Image infrarouge profonde autour de l’étoile la plus brillante du ciel.

Image infrarouge profonde autour de l’étoile la plus brillante du ciel.

Pas de planètes autour de Sirius ?

Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel est suspectée d’un possible changement de couleur qui a conduit certains scientifiques à soupçonner l’existence d’un petit compagnon encore non détecté.
En utilisant un masque spécifique et la technique moderne de l’optique adaptative qui permet de supprimer presque totalement la déformation des images due à l’atmosphère, Jean-Marc Bonnet-Bidaud et Eric Pantin du Service d’Astrophysique de l’Irfu-CEA, viennent d’obtenir les premières images infrarouges profondes autour de Sirius. C’est dans ce domaine infrarouge que peuvent être détectées le plus facilement les petites étoiles et même les planètes.
Malgré leur haute résolution spatiale (0,2 secondes d’arc) et leur très bon contraste, les images obtenues n’ont pas révélé d’autres petites corps en orbite autour de Sirius, en dehors de son compagnon déjà connu, la naine blanche Sirius-B., démontrant ainsi l’absence de grosses planètes autour de Sirius.
Ces images ont fourni aussi pour la première fois une mesure infrarouge précise de la naine blanche Sirius-B, révélant une surprise. Un léger excès de lumière infrarouge est observé autour de la naine blanche qui pourrait indiquer la présence de matière circumstellaire. Des observations supplémentaires sont nécessaires pour confirmer cet excès infrarouge mais il pourrait être dû à l’existence de débris de planètes autour de Sirius-B, déjà observé autour d’autres naines blanches.
Ces résultats sont publiés dans le numéro d'octobre de la revue Astronomy and Astrophysics

L’énigme de la couleur et l’hypothèse du troisième corps.

Sirius est l’étoile la plus brillante du ciel, deux fois plus lumineuse que sa dauphine Canopus. À une distance de 8,6 années-lumière du Soleil, c’est aussi une des étoiles les plus proches. Avec une température de 10 000 degrés, c’est une étoile très bleue et sa luminosité est 25 fois celle du Soleil. Sirius a été observé à toutes les époques historiques et a été un repère privilégié pour les anciens Egyptiens qui en avaient fait la base de leur calendrier. Une énigme majeure concernant l’étoile est l’observation rapportée par l’astronome grec Ptolémée dans son célèbre catalogue, l’Almageste, établissant que l’étoile était rouge à son époque vers l’an +150, un fait corroboré par divers autres textes d’auteurs latins. Bien qu’il ait été parfois considéré qu’il pouvait s’agir d’une mauvaise transcription ou d’une mauvaise d’identification de l’étoile, une observation d’une source culturelle indépendante semble bien confirmer le fait : dans un texte daté de l’an – 100, l’astronome chinois Sima Qian fait lui aussi référence à un changement de couleur.
« Quand nous avons découvert le texte chinois il y a quelques années, nous avons réalisé qu’il était vraiment possible que quelque chose soit arrivé à Sirius relativement récemment » se rappele J.M. Bonnet-Bidaud « le seul problème est qu’un tel changement de couleur est une énigme totale, il est trop récent pour pouvoir être expliquer par l’évolution de l’étoile qui se déroule sur un temps beaucoup plus long. C’est ce qui nous a conduit à rechercher une petite étoile en orbite autour de Sirius »
Sirius est déjà une étoile double, avec une petite étoile dense, une naine blanche baptisée Sirius-B, tournant en environ 50 ans autour de l’étoile brillante, Sirius-A [1]. Le compagnon Sirius-B a été découvert en 1862 mais il ne peut être responsable du changement de couleur car il est trop loin de Sirius-A pour pouvoir l’influencer. La naine blanche est bien passée par une phase de géante rouge avant sa formation mais cette étape est intervenue il y a bien plus longtemps. Ceci a conduit à l’hypothèse d’une troisième étoile dans le système de Sirius, un petit compagnon encore non détecté, en orbite autour de Sirius selon une orbite très applatie et une période longue (plus de 2500 ans).
L’animation montre les effets possibles d’un tel petit compagnon avec une orbite de 2500 ans. L’interaction de la petite étoile avec Sirius lors de son passage au plus près de l’étoile peut produire l’éjection d’un nuage temporaire de matière produisant le rougissement de la lumière de l’étoile durant quelques centaines d’années comme il aurait été observé.

Texte de Sima Qian (-146?- 86) sur Sirius. Crédits J.M. Bonnet-Bidaud

Une image infrarouge profonde.

Pour rechercher un petit objet autour de Sirius-A, les scientifiques du Service d’Astrophysique du CEA ont utilisé une technique puissante appelée “optique adaptative” qui permet de corriger en temps réel les déformations introduites par l’atmosphère terrestre et réduit considérablement la diffusion de la lumière. Un masque occultant a été également utilisé pour supprimer une grande partie de la lumière de Sirius-A et les images ont été obtenues dans l’infrarouge, une gamme de longueur d’onde permettant de révéler les plus petits objets [2].
Les images infrarouges sont les plus « propres » jamais obtenues de Sirius. Elles montrent clairement la présence de la naine blanche Sirius-B avec une séparation de 5 arcsecondes. Bien que la majorité de la lumière de Sirius-A (cachée sous le masque) soit supprimée, une partie de la lumière diffusée par Sirius-A est toujours présente. Une méthode très élaborée a du être employée pour évaluer la masse maximale d’un objet pour qu’il soit visible sur l’image.
« C’est un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin » commente Eric Pantin « différentes tentatives avaient été faites antérieurement en lumière visible, notamment avec le télescope spatial Hubble, mais l’infrarouge est l’outil le plus puissant pour les petites étoiles car elles émettent le maximum de leur rayonnement dans cette gamme de longueur d’onde. »
L’image infrarouge ne révèle aucun autre objet avec une masse maximale allant de 30 Mjup (Mjup est la masse de la planète Jupiter) à une distance de 8 U.A. de Sirius-A (légèrement moins que la distance entre le Soleil et Saturne) jusqu’à 10 Mjup à la distance de 26 U.A. (légèrement moins que la distance entre le Soleil et Neptune). L’U.A. (Unité Astronomique) est la distance Soleil-Terre.
Ces limites sur les masses de petits objets en orbite autour de Sirius-A éliminent probablement définitivement l’hypothèse d’un troisième corps. Puisque la partie centrale de l’image (à une distance inférieure à 5 U.A. de Sirius-A) n’est toujours pas couverte, la seule possibilité reste que l’objet soit situé dans cette position peu favorable mais la probabilité d’un système triple est désormais très faible.

