Des simulations numériques retracent l’origine des fusions de trous noirs stellaires
Depuis la détection par les interféromètres de la collaboration LIGO-Virgo d’ondes gravitationnelles provenant de la fusion de deux trous noirs, les binaires de trous noirs comptent parmi les objets célestes qui intriguent le plus les scientifiques. Une équipe d’astronomes, dont des chercheurs du Département d’Astrophysique/ Laboratoire AIM du CEA Paris-Saclay et du laboratoire APC, ont déterminé, grâce à plus de 60 000 simulations numériques d’évolutions stellaires, les caractéristiques des progéniteurs à l’origine des fusions de binaires de trous noirs de masse inférieure à 10 masses solaires. Selon cette étude, une phase dans l’évolution du système binaire dite phase d’enveloppe commune joue un rôle essentiel dans le processus conduisant, ou non, à la fusion des deux trous noirs. Ces travaux font l’objet d’un article à paraître dans la revue Astronomy & Astrophysics.
De la fusion de deux étoiles à l’émission d’ondes gravitationnelles
Depuis 2015 et la détection des premières ondes gravitationnelles par la collaboration LIGO-Virgo, de nombreux autres événements ont été observés par ces interféromètres géants, ouvrant ainsi la voie à l’astronomie gravitationnelle. Les chercheurs disposent dès lors d’un nouveau messager pour étudier les phénomènes les plus violents de l’Univers. Parmi ces phénomènes, les fusions de binaires de trous noirs, des systèmes composés de deux trous noirs en orbite, intéressent particulièrement les chercheurs. Les instruments de la collaboration LIGO-Virgo ont détecté à plusieurs reprises les ondes gravitationnelles émises provenant de la fusion de deux trous noirs. Mais de nombreuses inconnues demeurent sur les caractéristiques des objets compacts ainsi que sur celles de leur progéniteur.
L’histoire des progéniteurs peut rapidement se résumer ainsi : deux étoiles massives naissent dans le même nuage interstellaire. Au cours de leur vie, elles échangent de la matière avant, l’une après l’autre, d’imploser en supernova au bout d’une ou deux dizaines de millions d’années, formant en résidu un duo de trous noirs. Ces deux trous noirs orbitent l’un autour de l’autre et se rapprochent lentement pendant quelques milliards d’années avant de finalement fusionner en produisant un signal d’ondes gravitationnelles détecté par le réseau LIGO-Virgo. Le scénario dépend néanmoins de nombreux paramètres comme la masse initiale de chaque étoile, leur composition, leur séparation orbitale, ou encore leur vitesse de rotation.
Une phase mal connue, un code numérique
Une étape, mal connue mais qui semble essentielle, est à prendre en compte : la phase d’enveloppe commune qui décrit un épisode relativement bref dans la vie du couple stellaire au cours duquel une enveloppe de gaz immerge entièrement la binaire. Pendant cette phase d’enveloppe commune, un important transfert de masse a lieu entre les deux astres et l’orbite, C’est également durant cette phase que l’orbite du système binaire décroît rapidement conduisant potentiellement au processus de fusion des deux objets.
Afin de mieux appréhender les processus en jeu lors de l’évolution du couple d’étoiles, l’équipe de chercheurs a utilisé et adapté en incluant la phase d’enveloppe commune le code public MESA, un outil de simulation de l’évolution hydrodynamique stellaire ainsi que des interactions entre chaque étoile. Plus de 60 000 simulations hydrodynamiques d’évolution et de fusion d’étoiles répondant aux conditions spécifiques fixées par les chercheurs de cette équipe ont été menés à bien sur le cluster de calcul du laboratoire APC à Paris.
Taux de détection de fusion de binaires de trous noirs (/an/Gpc3) en fonction de la distance (z), pour des compositions stellaires (Z) distinctes. La courbe noire représente la somme des taux de détection pour les différentes compositions stellaires.
Le résultat de cette simulation prédit des taux de fusion compris entre 0,2 et 5,0/an/Gpc3 dans l’univers local, correspondant à la détection annuelle de 1.2 et 3.3 détections pour ce type de fusion de trous noirs de masse inférieure à 10 masses solaire. Ce chiffre est comparable aux événements d'ondes gravitationnelles détectés par la collaboration LIGO-Virgo lors des premières campagnes d’observation. Ce résultat conforte la méthode utilisée pour étudier les progéniteurs stellaires des candidats trous noirs susceptibles de fusionner et de se manifester par l’émission d’un signal gravitationnel.
Schéma de l’évolution des progéniteurs d’une fusion de binaire de trous noirs selon cette étude… Un premier épisode de transfert de masse stable a lieu avant la formation du premier trou noir, puis un deuxième épisode de transfert de masse instable conduisant à une phase d’enveloppe commune prend place. Cette phase d'enveloppe commune joue un rôle fondamental, car seuls les progéniteurs survivant à cette phase sont capables ensuite de fusionner en un temps inférieur à la durée de vie de l’univers.
Contact : Sylvain Chaty
« Progenitors of low-mass binary black-hole mergers in the isolated binary evolution scenario » Federico García, Adolfo Simaz Bunzel, Sylvain Chaty, Edward Porter, et Eric Chassande-Mottin.
A paraître dans Astronomy & Astrophysics
http://arxiv.org/abs/2103.03161