Microquasars : le cas de GRS1915+105

Microquasars : le cas de GRS1915+105

Microquasars : le cas de GRS1915+105

Emission à haute énergie d’un microquasar

Les microquasars sont des systèmes binaires serrés contenant un trou noir absorbant la matière de son étoile compagnon. Cette absorption de matière ou accrétion se fait via un disque d’accrétion qui ceinture l’objet dense. Chauffées par les fortes forces de marées et par la friction résultante, les régions internes sont portées à quelques millions de degrés. Ceci se traduit par un fort rayonnement de nature thermique observé dans le domaine des rayons X de basse énergie (de quelques centaines d’électron-Volt (eV) à quelques milliers d’eV). Une deuxième composante est dans certains cas détectée à une énergie plus élevée qui peut atteindre un million d’eV (1 MeV). Elle trouve son origine dans un milieu plus ténu que le disque souvent appelé « couronne ». Dans ce plasma qui enveloppe le trou noir, les électrons cèdent une fraction de leur énergie aux photons de basse énergie, les rendant décelables à bien plus haute énergie que ceux du disque. Ce phénomène physique est appelé effet compton inverse.

Vue d’artiste d’un microquasar. La matière arrachée de l’étoile compagnon tombe dans le trou noir dans un mouvement en spirales. Un disque se forme autour de l’astre dense et des jets de matière apparaissent. La masse du trou noir du microquasar GRS1915+105 est estimée à 14 fois la masse du Soleil, celle de son étoile compagnon à 0.8 masse solaire. La période de révolution est de 33 jours. GRS1915+105 est situé dans la constellation de l’Aigle à une distance de 12 Kpc de la Terre soit 40000 années-lumière.

Les microquasars sont également le siège d’éjections très énergétiques de matière puisqu’ils peuvent propulser dans le milieu interstellaire l’équivalent de la masse de la Lune, ceci à une vitesse proche de celle de la lumière. Ces éjections de matière sont habituellement observées dans le domaine radio. Depuis plusieurs années, les astrophysiciens cherchent à lier les observations effectuées dans différents domaines de longueur d’onde afin de comprendre la physique liée à ces phénomènes d’accrétion et d’éjection.

Afin de comprendre les microquasars, les scientifiques se sont rapidement aperçus que seule une vision globale du système, c’est-à-dire de tous les domaines de longueur d’onde dans lesquels ils pouvaient se manifester était indispensable pour appréhender la complexité et la variété des phénomènes physiques en jeu.

Une campagne d’observations simultanées pour comprendre GRS195+105

Grâce à une campagne d’observations simultanées en rayons X, gamma et radio avec les satellites INTEGRAL, RXTE et le télescope Ryle du microquasar GRS 1915+105, les scientifiques viennent de déterminer les connections précises existant entre le disque d’accrétion, la couronne et les éjections de matière.

Les trois télescopes utilisés lors cette étude du microquasar GRS1915+105. A gauche, le télescope Ryle (à gauche), un interféromètre composé de huit antennes de 13 m de diamètre situé au Royaume-Uni. Ce télescope observe à une fréquence de 15 GHz. Au centre le satellite de la NASA RXTE, sensible aux photons compris entre 2 et 60 keV et à droite l’observatoire de l’ESA INTEGRAL. Dans ce dernier cas, l’utilisation des instruments IBIS/ISGRI et JEMX a permis d’étudier la source entre 3 et 300 keV. A titre indicatif et pour souligner les domaines d’énergie explorés, une fréquence de 15 GHz correspond à une énergie de 60 milliardième de keV.

En observant GRS 1915+105 à maintes reprises durant près de deux années, l’équipe de chercheurs a en premier lieu pu comprendre et généraliser un processus d’évolution conduisant dans tous les cas à une éjection de matière. En effet, les différentes observations montrent qu’une éjection est toujours précédée d’un état bien particulier, caractérisé par une faible luminosité X d’une part et d’un rayonnement gamma relativement fort. Cette phase se termine brusquement par un pic X accompagné d’une chute brutale du rayonnement gamma qui signe le moment de l’éjection.
Les chercheurs sont parvenus à ce résultat via deux approches différentes et indépendantes, l’une ne faisant appel à aucun modèle théorique, l’autre basée sur une étude spectrale (étude de la distribution de l’énergie), et donc reposant sur la modélisation. Les deux approches conduisent à la même conclusion, ce qui conforte les chercheurs dans le bien fondé du scénario proposé.

GRS1915+105 : évolution de l'intensité
Les différentes étapes conduisant à l’éjection de matière s’expliquent de la manière suivante.

I – Le disque d’accrétion (bande rouge) est loin du trou noir (environ 1000 km) et relativement froid (T~0.1 keV soit 1 million de degrés). Le flux de rayons X est faible et l’émission du système est dominée par la couronne (vert pomme), ce qui se traduit par un fort flux gamma.

II – En raison de la force de gravitation, la matière contenue dans le disque se rapproche lentement du trou noir en effectuant des mouvements en spirale. Le disque reste cependant relativement loin (>500 km) et froid (< 5 million de degrés) d’où un flux observé en X relativement faible. A ce stade, la couronne pourrait subir un effet de compression (renflement sur le schéma II). Elle domine encore les émissions du système.

