Le 9 Octobre 2022 à 13h16 et 59.99 secondes, une bouffée de lumière gamma, appelée sursaut gamma (GRB) a ébloui la quasi-totalité des détecteurs de rayons X et gamma disponibles à ce moment-là. Depuis leur découverte, ces événements font l’objet d’un suivi continu grâce à des observations multi-longueurs d’onde par des télescopes dans l’espace et au sol. Ce sursaut baptisé GRB221009A a secoué la communauté mondiale des astrophysiciens qui mènent depuis leur analyse pour comprendre les phénomènes physiques qui ont déclenché cette bouffée d’énergie la plus intense de notre histoire.
La détection des rayons X en raison de la diffusion de la lumière provenant de l’explosion initiale du GRB 221009A par les poussières de notre galaxie, a conduit à la formation d’anneaux en expansion. Ce « film » (en couleurs arbitraires) montrent ces anneaux formés par les rayons X detectés par le télescope Swift de la NASA. Il a été créé en combinant des images capturées sur une période de 12 jours. Crédit A. Beardmore de l’université de Leicester, NASA, Switf |
Les GRB proviennent de deux phénomènes astrophysiques distincts :
- les sursauts gamma courts (une durée inférieure à 2 s) proviennant de la fusion de deux étoiles à neutrons ;
- et les longs (plus de 2 s et jusqu’à plusieurs minutes) résultant de l’effondrement d’une étoile massive.
Le flash d’environ 600s fut donc associé à un sursaut gamma long d’une intensité dépassant toutes celles enregistrées jusqu’alors.
Par chance, GRB 221009A est l’un des sursauts gamma longs parmi les plus proches jamais observés. La combinaison de cette luminosité extrême (environ 8 masses solaires relâchées en rayons gamma en l’espace de 10 minutes) et de cette proximité rare (environ 2 milliards d’années lumière) en font ainsi le sursaut le plus brillant jamais observé depuis qu’ils sont détectés il y a 55 ans. Selon des statistiques sur les populations de GRBs déjà connus, ce pourrait être un événement unique dans l’histoire de l’humanité, soit un tous les dix mille ans !
Par malchance, GRB 221009A est localisé dans notre plan galactique et les rayonnements (des photons radio, visible, X, UV, IR..), traqués par les télescopes, subissent une forte absorption, ce qui impose, pour l’interprétation de ces données, une bonne maitrise de ce « filtrage » par la poussière de notre galaxie.
Des équipes du DAp et du DPHP de l’Irfu au sein de leur collaboration internationale avec des satellites spatiaux et des télescopes au sol, ont contribué à la science passionnante de cet événement unique (liens articles ci dessous).
La détection d’Integral |
Une émission rémanente par GRANDMA et Kilonova-Catcher |
Une supernova non détectée qui intrigue |
Une émission prompte par Solar Orbiter |
La détection de HESS |
Les émissions des sursauts se divisent en deux phases distinctes :
- la première, dite phase d’émission rapide et brillante, ne dure que quelques seconde
- Integral et solarOrbiter ont pu détecter ce « prompt »
- la seconde, plus lente, se fane plus doucement et peut persister plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Cette émission dite « rémanente », est provoquée par l’accélération d’électrons dans les chocs, résultants de l’explosion, avec le milieu ambiant.
- Integral, GRANDMA, JWST, H.E.S.S. ont détecté ce « rémanent »
La détection du satellite spatial INTEGRAL
contact DAp: Philippe Laurent, Diego GOTZ
Article : Savchenko et al., A&A Letter (article soumis)
INTEGRAL (International Gamma-ray Astrophysics Laboratory) a pu enregistrer l’émission prompte et le début de l’émission rémanente de GRB 221009A, grâce à sa capacité de surveiller la quasi-totalité du ciel à chaque instant de son orbite. Ceci a été obtenu par les données de l’anti coïncidence du spectromètre SPI, qui enregistre des photons avec des énergies supérieures à 80 keV.
La figure ci-dessous donne la courbe de lumière du sursaut telles que détectées par les différents instruments d’INTEGRAL, SPI et IBIS. Le sursaut a été tellement fort que certains instruments ont été saturés. Les détecteurs Germanium de SPI, peu saturés, montrent dans l’insert la vraie évolution temporelle du sursaut, avec deux pics principaux, plus un plus faible quelques centaines de secondes plus tard.
