Structure statique et dynamique des étoiles

Structure statique et dynamique des étoiles

Sylvaine Turck-Chièze

Grâce aux nouvelles techniques d’observations astronomiques, notre vision de l’intérieur du soleil est en pleine évolution. D’un statut d’astre chaud, stable et fidèle, le Soleil est devenu un véritable laboratoire de physique présentant des conditions de température et densité inaccessibles sur terre. Ceci a repoussé les frontières des connaissances de la matière dans le domaine des plasmas et de la physique des particules. La compréhension des étoiles amène le développement de nouveaux champs d’investigation auprès des réacteurs et des lasers de puissance. C’est aujourd’hui la connexion entre les différentes échelles temporelles qui est en discussion avec de nouveaux questionnements sur le rôle de la rotation et du magnétisme et leurs implications dans l’interaction du Soleil avec la Terre.

fig 1 : A bord de SoHO, l’observation de plusieurs raies d’absorption permet de sonder les températures de la granuleuse photosphère (5800 K) à gauche jusqu’à la couronne où le plasma est de nouveau chauffé à des millions de degrés (à droite), en passant par la chromosphère située près du minimum de température. Il est ainsi possible de suivre les manifestations d’activité du Soleil dont l’origine se trouve sous la photosphère.

Le Soleil, une référence en Astrophysique

Il y a souvent un grand pas entre comprendre comment fonctionne un objet céleste et pouvoir le décrire suffisamment précisément pour que lui-même devienne un laboratoire pour étendre notre connaissance en physique fondamentale.
L’Astrophysicien complète l’Astronome qui observe, en interprétant ses observations. Son rôle, dans un premier temps, est de chercher les processus dominants puis de rajouter d’autres processus secondaires jusqu’à reproduire les observations. Pendant longtemps, compte tenu de la limitation des observations au spectre visible, l’Astrophysique est apparue aux autres domaines de la Physique comme une science approximative ou d’ordre de grandeur. Ce fut pourtant une étape clé et décisive dans la compréhension de l’Univers, car le nombre de processus mis en jeu est très important et la cohérence d’ensemble est redoutable, ce qui signifie que la palette de l’Astrophysicien doit être très riche. Il doit être capable de ne pas s’égarer et son rôle est déterminant dans sa sélection à travers tous les possibles.

fig 2 : Le satellite SoHO teste le Soleil de sa partie intime jusqu’à la couronne où les éruptions peuvent être violentes emportant des centaines de tonnes du plasma solaire. L’asymétrie de ces éjections est clairement visible et importante pour comprendre la vie magnétique d’une étoile comme le Soleil.

Aujourd’hui l’ensemble du spectre électromagnétique est accessible grâce à la mise sur orbite d’instruments spatiaux et le développement de détecteurs spécifiques. Dans le cas du soleil, cela permet de mettre en évidence les éjections de particules, les vents, les rayons X et ultraviolet… C’est la supériorité du satellite de l’agence spatiale européenne SoHO, lancé en 1995 par la NASA, d’avoir à son bord une panoplie d’instruments qui regardent le Soleil à des longueurs d’onde différentes, testant ainsi la couronne, la chromosphère et la photosphère situées à des températures différentes et présentant donc des aspects de plasmas différents. Ceci donne du Soleil des images bien étonnantes et révèlent la richesse de nos visions solaires. Ce satellite possède à son bord aussi trois instruments de sismologie solaire qui permettent de sonder l’intérieur de l’étoile, occasion unique d’enfin bâtir une vision complète de notre étoile, c’est très motivant pour les équipes du CEA.

Une étoile passée au crible de la sismologie

La résolution des équations de structure présentées dans l’encadré nécessite d’introduire une physique riche et complexe qui décrit les conditions thermodynamiques de chaque étoile à modéliser. Entre 1960 et 1985, une rapide revue de l’ensemble des conditions stellaires a été brossée et les étoiles ont pris vie avec des chemins évolutifs fort différents (voir diagramme HR p 247 Encyclopédie Universalis). Un pas a été de nouveau franchi, ces vingt dernières années grâce au développement de l’héliosismologie qui a vraiment fait passer cette science du qualitatif au quantitatif.

Cette technique, empruntée aux géophysiciens, est caractérisée par la richesse de son information. En effet, l’astrophysicien est doublement chanceux : le Soleil est un gaz, assimilable à une sphère et la propagation des ondes est donc relativement facile à décrire, de plus, le phénomène d’excitation des modes est permanent et produit par le Soleil lui-même (voir les mesures sismiques). Il n’y a donc aucune source supplémentaire à décrire, pas d’interaction perturbatrice et un signal continu. Toute l’information portée par ces ondes concerne donc directement le plasma solaire.