III – : Le pic X s’accompagne d’une brutale chute du rayonnement gamma. Ceci traduit la disparition progressive de la couronne en tant que telle, elle se fragmente puis est éjectée du système. Le disque est lui bien plus proche du trou noir (160 km) et plus chaud (18 millions de degrés). L’émission est alors dominée par celle du disque.

IV – L’éjecta se propage à une fraction notable de la vitesse de la lumière (de l’ordre de 20 %). L’émission radio associée (points bleus) atteint un maximum environ 20 minutes après le pic en X. L’éjecta se disperse puis se dilue ensuite dans le milieu interstellaire et l’émission radio diminue. Durant cette phase de décroissance, le rayonnement X de basse énergie (en rouge) se maintient à un niveau constant et relativement élevé, preuve de la persistance de l’émission du disque tandis que le rayonnement à plus haute énergie (en vert) atteste de la formation d’une nouvelle couronne. Le cycle est bouclé.

Ce graphique montre l’évolution de l’intensité en rayons X (rouge), gamma de basse énergie (vert) et dans le domaine radio (en bleu) du microquasar GRS1915+105 pour une durée d’une heure environ. La partie supérieure de ce graphique illustre pour chaque étape la configuration du système qui comprend un disque (en rouge) ceinturant le trou noir (point noir) et la couronne (vert pomme). La séquence se termine par une éjection de matière (bulles bleues) sur le schéma le plus à droite. (crédit CEA/SAp).

La séquence présentée ci-dessus est loin d’être unique. Les observations ont permis de détecter jusqu’à une dizaine de cycles durant seulement 1.3 jours de mesures continues en rayons X et gamma, preuve du dynamisme de ce système. Ces études permettent de plus de déterminer le moment exact de l’éjection et l’origine de la matière. Contrairement à qui était admis jusqu’à présent, la matière éjectée ne proviendrait pas du disque, mais de la couronne. Le pic en X traduirait aussi le moment même où cette couronne quitte le voisinage immédiat du trou noir.

Quand le trou noir emmagasine de l’énergie

Un deuxième résultat important lié à ces travaux est la découverte d’une forte relation entre l’intensité du signal radio observé et la durée de l’accalmie en rayons X de basse énergie qui la précède. Rendu possible par le grand nombre de cycles d’activité observé par les chercheurs, il tend à montrer que plus le trou noir accumule de la matière, plus l’éjection est importante. Parallèlement il est aussi tentant de penser que l’énergie stockée durant cette phase, utilisée ensuite dans l’éjection, est proportionnellement de plus en plus importante.

Evolution de l’amplitude du signal radio lié à l’éruption en fonction de la durée de la période d’accalmie en rayons X de basse énergie (3-13 keV). Les points bleus proviennent de la campagne INTEGRAL, les verts de données d’archives. La droite représente le meilleur ajustement aux données. Sur ce graphique une claire tendance se profile : plus la durée de l’état calme est longue, plus l’accumulation de matière est importante ce qui se traduit par une éjection plus conséquente.

Un modèle théorique compatible avec ces observations est développé au sein du Service d’Astrophysique pour expliquer l’existence de ces cycles par l’advection de flux magnétique dans les régions internes du disque (scénario de crues magnétiques). Un phénomène de reconnexion violente serait alors à l’origine de l’éjection. Dans ce cadre, on comprend que la quantité d’énergie stockée sous forme de flux magnétique se traduit par une puissance d’éjection proportionnelle.
Le cycle accrétion-éjection est relativement rapide dans cette source puisque tout s’y passe en environ une demi-heure. Il est à noté que dans d’autres microquasars les échelles de temps caractéristiques du cycle peuvent être plus longues, mais ne dépassent généralement pas plus de quelques jours. GRS1915+105 est donc une source de choix pour mener de telles études multi-longueurs d’onde puisqu’il est plus facile d’organiser et de coordonner des campagnes d’observations simultanées.

Ces résultats ont une importance toute particulière pour la compréhension de la physique à l’origine de ces phénomènes extrêmes, physique des plasmas et physique relativiste. En liant le devenir de la matière accrétée à celui de la matière éjectée, des contraintes importantes sont imposés à tout modèle théorique. En particulier, toute modélisation de disque devra prendre en compte le stockage de matière et d’énergie nécessaire à l’éjection. Ils permettent de mieux comprendre la physique en cours au sein de ces objets extrêmement énergétiques. En pouvant prédire les moments de l’éjection, les scientifiques espèrent les étudier dans un futur proche de manière plus précise.

Perspectives observationnelles

Le projet Simbol-X, un télescope haute énergie de nouvelle génération actuellement à l’étude, est parfaitement adapté pour l’étude des microquasars. Ses capacités d’imagerie et de spectroscopie dans la gamme d’énergie comprise entre 0.5 et 80 keV permettront à l’aide d’un instrument unique, d’étudier de manière beaucoup plus fine l’évolution du système et de ses différentes composantes (disque, couronne et jets de matière) dans le domaine des rayons X mous et durs (respectivement inférieur et supérieur à 10 keV).
En particulier, les performances attendues de Simbol-X permettront d’obtenir des données de grande qualité sur une échelle de temps aussi courte que la seconde, un atout important au vue de l’extrême activité de ces objets. Ceci permettra de suivre avec une grande précision l’évolution de la source, apportant par la même des informations de premier plan de l’instant de l’éjection. La découverte de nouveaux microquasars sera certainement au rendez-vous, non seulement dans la Galaxie mais également dans les galaxies externes jusqu’à une distance de 1 Mpc.