Le Soleil et les tokamaks

Le Soleil et les tokamaks

Le prix SF2A 2013 décerné à Antoine Strugarek pour ses travaux sur les plasmas

Le prix de la thèse Société Française d’Astronomie et d’Astrophysique (SF2A) 2013 a été attribué le 6 juin 2013 à Antoine Strugarek, astrophysicien au Service d'Astrophysique- Laboratoire AIM du CEA-Irfu. Ce prix récompense des travaux originaux sur les barrières de transport dans les plasmas, faisant un lien théorique entre les caractéristiques de la tachocline, une région frontière à l'intérieur du soleil, et les propriétés de confinement magnétique au coeur des tokamaks, ces chambres de forme torique à l'intérieur desquelles du plasma est confiné dans le but de produire de l'énergie par fusion. Des méthodes communes, basées sur la modélisation numérique, ont permis tout à la fois de mettre en doute l'hypothèse d'un champ magnétique profondément enfoui dans l'intérieur solaire et ont également ouvert la voie à une amélioration notable des performances de fusion en laboratoire.

Antoine Strugarek a réalisé cette thèse pluridisciplinaire intitulée « Turbulence, transport et confinement : des tokamaks au magnétisme des étoiles » à l'université Paris Diderot sous la direction conjointe de Allan Sacha Brun de l'Institut de Recherche sur les lois Fondamentales de l’Univers (IRFU) et de Yanick Sarazin de l'Institut de Recherche sur la Fusion par confinement Magnétique (IRFM).

Turbulence et magnétisme dans l'intérieur du Soleil

L’intérieur solaire est divisé en deux grandes parties : une zone interne dite radiative stablement stratifiée en profondeur et une zone externe turbulente dite convective. A l’interface, l'étude des vibrations solaires ou héliosismologie, a permis d’identifier une couche mince, la tachocline (moins de 4% du rayon solaire), qui possède un fort cisaillement de vitesse. La tachocline joue un rôle de barrière de transport pour la redistribution du moment cinétique dans l’intérieur solaire, et on pense aujourd’hui qu’elle joue également un rôle important dans l’organisation spatio-temporelle du magnétisme du Soleil.

A l’aide de modélisations numériques, la frontière de la tachocline a pu être étudiée avec succès pour la première fois en prenant en compte les mouvements turbulents à l'intérieur du plasma ainsi que leur rétroaction sur l’évolution moyenne du plasma. Dans le cadre du scénario actuel dit « de confinement magnétique » l’existence d’un champ magnétique de grande échelle confiné dans l’intérieur du Soleil, pourrait éventuellement limiter l’épaisseur de la tachocline à la fine couche que nous observons. Cependant, nos simulations 3D montrent qu’un tel champ magnétique reste très difficilement confiné dans l’intérieur solaire et devient à l'inverse un vecteur de transport de moment cinétique, brisant ainsi la barrière de transport qu’est la tachocline. Il semble donc qu'un tel mécanisme ne peut s’établir à l’intérieur du soleil. Cela suggère que des scénarios alternatifs doivent être invoqués pour expliquer la dynamique de cette barrière de transport.

Le profil de rotation du Soleil calculé selon les simulations (Code ASH à gauche) et comparé aux vitesses déduites de l’héliosismologie (à droite). La vitesse de rotation augmente du bleu au rouge. L’équateur solaire est symbolisé par la ligne horizontale pointillée. En raison de la présence du champ magnétique, le profil de rotation dans l’intérieur du soleil est modifié notablement dans la zone à l’extrémité des flèches. Ce désaccord avec les observations démontre que le scénario dit de confinement magnétique, actuellement invoqué pour rendre compte de la configuration du champ magnétique solaire, est sans doute insatisfaisant. Crédit SAP-IRFU-IRFM_CEA

