R. A. García et S. Couvidat
L’étude de l’intérieur du Soleil ne peut se faire en utilisant le rayonnement électromagnétique émis par la surface solaire. Certes, cette lumière ne met que 8 minutes pour nous parvenir, mais cela lui aura auparavant demandé plusieurs millions d’années pour traverser les 700000 km qui séparent le centre du Soleil de la photosphère, en raison de l’extrême opacité du matériau traversé. La lumière reçue, après un si long voyage, a donc perdu toute l’information sur ses origines et sur les couches rencontrées. L’exploration de l’intérieur solaire est pourtant rendue possible par l’existence d’ondes acoustiques qui se propagent de la surface jusqu’au coeur, et ce en 1 heure environ. La première observation de ces ondes date de 1962, mais il faut attendre les années 70 pour que leur nature soit comprise et qu’une nouvelle discipline centrée sur leur étude émerge : l’héliosismologie.
La génération des ondes
L’astrophysicien rencontre un problème similaire à celui des géophysiciens quand ils veulent étudier l’intérieur de notre planète. Les sismologues « terrestres » utilisent les ondes sismiques qui la traversent comme source d’informations sur la structure interne de la Terre. Les ondes sismiques dites ondes P sont de même nature que les ondes sonores : ce sont des ondes qui se propagent en compressant puis décompressant tour à tour le milieu dans lequel elles évoluent. On parle donc d’ondes de pression, d’ondes acoustiques ou encore d’ondes sonores. Les ondes acoustiques solaires sont aussi dénommées ondes P. Cependant, il n’y a pas de croûte solide à la surface du soleil capable de craquer suite aux déformations engendrées par les séismes. Au contraire, la photosphère solaire oscille localement sous l’action des ondes qui s’y réfléchissent. Ce sont ces oscillations de la photosphère que l’on détecte. Elles nous renseignent sur les ondes se propageant dans le Soleil, ainsi on peut représenter en bleu les régions qui se déplacent vers l’observateur et en rouge celles qui s’en éloignent.
L’excitation de ces ondes acoustiques est due à la convection. Dans les 30% en rayon les plus externes du Soleil, le plasma est violemment agité par des mouvements macroscopiques de matière, ou mouvements convectifs. L’énergie produite par fusion nucléaire au coeur, et qui permet au Soleil de briller, n’est pas transmise uniquement par rayonnement électromagnétique : la convection en transporte l’essentiel dans cette région qu’il est convenu d’appeler zone convective. Ces mouvements convectifs créent la fameuse granulation de surface qui s’observe nettement aux télescopes, et qui donne cet aspect « peau d’orange » à la photosphère. Ces mouvements sont similaires à ceux qui agitent l’eau bouillante d’une casserole en train de chauffer. Les cellules convectives du Soleil « frappent » sa surface et génèrent ainsi des ondes acoustiques qui vont ensuite se propager dans l’intérieur de l’étoile, de la même manière que les gouttes de pluie qui martèlent la peau d’un tambour produisent du son. A l’inverse des ondes électromagnétiques, ces ondes sonores se propagent de la surface vers le coeur du Soleil, et parcourent ce trajet en un peu moins d’une heure (rayon acoustique), nous renseignant sur le Soleil quasiment en « temps réel ». Cela vient de ce que la vitesse du son dans le Soleil, proportionnelle à la racine carrée de la température, varie de 7 km/s près de la surface à 510 km/s dans le coeur : cette vitesse est élevée au regard de ce qu’elle vaut sur Terre (à peine 340 m/s dans l’air).
Analogie musicale
Le Soleil est un formidable instrument de musique. De même qu’une corde de piano ne produit que des sons ayant certaines fréquences précises (le fondamental et ses harmoniques), seules certaines ondes sont « autorisées » dans le Soleil, qui agit comme une cavité de résonance. Les ondes ayant les fréquences appropriées constituent les modes d’oscillation qui vibrent plusieurs jours durant, voire plusieurs années (ce sont des ondes stationnaires); les autres sont appelées à disparaître rapidement.
La convection, telle un marteau de piano qui frappe la corde, est la source d’excitation de ces modes. Prenons cette fois-ci l’exemple d’un trombone. Le musicien, en ajustant grâce à la coulisse la longueur de la colonne d’air dans l’instrument, produit des sons de fréquences différentes. Plus cette longueur est importante, plus le son est grave. Si on se représente le Soleil comme une cavité dans laquelle des ondes sonores évoluent, et dont le volume est un million trois cents mille fois plus important que celui de la Terre, on comprend instinctivement que ses ondes acoustiques aient des fréquences très basses.
Ainsi, le Soleil produit des ondes sonores décalées de 17 octaves par rapport à la note « La » centrale du piano de fréquence 440 Hz, c’est à dire des ondes de fréquences centrées autour de 3 mHz (période de 5 mn). De la même façon, si on veut reconnaître une pièce musicale, ses interprètes et les instruments de musiques utilisés, il nous faut un certain temps. Par analogie, dans le cas solaire, comme ses fréquences sont ~150000 fois plus graves, il faut en fait « écouter » beaucoup plus longtemps pour pouvoir commencer a extraire de l’information, de l’ordre d’une année « d’écoute » continue.
Caractérisation des modes d’oscillations d’une sphère
Le Soleil est cependant bien plus complexe qu’un instrument de musique, principalement parce qu’il est tridimensionnel et sphérique.
