Ballet de particules dans le Cygne

Ballet de particules dans le Cygne

Un cocon de rayons cosmiques dévoilé par le télescope Fermi

Grâce à des observations menées par l’observatoire spatial à rayons gamma Fermi, une population de particules récemment accélérées vient d’être mis en évidence pour la première fois. L’activité des milliers d’étoiles massives présentes au cœur de la région du Cygne crée des cavités à l’intérieur desquelles zigzaguent les particules. Avant de s’échapper de ces bulles turbulentes pour rejoindre le rayonnement cosmique qui baigne la Galaxie, elles laissent comme empreinte des photons gamma détectés par Fermi. Ce résultat, obtenus par des chercheurs du Laboratoire Astrophysique, Interactions, Multi-échelles AIM -SAp (CEA/Irfu – CNRS – Université Paris-Diderot), de l’INFN (Padoue, Italie), et de la Collaboration Fermi L.A.T [1], apporte un éclairage nouveau sur la naissance et premières phases des rayons cosmiques au sein des régions actives de formations d’étoiles avant leur long périple galactique. Ces travaux sont publiés dans la revue Science du 25 novembre 2011.

Particules cosmiques dans le souffle d’étoiles

Les sources du rayonnement cosmique et leurs processus d’accélération sont encore aujourd’hui très mal connues. Il a été néanmoins établi, de part la composition des éléments détectés, qu’une fraction (environ 20%) de ce flux de particules provenait d’étoiles massives, dont les étoiles de type Wolf-Rayet. Les étoiles massives ont tendance à se former en amas. Si leur durée de vie est courte, quelques millions d’années, leur activité est extrêmement intense. Une étoile massive émet un puissant vent qui souffle la matière environnante et son intense lumière ultraviolette ionise et chauffe à des milliers de degrés le gaz proche. Dans certaines régions du ciel, ces étoiles se rassemblent en conglomérats denses, des amas. L’effet est alors décuplé et des cavités ou super-bulles se forgent sous leur action combinée. Le milieu régnant à l’intérieur de ces structures, soumises aux chocs successifs des vents générés par les étoiles, est très perturbé et turbulent. Toute particule se propageant dans un tel milieu sera fortement affectée.
Cygnus X, un conglomérat d’étoiles situé à 4500 années-lumière dans la constellation du Cygne, est une région de la Galaxie extrêmement riche en étoiles massives incluant des étoiles Wolf-Rayet et plusieurs regroupements d’étoiles massives dont un amas, Cygnus OB2, constitué de plusieurs milliers d’entre elles. En observant cette région avec le télescope LAT de l’observatoire spatial Fermi, les chercheurs ont mis en évidence un excès de rayonnement gamma [2]dans les régions situées entre ces concentrations, signature de particules dotées d’une énergie de plus de un milliard d’électron-Volt [2], qui naviguent à l’intérieur des bulles, interagissent avec ce milieu turbulent pour donner naissance au rayonnement détecté.

Entre les amas d’étoiles massives de la région Cygnus-X, l’excès d’émission gamma est clairement visible sur l’image de gauche (obtenue par le télescope LAT à bord de l’observatoire spatial Fermi). Il signe la présence de particules qui se propagent à l’intérieur des cavités créées par les étoiles massives (croix blanche superposée sur l’image de droite, obtenue dans le domaine infrarouge par le télescope MSX). Le cercle en vert pointillé marque la position de gamma Cygni, un reste de supernova datée de 8000 ans. Sa trace gamma n’apparaît pas sur l‘image de gauche car soigneusement ôtée du signal capté par Fermi. Plusieurs amas très actifs, en particulier Cyg OB2, NGC6910 et NGC6913, sont situés au bord de l’émission gamma. La séquence en fondu enchainé de ces deux clichés est disponible ici. Crédit : I. A. Grenier (Fermi LAT/AIM/U. Paris Diderot/CEA) and L. Tibaldo (Fermi LAT/U. Padova/INFN).

Danse de particules avant échappement dans la Voie lactée

Injectées dans ces bulles turbulentes, les particules interagissent dans ce milieu, réagissent aux chocs générés par le vent des étoiles massives (propulsé à des vitesses de dizaines à centaines de km/sec) et subissent les tortueux effets des champs magnétiques qui y règnent. Après un parcours à l’intérieur de ces superbulles pouvant durer plus de centaines de milliers d’années, les particules vont s’échapper et enrichir le flux de rayonnement cosmique qui baigne la Galaxie.