Suite à la détection initiale, des observations de suivi ont été déclenchées et elles ont permis d’observer l’émission rémanente dans les rayons X durs (> 10 keV) principalement avec l’imageur IBIS, pendant presque une semaine.
Les données d’IBIS ont permis de caractériser l’évolution spectrale de la rémanence pendant cette période, dans une bande d’énergie qui traditionnellement n’est pas observée, mais qui grâce à la puissance de GRB 221009A a pu être relevée en détail pour la première fois. Ces observations ont contribué à créer une vision cohérente, multi-longueur d’onde de la rémanence sur cinq décades en énergie, ce qui nous donne des indications sur le jet émis lors du sursaut ainsi que sur le milieu dans lequel ce jet a évolué.
contact DAp: Damien Turpin
Article: https://arxiv.org/abs/2302.06225
L’émission rémanente des GRB trouve son origine dans l’interaction entre le jet ultra relativiste émis par le moteur central du sursaut et le milieu interstellaire (MIS) environnant. A travers la zone de choc jet/MIS, les électrons environnants sont accélérés et refroidissent ensuite en émettant une lumière synchrotron allant principalement des rayons X au domaine radio. C’est ce qu’on appelle l’émission rémanente.
Dans le domaine UV, visible et infrarouge, (UVOIR) la grande absorption par la poussière galactique de l’émission rémanente a largement compliqué la tâche puisqu’à ces latitudes galactiques les modèles de poussières pourraient ne pas être suffisamment résolu spatialement pour refléter la réelle absorption observée.
Quoiqu’il en soit, l’analyse des données de la collaboration GRANDMA a pu montrer qu’une absorption additionnelle était nécessaire pour expliquer les données UVOIR:
- soit elle vient de notre galaxie et est due à l’incomplétude du modèle de poussière galactique
- soit c’est une absorption additionnelle liée à la galaxie hôte du GRB.
L’émission rémanente optique de GRB 221009A corrigée de l’extinction visuelle sur la ligne de visée due à la poussière galactique et remise dans le contexte de la population de sursauts gamma vue à une distance (redshift, z) commune de z = 1. GRB 221009A fait partie des sursauts les plus brillants jamais observés. | Courbe de lumière multi-longueurs d’onde de GRB 221009A grâce aux observations réalisées par les Collaborations pro GRANDMA et amateurs Kilonova-Catcher. |
Ajustement de la distribution spectrale en énergie (SED) de l’émission rémanente de GRB 221009A après avoir appliqué une correction due à l’extinction galactique d’avant plan (modèle Schlafly & Finkbeiner 2011, SF11) et projeté ensuite à un redshift de z = 0.151. Une correction d’extinction additionnelle doit être ajoutée pour rendre compte de la courbure du spectre, très vraisemblablement due à la contribution de la poussière de la galaxie hôte. La loi d’extinction de la galaxie hôte ne peut être discriminée entre les prédictions de modèles similaires à des lois de type Voie Lactée (MW), LMC ou SMC.
La modélisation de la lumière rémanente XUVOIR de GRB 221009A révèle aussi une incompatibilité entre les modèles classiques de sursauts gamma et les données. Il semblerait qu’une révision des modèles actuels ou l’utilisation de modèle de structure de jet plus complexe soit nécessaire pour rendre compte de l’évolution à la fois spectrale et temporelle de GRB 221009A.
Science participative avec le réseau d’astronomes amateurs Kilonova-Catcher (KiloNovaCatcher.fr et Observer ensemble les murmures de l’univers )
La Collaboration GRANDMA a aussi mis en alerte son réseau d’astronomes amateurs pour cet événement (Projet Kilonova-Catcher, Resp: Damien Turpin – CEA/Irfu) qui ont très largement contribué à l’élaboration d’un jeu de données complets dans le domaine visible et proche infrarouge. Plus de 200 images provenant d’une vingtaine d’astronomes amateurs à travers le monde ont été collectées et analysées par les équipes scientifiques de GRANDMA. Ils participent ainsi à juste titre à la publication des résultats d’observation de l’émission rémanente de GRB 221009A et démontrent que la société civile peut directement contribuer à des découvertes scientifiques majeures.