Deux types d’ondes se propagent dans le Soleil. Les ondes acoustiques générées par la granulation de surface, comme pourrait le faire une forte pluie sur la surface d’un tambour, ont pour force de rappel la pression. Les ondes de gravité proviennent principalement de l’interface convection-radiation et sont régis par la gravité. Seuls les modes acoustiques ont fourni une information exploitable actuellement et leur richesse vient de la possibilité unique de résoudre le Soleil en un grand nombre de pixels (1024*1024 pour l’instrument MDI à bord de SoHO) ou de le regarder globalement comme pour d’autres étoiles, comme le fait GOLF donnant un accès privilégier aux modes pénétrants jusqu’au coeur. L’ensemble des modes acoustiques existants (en fait des millions) est accessible à l’observation. Ceci permet de reconstruire les propriétés du plasma solaire de la surface jusqu’à une fraction du cœur nucléaire, en s’appuyant sur deux quantités : la vitesse du son et la décomposition des modes en composantes liées à la rotation et au champ magnétique des couches traversées.

Armés de tels outils de confrontation, il est intéressant de résoudre les équations de structure en introduisant une physique riche et complexe, et passer ainsi d’une pure vision théorique à une vision numérique, quantitative et vérifiable. C’est cette stimulation intellectuelle entre théoriciens, numériciens et observateurs qui a permis de répondre à des questions concrètes comme, quels sont les véritables flux de neutrinos émis par le Soleil, quelle est la température centrale ? quel est l’âge des étoiles primordiales ? …

fig 3 : Domaine fréquentiel des deux types de modes: les modes acoustiques apparaissent au dessus de 0.5 mHz, le domaine des modes de gravité est situé entre 50 mHz et 0.5 mHz. Surperposés sur les observations de GOLF, les bruits solaires liés à la granulation (GR) et à la supergranulation (SG). De la mesure du temps acoustique de propagation d’un mode, on déduit la vitesse du son dans le milieu, à condition d’avoir un modèle proche pour définir la taille de la cavité traversée. Celle-ci est directement reliée aux quantités thermodynamiques par la relation c2 = g P/ r. Il est aussi possible d’accéder à la rotation interne et à des effets de champ magnétique.

Un laboratoire riche de physique complexe : l’état de la matière

La composition de l’étoile soleil provient du nuage dans lequel il est né. Celui-ci va fixer la quantité d’hydrogène disponible dans le cœur nucléaire et donc la longévité du Soleil. Le profil radial de la vitesse du son reflète l’état thermodynamique de la matière et ses brusques changements. Il est possible d’identifier des régions où les éléments importants changent d’état : position où l’hélium devient partiellement ionisé et composition de l’hélium photosphérique, position où le transport ne se fait plus par radiation mais par convection grâce au changement d’état de l’oxygène. Dans la partie centrale, le profil de la vitesse du son est aussi très sensible à la réaction principale proton + proton et donc à sa section efficace d’interaction ainsi qu’aux autres réactions importantes de fusion.

L’extraction précise de la vitesse du son, aujourd’hui obtenue à quelques 10-4, permet d’observer le plasma solaire in situ. Ainsi l’héliosismologie a permis d’extraire la quantité d’hélium photosphérique (inaccessible à la mesure directe, et donc indirectement celle de l’hydrogène). Le fait que l’hélium représente le quart de la masse à la photosphère a beaucoup surpris. C’est une valeur quasiment primordiale alors que le Soleil est né environ 8 milliards d’années après la formation de notre galaxie. Ce résultat met en évidence la nécessité d’introduire la lente migration gravitationnelle relative à l’hydrogène de l’ensemble des éléments et d’en quantifier l’effet : en 4.6 milliards d’années, la composition relative d’hélium par rapport à l’hydrogène est réduite de 8-9% en fraction de masse, celle des éléments plus lourds comme le carbone, l’azote et l’oxygène d’environ 10%. En apparence un détail, mais avec un fort impact sur l’âge des plus vieilles étoiles, qui s’en sont trouvées rajeunies de plusieurs milliards d’années. Puis le profil de la vitesse du son a mis en évidence ce brutal mais ténu changement de pente qui est le signe d’un changement de transport d’énergie entre la convection et la radiation, avec un comportement très particulier sur une extension de quelques % en rayon.

Dans la région radiative, l’introduction de la composition détaillée et des sections efficaces d’interaction des photons a permis de mieux évaluer la température centrale et donc les taux de réactions thermonucléaires. Il a fallu plus de dix ans aux différentes équipes qui travaillent, aux Etats-Unis et en France sur l’interaction photon-matière pour introduire tous les processus et tous les éléments qui contribuent à définir le cheminement des photons du centre du Soleil à la surface. Il n’est possible de sonder le cœur nucléaire, que si l’on maîtrise correctement les régions plus externes. Ceci nécessite un effort dans la qualité d’extraction des fréquences des modes et aussi dans la modélisation théorique car la compréhension du Soleil repose sur l’adéquation entre la représentation théorique et sismique.

fig 4: Interaction photon-matière.