Image infrarouge de Sirius. L’étoile brillante, Sirius-A est cachée derrière le masque circulaire visible au centre. L’image couvre des distances à Sirius-A allant de 6 U.A. à partir du masque (1 U.A. est la distance Soleil-Terre) jusqu’à 33 U.A. au bord de l’image, soit une distance légèrement plus grande que la distance Soleil-Neptune. La lumière est codée en intensité croissante du noir au blanc. La petite naine blanche, Sirius-B, est visible dans le quart inférieur gauche de l’image (flèche) à une distance de 13 U.A. Aucun autre objet n’est visible avec une masse limite maximale de 10 Mjup (Mjup est la masse de la planète Jupiter) au bord extérieur de l’image. Crédits CEA-SAp.

Planètes détruites autour de Sirius-B ?

Grâce à ces images, les scientifiques ont pu également mesurer pour la première fois le flux infrarouge émis par la naine blanche Sirius-B. Comme la masse et le rayon de la naine blanche sont bien déterminés, l’émission infrarouge a pu être comparée avec précision aux prévisions des modèles théoriques.
Les mesures ont été effectuées à trois longueurs d’onde différentes de 1,2 (J), 1,6 (H) et 2,2 (K) microns, considérées comme des « couleurs » infrarouges. Deux couleurs sont en accord presque parfait avec les prévisions théoriques mais la troisième montre un écart inattendu. Un petit excès, faible mais significatif, est visible à la longueur d’onde la plus grande K (2,2 microns) comparable à ce qui est observé autour de certaines autres naines blanches.
À partir d’un catalogue établi récemment par le satellite infrarouge Spitzer, en orbite depuis 2003, plus de 120 naines blanches ont été mesurées dans l’infrarouge et quatre ont montré un petit excès à partir de la longueur d’onde de 2,2 microns. En général, cet excès augmente fortement aux plus grandes longeurs d’onde infrarouges. Un flux infrarouge aussi important est la signature d’une importante quantité de poussières autour de la naine blanche. Dans plusieurs cas, il est fortement suspecté que cette poussière puisse provenir de planètes détruites, autrefois en orbite autour de la naine. Est-ce le cas autour de Sirius-B ? Y-a-t-il eu des planètes autour de Sirius-B maintenant détruites en poussières ? Cet événement est-il en rapport avec le changement de couleur ?
Des observations de Sirius-B à plus grandes longueurs d‘onde sont maintenant attendues pour essayer de confirmer ces hypothèses. Sirius pourrait encore une fois étonner les astronomes.

Lumière émise par la naine blanche, Sirius-B, dans le domaine visible (données du Télescoope Spatial Hubble) et infrarouge (observations au sol avec optique adaptative). La courbe est le flux prédit par les modèles théoriques. Une petite déviation est visible aux plus grandes longueurs d’onde (flèche) qui pourrait indiquer l’existence de matière circumstellaire autour de Sirius-B. Crédits CEA-Sap.

Contact : J.M. Bonnet-Bidaud

Publication :

« ADONIS high contrast infrared imaging of Sirius-B« 
J.M. Bonnet-Bidaud, E. Pantin
A paraître dans la revue Astronomy & Astrophysics, octobre 2008
Pour une version électronique (format PDF, 684 Ko)

voir aussi  : – « L'affaire Sirius », revue Ciel et Espace

: – Film ARTE (video)

« L'optique adaptative » ARTE/Archimède Extrait vidéo realisé pendant les observations

et « Enigmes de Sirius », Film CNRS 2009

« L'énigme Sirius », podcast Ciel & Espace, 6 oct. 2008


Notes
[1] Sirius-B a été découverte visuellement en 1862 comme une petite étoile faible (mv=8) près de Sirius-A par Alvan Clark qui utilisait une des premières grandes lunettes de 50 cm de diamètre. Son existence avait été prédite bien plus tôt, en 1844, par le mathématicien Friedrich Bessell qui avait déduit sa masse des perturbations qu’elle produisait sur la trajectoire de Sirius-A. Son orbite est maintenant bien connue avec une période de révolution de 50,02 ans. Sirius-B est une naine blanche, un astre dense résultant de l’effondrement du coeur d’une étoile, à la fin de sa vie. Sa masse est très proche de celle du Soleil (1.03Mo) mais son rayon n’est que de 5 700 kilomètres contre 700 000 km pour le Soleil.
[2] Les observations ont été obtenues grâce à l’instrument ADONIS, au foyer du télescope de 3,6 m de diamètre de l’observatoire La Silla (Chili) de l’ESO (Observatoire Européen Austral).



Rédaction: J.M. Bonnet-Bidaud