Image résiduelle dans le domaine visible de GRB221009A après soustraction avec une image du catalogue PanSTARRS. L’observation a été réalisée par Filipp Romanov un astronome amateur du programme GRANDMA/Kilonova-Catcher avec le télescope Dall-Kirkham(0.61-m) de l’Observatoire Burke-Gaffney (Canada) |
Une supernova non détectée qui intrigue…
contact DAp: Emeric Le Floc’h ,
L’exceptionnelle luminosité du sursaut GRB221009A a permis également de mener des observations dans le domaine de l’infrarouge thermique, grâce aux instruments NIRSPEC et MIRI du James Webb Space Telescope. C’est d’ailleurs la toute première fois que l’émission rémanente d”un sursaut est analysée à ces longueurs d’onde. En combinant ces observations avec celles obtenues dans le domaine des rayons X et celui du visible, les scientifiques ont pu apporter des contraintes sur la détection possible d’une supernova (SN) accompagnant le sursaut gamma, comme il l’a été observé dans certains autres cas par le passé (Levan et al. 2023). La présence éventuelle de cette supernova a donné lieu à de nombreuses controverses entre les experts. Les observations du JWST démontrent que cette SN, si elle existe, doit être significativement plus faible que les hypernovae comme 1998bw.
Par ailleurs, les données JWST ont permis de mieux contraindre l’extinction dans la direction du sursaut. Cette extinction est largement dominée par celle provenant de notre propre Galaxie, mais il y a cependant une composante non négligeable qui pourrait être locale au sursaut lui-même, dans sa galaxie-hôte. Les images de celle-ci obtenues par le télescope spatial Hubble dans le visible vont aussi dans ce sens : les scientifique ont pu montrer que c’est un disque vu quasiment par la tranche, avec donc une forte extinction naturelle. La forme de la galaxie est tout à fait comparable à celle caractérisant la population générale des galaxies-hôtes de sursauts gamma, ce qui montre que le caractère exceptionnel du GRB221009A n’est sans doute pas dû à son environnement. L’analyse du profil morphologique de la galaxie vient de méthodes d’analyse développées pendant la thèse de Benjamin Schneider, effectuée à l’IRFU/DAp et soutenue le 17/11/2022.
Image composite du champ de vue en direction du sursaut GRB221009A, obtenue entre 1 et 1.5 microns le 4 décembre 2022 par le télescope spatial Hubble. Au centre de la région indiquée par le carré blanc, on distingue l’émission rémanente du sursaut (source ponctuelle) ainsi que sa galaxie-hôte vue quasiment par la tranche (trainée blanche du disque d’une galaxie spirale). En médaillon, la modélisation de ces 2 objets (la galaxie et la contrepartie visible du sursaut) obtenue après avoir masqué l’émission des autres sources présentes dans le champ. Crédits: Levan et al. 2023.
A gauche, l’image du champ de vue du sursaut GRB221009A obtenue à 5.6 microns par l’instrument MIRI du James Webb Space Telescope le 22 octobre 2022. La source lumineuse au centre du carré noir correspond à l’émission rémanente du sursaut détectée dans l’infrarouge thermique. A droite, une vue en plus gros plan de la contrepartie du sursaut (située entre les 2 barres verticales rouges), obtenue à partir de plusieurs images prises par la caméra WFC3 du télescope spatial Hubble entre 1 et 1.6 microns. La profondeur de ces images permet de distinguer, en arrière-plan du sursaut, une émission étendue et allongée, orientée en diagonale, correspondant au disque de la galaxie-hôte du sursaut vue par la tranche (crédit Levan et al. 2023)
Une émission prompte observée “de dos” par Solar Orbiter
contacts DAp: Aline MEURIS , Olivier Limousin ,
L’instrument STIX à bord de Solar Orbiter observe les éruptions solaires en bande X (4 – 150 keV) depuis avril 2020, en s’approchant du Soleil aussi près que 0.28 UA. Il a donc été conçu pour détecter des événements brefs et très intenses. Dans cette période de Soleil actif (proche du maximum solaire), le sursaut gamma est apparu en luminosité comme une éruption solaire de classe M. En revanche, sa signature spectrale permet immédiatement de reconnaître qu’il ne s’agit pas d’une éruption solaire car elle contient beaucoup plus de photons de haute énergie. La courbe de lumière est aussi assez singulière avec deux pics intenses dans une minute suivi d’un pic plus faible 4 minutes plus tard.