Un coeur nucléaire en partie maîtrisé

Il ne suffit pas de connaître les réactions nucléaires impliquées dans l’évolution des étoiles pour décrire correctement le cœur nucléaire à cause de la très forte dépendance en température de la plupart d’entre elles. Le Soleil est l’unique plasma disponible aujourd’hui pour tester l’interaction faible, la production de neutrinos, et les spécificités du plasma. Beaucoup de physique est nécessaire pour décrire les 25% les plus internes, qui renferment plus de la moitié de la masse du Soleil. Celui-ci doit sa longévité au fait que l’interaction entre deux protons est une interaction faible, qui n’est pas accessible au laboratoire. Cette interaction est directement liée au temps de vie du neutron aujourd’hui estimé à 8 mn, elle a donc un caractère fondamental. C’est aussi la principale source de neutrinos émis par le Soleil mais comme leur énergie est faible, seuls une partie d’entre eux sont détectables aujourd’hui et jamais isolément. C’est dommage, car leur nombre est parfaitement défini par le bilan énergétique. En effet, la luminosité émise par les réactions nucléaires est très proche de la luminosité de surface donc si l’on connaît l’énergie produite par cette réaction, le nombre de neutrinos émis par la réaction p-p est totalement sous contrôle. D’autres neutrinos sont émis par des réactions marginales pour le bilan énergétique, (voir encadré sur les réactions nucléaires) mais très sensibles à la température centrale et aussi émis très au centre de l’étoile.

Ainsi, une erreur de 2% sur la température centrale engendre des variations d’un facteur 2 sur le flux de neutrinos associés au 8B, mesuré par les expériences Superkamiokande et SNO. Or des différences d’un facteur 2 à 3 ont été observées entre prédiction théorique de neutrinos et détections sur terre de neutrinos solaires. Il est donc important de maîtriser les conditions centrales à une fraction de %. Bien comprendre le plasma solaire est aussi crucial pour caractériser les plasmas que l’on cherche à fabriquer dans le futur pour l’énergie de fusion car les conditions thermodynamiques du plasma sont similaires même si les réactants sont différents.

Pour définir à quel rythme les protons se transforment en hélium à travers les réactions définies dans l’encadré 2 du soleil nucléaire, les sections efficaces des différentes chaînes ppI, ppII, ppIII et du cycle CNO doivent être connues. Seules celles gouvernées par l’interaction forte sont accessibles à l’expérimentation et de nombreux laboratoires de physique nucléaire ont entrepris ces mesures. W. Fowler a compilé l’ensemble des résultats obtenus et a reçu le prix Nobel pour cet effort considérable. Mais les conditions de laboratoire ne sont pas celles des étoiles. Les expériences sont en général effectuées à plus haute énergie que celle rencontrée dans le plasma solaire, car la barrière coulombienne exclut souvent ce domaine qui varie de 1.5 keV pour l’interaction p + p à quelques dizaines de keV pour les réactions du cycle CNO (variation en Z1Z2 où Z est le nombre de protons des réactants). De plus la plupart des mesures en laboratoire se fait entre atomes et non entre ions. Il faut donc extrapoler les mesures en laboratoire aux basses énergies correspondant aux conditions solaires, corriger les expériences en laboratoire des effets coulombiens rencontrés et réintroduire les effets coulombiens des ions considérés du plasma solaire, enfin il faut introduire théoriquement l’effet d’accélération dû aux électrons libres et aux ions spectateurs. C’est à cause de cette complexité que les mesures en laboratoire se sont étalées sur une trentaine d’années, avec encore de très jolis résultats récemment destinés à relever certains des challenges précités. Ainsi la mesure récente 3He,3He fait intervenir des ions et représente le cas unique réalisé aux conditions d’énergie stellaire. D’autre part, la très difficile section efficace 7Be (p,gamma) a été contrôlée par différentes méthodes en particulier récemment par l’équipe française du CSNSM d’Orsay, car elle est déterminante pour prédire les neutrinos détectés par les détecteurs Superkamiokande et SNO.

fig 5 : Région d’émission des neutrinos associés aux interactions pp, 7Be , 8B, 13N, 15O et 17F dans le Soleil. A part ceux de la réaction fondamentale pp, ils sont tous émis au centre du Soleil.
fig 6 : La figure de gauche montre à quelle énergie les réactions nucléaires s’effectuent dans le Soleil à cause de la compétition entre la distribution maxwellienne des vitesses des réactants et l’effet coulombien ; à droite, est montré le facteur de correction attendu si la distribution des vitesses était perturbée : l’héliosismologie a montré que ces déformations n’étaient pas observées

Dans cette problématique complexe, certains éléments du calcul nucléaire pouvaient échapper à la sagacité du physicien. Aussi, l’approche théorique couplée à l’héliosismologie a été précieuse. En extrayant le profil de la vitesse du son très précisément avec GOLF et MDI, jusqu’à 6% du centre du soleil, nous avons pu caractériser le plasma solaire. En particulier, la section efficace p + p qui n’était connue que théoriquement, est maintenant déterminée à 1% près.