Vers un contrôle de la turbulence dans les tokamaks

Dans les tokamaks, de même que dans le Soleil, des barrières de transport pour l’énergie peuvent aussi spontanément apparaître pour des configurations magnétiques particulières. Elles améliorent alors le confinement du plasma.
Les tokamaks sont des chambres dans lesquelles du plasma très chaud est fortement confiné dans un anneau en forme de tore afin de provoquer la fusion de noyaux d'atomes produisant une grande quantité d'énergie. Des tokamaks expérimentaux sont en fonctionnement dans différents pays dans le but de maîtriser la fusion nucléaire comme source d’énergie domestique. Le plus grand de ces tokamaks, ITER (initialement pour International Thermonuclear Experimental Reactor), fruit d'une large collaboration internationale est actuellement en cours de construction à Cadarache, dans le Sud de la France.

Les barrières de transport dans les tokamaks sont extrêmement difficiles à modéliser. Les modélisations numériques développées dans cette thèse ont réussi pour la première fois à simuler l'apparition de barrière dans les plasmas des tokamaks mais ont aussi mis en évidence l'existence d'instabilités à l’origine de la destruction quasi-périodique de cette barrière de transport.

Carte 3D de la configuration du plasma dans un tokamak dans le cas de turbulence (à gauche) et dans le cas où une barrière de transport est générée (à droite). Les couleurs marquent les contours du potentiel électrique (jaune-positif, bleu-négatif). Dans le cas de la présence de barrière, on voit que les structures turbulentes restent localisées vers le centre du tore, et sont quasiment supprimées dans les parties du milieu et du bord du tore, améliorant la stabilité et le rendement du tokamak. Simulation avec le code GYSELA. Visualisation 3D : D. Pomarède, B. Thooris (SEDI/LILAS). Crédit CEA.

Entre fusion et astrophysique

L’analogie des barrières de transport dans le Soleil et les tokamaks a permis le développement d’un modèle réduit commun qui s’applique à la fois au cas de la tachocline et à celui des barrières de transport dans les tokamaks. Ce travail multi-discplinaire a permis une étroite collaboration entre deux communautés scientifiques différentes et a mené au développement d'outils d'analyse communs pour l'étude de phénomènes très variés d'interactions. Les résultats amènent à repenser notre compréhension de la tachocline et permettent aussi d’entrevoir une nouvelle façon de mieux contrôler les barrières de transport et ainsi d’améliorer les performances des futurs tokamaks.


Contact : A.Strugarek

Publications :

« Turbulence, transport et confinement : des tokamaks au magnétisme des étoiles« 
A. Strugarek, Thèse soutenue le 19 novembre 2012 à l'université Paris-Diderot
Thèse_Strugarek.pdf

« Unraveling quasi-periodic relaxations of transport barriers with gyrokinetic simulations« 
Strugarek, Sarazin, Zarzoso, Abiteboul, Brun, Cartier-Michaud, Dif-Pradalier, Garbet, Ghendrih, Grandgirard, Latu, Passeron, Thomine, soumis à PRL (2013)
« Ion transport barriers triggered by plasma polarization in gyrokinetic simulations« 
Strugarek, Sarazin, Zarzoso, Abiteboul, Brun, Cartier-Michaud, Dif-Pradalier, Garbet, Ghendrih, Grandgirard, Latu, Passeron, Thomine, PPCF, sous presse (2013)
« Magnetic energy cascade in spherical geometry: I. The stellar convective dynamo case« 
Strugarek, Brun, Mathis & Sarazin, ApJ, 764, 189 (2013)
« Magnetic confinement of the solar tachocline: The oblique dipole »
Strugarek, Brun & Zahn, AN, 332, 9/10, 891-896 (2011)
« Magnetic Cnfinement of the Solar Tachocline: II. Coupling to a convection zone« 
Strugarek, Brun & Zahn, A&A 532, 34 (2011)

« La Fusion bientôt sous contrôle« 
Y. Sarazin, V. Grandgirard et A. Strugarek dans La Recherche – Supercalculateurs 469 (Nov. 2012)


Rédaction : A.Strugarek, J.M. Bonnet-Bidaud