En analysant la répartition spatiale des photons dans le plan de détection de STIX, on s’aperçoit que l’éruption a été observée sans passer par le système optique du télescope de Fourier (permettant de faire des images) mais par l’arrière et de côté de l’instrument, après avoir traversé toute la matière du satellite !
Les deux premiers pics sont imputables à des mécanismes de dissipation au sein du jet relativiste (choc interne entre couches de plasmas évoluant à différentes vitesses, reconnexion magnétique dans un jet dominé par un champ magnétique turbulent, on ne sait pas vraiment quel modèle est le bon pour les GRBs). Le dernier pic plus faible est vraisemblablement aussi de l’émission prompte tardive due à une activité tardive du moteur central réinjectant de l’énergie dans le jet.
Les observations du réseau de télescope au sol H.E.S.S.
contact DPhP: Fabian Schussler
Article :H.E.S.S. Follow-up Observations of GRB 221009A – IOPscience
L’observatoire de rayons gamma de très haute énergie (au-delà de 100 GeV, noté VHE) H.E.S.S. en Namibie, n’a pas été en mesure d’observer le sursaut immédiatement car, en raison de la pleine lune à ce moment-là, le fond du ciel nocturne était trop élevé pour le fonctionnement de nos instruments hyper sensibles. Cependant, sous la coordination de F. Schussler de l’Irfu, les observations ont pu commencer deux jours plus tard, le 11 octobre, et se sont poursuivies pendant plus d’une semaine. Malheureusement, la campagne a été fortement influencée par des conditions atmosphériques plutôt mauvaises, notamment un ciel partiellement nuageux et une forte teneur en aérosols. Des analyses minutieuses des données acquises par H.E.S.S n’ont pas permis de détecter de manière significative des rayons gamma VHE à la position du GRB dans l’ensemble des données ni pendant des nuits individuelles. Néanmoins, cette absence de détection permet de mettre des limites à haute énergie sur les flux de rayon gamma attendus à la suite d’un sursaut gamma (voir figure ci dessous).
Les gammas de très haute énergie apparaissent lors de la deuxième phase surnommée «rémanence»,et sont produits par l’accélération d’électrons dans les chocs, résultant de l’explosion, dans les milieux ambiants de l’étoile morte. La non détection de gammas d’energie d’énergie supérieure à 650GeV associés au GRB221009A a permis de mettre des contraindres sur les différents scénarios d’émission théoriques possibles.
Carte de ciel en rayons gamma de très haute énergie obtenue à partie des observations H.E.S.S. de GRB 221009A (Reference arxiv.org/abs/2303.10558)
Limites sur le flux de rayons gamma de très hautes énergies, obtenues par H.E.S.S. (rouge) en comparaison avec les mesures en rayons X (Reference arxiv.org/abs/2303.10558)
La suite….
GRB 221009A est un événement d’intérêt majeur dans l’étude des phénomènes transitoires violents dans l’Univers. Bons nombres de ses propriétés physiques en font un sursaut gamma unique dans le zoo des GRBs jusqu’alors détectés. Des observations supplémentaires au cours des prochains mois, notamment dans le domaine radio et X, permettront d’apporter des informations complémentaires précieuses pour lever le voile sur les processus physiques à l’œuvre. Nul doute que GRB 221009A risque d’occuper les esprits des scientifiques pour les mois à venir. Un jeu de données standardisées entre les différentes communautés (X, UVOIR, radio, GeV) est en cours d’élaboration et permettra aux théoriciens de construire des modèles plus appropriés dans les mois à venir.
Contacts Irfu:
- Philippe Laurent et Diego GOTZ, pour Integral
- Damien Turpin , pour GRANDMA
- Emeric Le Floc’h, pour JWST
- Aline MEURIS , Olivier Limousin , pour SolarOrbiter
- Fabian Schussler, pour H.E.S.S.