Les modes d’oscillation ne peuvent dès lors pas être caractérisés par un unique nombre, mais en nécessitent deux, dénommés n (ordre radial) et l (degré du mode). n représente le nombre de nœuds radiaux, c’est à dire le nombre de fois où l’amplitude de l’onde s’annule entre la surface et le centre du Soleil. Le degré l est le nombre de lignes nodales à sa surface. Dans le cas d’une corde de guitare fixée à ses deux extrémités, ses modes d’oscillation sont entièrement caractérisés par la seule donnée de n.
De plus le Soleil tourne sur lui même et a donc un axe préférentiel de symétrie : son axe de rotation. Cet axe impose d’introduire un nombre supplémentaire pour caractériser complètement les oscillations : l’ordre azimutal m (nombre des lignes nodales à la surface qui sont perpendiculaires à l’équateur). La figure ci-dessous montre un exemple de 3 modes d’oscillation.
La propagation des ondes acoustiques
Les ondes sonores nous informent sur la structure et la physique du Soleil. A cette fin plusieurs grandeurs sont utilisées : la fréquence des ondes, leur amplitude, leur taux d’amortissement (quantité d’énergie perdue chaque seconde, qui détermine leur durée de vie). L’information que ces ondes transportent dépend également de leur trajectoire dans le Soleil. Elles sont générées à la surface du Soleil par les mouvements convectifs, et se propagent alors vers le centre de l’étoile.
La température augmente au fur et à mesure que les ondes s’approchent de ce centre, et elles sont progressivement réfractées (leur trajectoire s’incurve) jusqu’à être complètement réfléchies. Cette réfraction vient de ce que la vitesse de déplacement des ondes sonores dépend de la température du milieu dans lequel elles évoluent. Une fois réfléchie, les ondes reviennent vers la surface qu’elles atteignent à une position différente de leur point de départ, puis elles repartent vers l’intérieur. Et ainsi de suite, elles peuvent effectuer des « tours complets » du Soleil. Cette représentation de leur propagation n’est cependant qu’approximative puisque les ondes considérées sont en réalité sphériques. La création de modes d’oscillation depuis de telles ondes sonores se comprend grossièrement de la manière suivante : l’excitation des ondes par les mouvements convectifs étant permanente, une onde qui a « fait un tour du Soleil » et revient à son point de départ interagit avec une onde nouvellement excitée. Cette interférence peut être constructive ou destructive : soit l’onde incidente renforce l’onde qui vient d’être excitée, soit les deux s’annihilent mutuellement. Seules les oscillations ayant les bonnes fréquences donnent naissance aux interférences constructives et deviennent des modes d’oscillation. Ces interférences constructives garantissent une durée de vie « décente » à ces modes au contraire des autres ondes appelées à vite disparaître. Les modes sont piégés dans une cavité limitée à l’extérieur par la surface solaire et à l’intérieur par une sphère centrée sur le centre du Soleil et de rayon la distance à laquelle le mode est réfléchi (point de retournement interne).
Si on caractérise chaque mode par son degré l et son ordre n, alors plusieurs milliers ont été détectés avec précision à la surface du Soleil. L’intérêt d’un tel nombre est que, chaque mode se propageant selon un « chemin » différent dans le Soleil, plus on a accès à de modes d’oscillation, plus notre couverture de l’intérieur solaire est complète. En l’absence de certains modes, il reste des régions solaires qu’on ne peut atteindre. A un degré l donné, plus un mode a un ordre radial n élevé, plus il s’enfonce profondément dans le Soleil avant d’être réfléchi (point de retournement interne plus près du coeur). De même, à n donné, plus l est faible et plus le point de retournement interne est proche du centre solaire.
Muni d’un nombre suffisant de modes observés, la méthode la plus utilisée pour retrouver la structure interne du Soleil est appelée problème inverse. On opère comme suit : on dispose, par exemple, des fréquences de modes d’oscillation (résultat d’observations), et également d’un modèle solaire calculé sur ordinateur et suffisamment représentatif du Soleil réel. En utilisant ce modèle solaire, on prédit les fréquences des modes d’oscillation observés. Il existe une relation entre la différence entre fréquences observées et prédites, et les différences entre vitesse du son du Soleil et vitesse du son du modèle utilisé, et densité du Soleil et densité du modèle. Des techniques mathématiques nous permettent d’inverser cette relation, et donc de retrouver les profils réels de vitesse du son et de densité dans l’intérieur de notre étoile. En faisant ensuite une hypothèse sur la relation entre les grandeurs pression, densité, et température (équation d’état), on déduit le profil de température du Soleil. L’observation des modes d’oscillation nous donne également accès au profil de rotation du Soleil. Actuellement, il n’est pas encore possible de retrouver la structure solaire dans ses 7% en rayon les plus internes (15% de la masse), ainsi que la rotation dans les 20% les plus internes (coeur nucléaire).
Depuis une décennie, une branche de l’héliosismologie se développe qui concerne la structure solaire locale. L’utilisation des modes d’oscillation (dits globaux), ne peut nous fournir qu’une information moyennée en longitude, et bien souvent également moyennée en latitude. L’héliosismologie locale, contrairement à cette héliosismologie globale, est fondée sur l’observation de la propagation locale d’ondes. Elle permet d’étudier des structures localisées comme les taches solaires. Ainsi, un profil de vitesse du son sous une tache solaire est présenté dans la figure ci-dessous. Les deux branches — globale et locale — de l’héliosismologie sont complémentaires plutôt qu’antagonistes.