Les particules (en blanc) décrivent un trajet chaotique à l’intérieur des bulles créées par le vent des étoiles massives de la région Cygnus X (image de fond composite, obtenue en Radio et en Infrarouge). Les trajectoires, un instantané par siècle sur cette séquence, sont affectées par la forte turbulence qui règne à l’intérieur des cavités. Après une course qui peut durer des centaines de milliers d’années, les particules finissent par s’échapper. Elles poursuivent ensuite leur périple à travers la Voie lactée. Crédit: I.A. Grenier (Fermi LAT/AIM/Univ. Paris-Diderot /CEA) et L. Tibaldo (Fermi LAT/Univ. Padoue/INFN). Image de fond: produite pour le CGPS par Jayanne English (CGPS / U. Manitoba) avec l’aide de A.R. Taylor (CGPS / U. Calgary).

Des amas d’étoiles à la Terre

Ces travaux apportent, en prouvant l’existence d’une population jeune de rayons cosmiques au sein d’amas d’étoiles massives, un nouvel éclairage sur l’origine des rayons cosmiques. De nombreux amas d’étoiles massives comme Cygnus X sont présents dans la Galaxie et leur recherche basée entre autre sur leur signature gamma objet de recherches. Le rayonnement cosmique, découvert il y a tout juste un siècle par V. Hess (en 1912) et dont une partie est indirectement captée sur Terre, reste un sujet d’actualité notamment vis à vis de son/ses origines et des processus d’accélérations qui propulsent ces particules à pratiquement la vitesse de la lumière.


Contact : Isabelle GRENIER

Publication :

 » A Cocoon of Freshly Accelerated Cosmic Rays Detected by Fermi in the Cygnus Superbubble « 
M. Ackerman et al., The Fermi collaboration
publié dans la revue Science du 25 novembre 2011, Vol. 334 no. 6059 pp. 1103-1107
pour une version electronique
Science-2011_1103-7.pdf
, 1.2Mo)

Voir  :  » Le communiqué de presse commun CEA/CNRS « 

 » Le communiqué de presse de la NASA (en anglais) « 

Pour en savoir plus : Le site Fermi du Service d’Astrophysique du CEA/Irfu et sa page Actualités

Le site Fermi de la NASA (en anglais)


Note :

[1] Colloboration FERMI. L’observatoire spatial FERMI est le fruit d’une collaboration internationale incluant, en plus des États-Unis qui assurent la maîtrise d’oeuvre du projet, l’Allemagne, la France, l’Italie, le Japon et la Suède. En France, cinq laboratoires sont impliqués dans cette mission : Service d’Astrophysique, laboratoire AIM et Sédi du CEA-Irfu et quatre laboratoires du CNRS : le Centre d’Études Nucléaires de Bordeaux Gradignan (CENBG), le Centre d’études spatiales des rayonnements (CESR, CNRS / Université Toulouse-III), le Laboratoire Leprince-Ringuet (LLR) de l’École Polytechnique, le Laboratoire de Physique Théorique et Astroparticules (LPTA) de Montpellier.

[2] Rayons gamma. Le rayonnement cosmique (RC) produit un rayonnement gamma lorsqu’il entre en collision avec le gaz contenu dans la galaxie selon plusieurs mécanismes possibles. Selon les cas, des rayons gamma sont émis lorsque les protons du RC heurtent les protons du gaz (mécanisme proton-proton) ou lorsque des électrons du RC augmentent par collision l’énergie des photons des étoiles (mécanisme de diffusion Compton inverse) ou même lorsque ces mêmes électrons sont freinés par interaction avec les atomes du gaz ambiant (mécanisme de Bremsstrahlung ou rayonnement de freinage).

[3] Electron-volt. L’énergie des rayons X et gamma est souvent évaluée en « électron-volt (eV) ». Cette unité correspond à l’énergie communiquée à un électron de charge (e) soumis à une tension de 1 Volt. En unités du système international (SI), 1 eV correspond à 1.6 10-19 Joule. Les rayons (ou photons) de lumière visible ont une énergie d’environ 2 eV, les rayons X de 0.1 à 511 kilo-electronvolt (keV). Le domaine des rayons gamma se situe au-delà de cette limite. Ils se mesurent en MeV (millions d’électron-volt 106eV), GeV (giga ou milliards 109eV), TeV (tera ou mille milliards 1012eV).


Rédaction : Isabelle Grenier, Christian Gouiffès