du milieu interstellaire


Information complémentaire

Pierre-Alain Duc

L'imagerie ultra-profonde: nouvelles découvertes dans l'Univers proche

L'étude a exploité une image optique ultra-profonde obtenue dans le cadre du Large Programme MATLAS, effectué avec le télescope Canada France Hawaii (CFHT) et la caméra MegaCam. Celle-ci a été en partie assemblée au CEA Saclay par les services du DAPNIA (aujourd'hui Irfu). Son grand champ de vue – un degré carré -, son excellente qualité optique, l'exceptionnel site du CFHT – le Mauna Kea à Hawaii -, en font un instrument encore très compétitif malgré son ancienneté. Lors de ses premières années d'utilisation, MegaCam a surtout observé l'Univers lointain, en pointant des champs dit cosmologiques comme ceux du CFHTLS. MegaCam est désormais souvent utilisé pour explorer l'Univers proche et en obtenir des cartes ultra-profondes. Ces projets d'imagerie exploitent des nouvelles techniques d'observation, en partie héritées de l'infrarouge, et de traitement du signal. En s'affranchissant d'effets instrumentaux résiduels, elles permettent d'atteindre des niveaux de brillance de surface sans précédents et ainsi de détecter des structures étendues mais très diffuses, qui étaient jusqu'à présents restées inaperçues. Parmi elles, des filaments, coquilles ou de vastes halos d'étoiles entourant les galaxies, résultats de multiples collisions passées et forces de marée associées. Le projet MATLAS avait d'ailleurs pour ambition première de recenser toutes ces structures autour d'un échantillon de près de 300 galaxies proches. Les images obtenues au cours des 7 années d'observation ont apporté leur lot de surprises, et toutes pas nécessairement bonnes au vu des objectifs du projet. Nombre d'entre elles présentent des structures filamenteuses étendues de formes complexes, qui ressemblent beaucoup par leur forme et leur couleur aux filaments de marée recherchés, mais n'en sont pas. Une comparaison des cartes optiques obtenues avec MegaCam avec celles faites dans l'infrarouge moyen avec le relevé spatial WISE, ou dans l'infrarouge lointain avec Planck, ne laisse aucun doute sur l'origine de ces structures: il s'agit de nuages de poussières appartenant à notre propre Galaxie, connus sous le nom de cirrus.

Images Planck, Wise et MegaCam (g) (de gauche à droite). Le rectangle noir superposé aux images Planck et Wise indique la taille du champ de vue de Wise et MegaCam respectivement.

Les cirrus galactiques: une nuisance?

Les observateurs qui cherchent à effectuer des sondages extragalactiques dans l'infrarouge savent qu'il faut éviter les régions contaminées par les cirrus Galactiques, car ils émettent l'essentiel de leur lumière dans cette gamme de longueur d'ondes et occultent les objets d'arrière plan. Or les astronomes ont tendance à ignorer que les nuages de poussières sont aussi visibles dans d'autres domaines de longueur d'onde, en particulier l'ultraviolet et l'optique, via la lumière diffusée des étoiles environnantes. Plus exactement, ils l'ont oublié, car au milieu du 20eme siècle, les grandes plaques photographiques avaient déjà dévoilé l'omniprésence des cirrus, même à haute latitude galactique. L'avènement des CCDs, pourvus d'une bonne sensibilité mais initialement d'un faible champ de vue peu propice à la détection de la lumière diffuse, a conduit à cette quasi amnésie. Pendant des décennies, très peu de travaux ont cherché à étudier les cirrus dans l'optique. Il a fallu attendre l'avènement des sondages profonds tels, entre autres, le Next Generation Virgo Cluster Survey (NGVS) ou MATLAS, pour redécouvrir leur présence … et leur pouvoir de nuisance. Si dans les cartes infrarouges profondes, comme celle bien connue du fond diffus cosmologique, les avant-plans peuvent être relativement bien soustraits, en profitant en particulier du spectre spécifique des cirrus dans cette gamme de longueur d'ondes, ce n'est pas le cas dans l'optique: leur couleur et forme sont trop proches de celles des structures extragalactiques pour être facilement isolées. Que faire dans ces conditions? Plutôt que de simplement rejeter les champs contaminés, l'équipe de MATLAS a décidé de faire contre mauvaise fortune bon coeur, et d'analyser en détails cette lumière parasite en collaborant avec des spécialistes du milieu interstellaire. Le résultat de ce travail vient d'être publié dans un article à paraître dans Astronomy et Astrophysics (voir référence en bas de page). Il montre l'apport capital de l'optique à notre connaissance des cirrus, en particulier, et plus généralement du milieu interstellaire diffus, constitué de poussières et gaz.

zoom la région Sud-Est de la première image.

Les cirrus galactiques: un atout?


L'un des intérêts principaux d'étendre à l'optique l'étude des nuages de poussières est le gain considérable en résolution spatiale par rapport à l'infrarouge, domaine où ils sont traditionnellement étudiés. L'observatoire spatial Herschel a fourni des images spectaculaires du milieu interstellaire dense, et des régions de formations d'étoiles qu'il contient, montrant une structure très filandreuse que les modèles et simulations numériques cherchent à reproduire. Cette répartition des nuages est intimement associée au processus de dissipation d'énergie de la turbulence interstellaire. La taille transverse caractéristique des filaments, de 0.1 pc, correspond à celle attendue pour du gaz dense, dans le cadre d'un modèle de dissipation de la turbulence basé sur la diffusion dite ambipolaire, résultant de la friction entre ions et particules neutres.
Cette même structure en filaments caractéristique des images Herschel ou Planck est nettement visible sur les images optiques mais à des échelles spatiales bien plus petites, et pour des densités de poussières et de gaz plus faibles. L'image MegaCam exploitée dans le cadre de cette étude, d'une taille proche de 1 degré carré, correspond au champ des deux galaxies d'arrière plan, NGC 2592 et NGC 2594, visibles près de son centre, au milieu des cirrus. Si ceux-ci sont situés à 200 pc – une distance estimée à partir de cartes de l'hydrogène atomique dans cette direction du ciel -, l’échelle de dissipation de ce milieu diffus est estimée à 0.01 pc. A cette échelle, les modèles prévoient une brisure dans le spectre de puissance de la densité de poussières. Or celle-ci n'est pas observée dans ces données, ce qui contraint déjà les mécanismes responsables de la dissipation. Un traitement plus poussé de l'image, avec une meilleure correction de la contamination par les étoiles d'avant plan et galaxies d'arrière plan, et l'exploitation de la centaine de degrés carrés polluée par des cirrus imagée par MATLAS et NGVS, permettront de descendre à des échelles encore jamais explorées, jusqu'à 0.001 pc pour les nuages les plus proches.

Combinaison du spectre de puissance des trois images : Planck (noir), WISE (rouge) et Megacam (bleu).

Voir : Une vision fine des cirrus galactiques (12 juillet 2016)