Mais quelles sont ces propriétés mystérieuses du plasma stellaire ? Comment vaincre la barrière coulombienne entre deux protons chargés positivement ? Les particules le font naturellement grâce à leur vitesse initiale et à l’effet tunnel. L’énergie de l’interaction n’est pas l’énergie thermique, mais une énergie nettement plus élevée. C’est Gamow qui a compris cet effet, ceci réduit le nombre de protons concernés par ces réactions nucléaires (illustration ci dessus. Si ce n’était pas le cas le Soleil brûlerait son combustible en quelques millions d’années ! En effet, tous les protons ne se déplacent pas à la vitesse thermique du gaz, ils se répartissent selon une distribution maxwellienne de la vitesse. Ceci est déterminant pour compter le nombre d’interaction et définir l’énergie de l’interaction, surtout pour l’interaction forte, qui est si dépendante de cette énergie (ou température). De plus, les électrons libres jouent le rôle d’accélérateurs de l’interaction. Pendant de nombreuses années, des doutes ont planés sur la justesse de la distribution en vitesse et sur les phénomènes dits « d’écrantage ». Pouvait elle être perturbée par le plasma lui-même ou par la présence d’autres espèces ? Là encore, l’héliosismologie a apporté des réponses déterminantes. Si la distribution de vitesse n’est pas totalement maxwellienne, ceci a un impact important sur les interactions mises en jeu pour des Z>3 et la vitesse du son en est directement affectée dans sa partie centrale. Aucune évidence de tels phénomènes n’est compatible avec les mesures sismiques.

fig 7 : Différence entre le carré de la vitesse du son extraite des ondes acoustiques observées par GOLF+MDI et celle de modèles solaires pour un modèle purement théorique sans effets macroscopiques (pointillés), pour un modèle incluant le mélange lié au traitement de la région de transition radiation-convection (trait plein) et pour un modèle sismique, ajustant certaines quantités physiques, dans la limite des incertitudes, pour reproduire au mieux l’observation dans la région radiative.

Bref, au fur et à mesure des améliorations théoriques et des progrès sismiques, la qualité des modèles solaires s’est imposée et la physique introduite aujourd’hui est d’une grande richesse. Au cours des années, les différences entre vitesse du son extraite des modes acoustiques et vitesse du son des modèles solaires se sont réduites. Après vingt ans de travail, le modèle sismique est devenu un modèle représentatif du Soleil dans la partie radiative. Ses caractéristiques sont présentées ici et les informations obtenues pour les 2000 couches sont consultables sur le serveur du service d’Astrophysique.

En 2001, la précision sur la vitesse du son s’est avérée suffisante pour déduire d’un modèle sismiquement représentatif, les flux de neutrinos émis par le Soleil pour les différentes réactions qui émettent des neutrinos. Quelques mois plus tard, l’expérience SNO montrait pour la première fois, un flux qui résultait de la somme de différentes espèces de neutrinos en parfait accord avec ces prédictions. La physique stellaire était devenue une science quantitative qui permet de prédire de façon fiable en particulier les flux de neutrinos, la Physique des Particules a mis en évidence une propriété particulière des neutrinos, ils se transforment d’une espèce en une autre et ont donc une masse. L’interaction entre ces deux disciplines continue. Elle se concentre aujourd’hui sur le transport des neutrinos dans la matière avec de possibles interactions magnétiques ou sur des processus de résonance de spin qui pourrait être liée à de brusques discontinuités de la densité dans différentes régions du Soleil.

Un réseau européen se met en place pour attaquer ces nouvelles questions et aussi les suivantes liées à une autre source de neutrinos celle des supernovae.

Caractéristiques globales du modèle sismique :

Tc : 15.71 106 °K
rc : 153.13 g/cm3
Xc : 0.3385 en fraction de masse
Teff : 5800°C
Hélium surface : 0.251 en fraction de masse
Hélium initial  : 0.272


Références

Brun, Turck-Chièze et Zahn, 1999, ApJ, 525, 1032
Turck-Chièze et al., 2001, Sol. Phys., 200, 323
Turck-Chièze et al.,2001, ApJ lett. , 555, L69
Turck-Chièze et al.,2004, ApJ, 604, 455
Couvidat et al., 2003, ApJlett, 597, 77
Couvidat et al., 2003, ApJ, 599,1434