22 juillet 2022
Premier balayage de la région centrale de la Voie Lactée en rayons gamma de très hautes énergies avec H.E.S.S.
La collaboration H.E.S.S. publie les résultats d'une longue campagne d’observations du centre galactique (2014-2020).
Premier balayage de la région centrale de la Voie Lactée en rayons gamma de très hautes énergies avec H.E.S.S.

Vue des télescopes H.E.S.S. situés dans le désert de Namibie, en arrière-plan la voie lactée (crédit: Bastien Foucher)

La collaboration H.E.S.S. a mené depuis plusieurs années une vaste campagne d’observations pour couvrir plusieurs centaines de parsecs autour du centre Galactique. Cette campagne d’observations coordonnée par un membre de l’Irfu/DPhP a pour but d’atteindre la meilleure sensibilité possible pour la recherche de signaux de matière noire et d’éjecta de matière provenant de Sagittarius A*. Les résultats sur la recherche de matière noire menée par une équipe de l’Irfu/DPhP ont été soumis à la revue Physical Review Letters. La région centrale de notre galaxie, la Voie Lactée, abrite de nombreuses sources astrophysiques émettant des rayons gamma aux très hautes énergies (>100 GeV). Parmi elles, se trouvent le trou noir supermassif Sagittarius A* susceptible d’être à l’origine de l’accélération de rayons cosmiques à des énergies du pétaelectronvolts (1 PeV = 106 GeV), ou encore la base des bulles de Fermi, deux structures géantes en forme de lobes s’étendant sur plus de 10 kiloparsecs (1 parsec = 3,26 années-lumière = 3.085x1016 m) de part et d’autre du disque Galactique dont l’origine est encore inconnue. La région centrale de notre galaxie est également prédite comme la source la plus brillante d’annihilation de particules de matière noire et est un lieu privilégié pour tenter d'en comprendre la nature.

 

Le centre de la Voie Lactée est un environnement riche et complexe avec de nombreuses sources astrophysiques (pulsars, vestiges de supernova, le trou noir supermassif Sagittarius A*, …) sièges de l’accélération de rayons cosmiques dont l’interaction produit des rayons gamma aux très hautes énergies (THE, > 100 GeV). Le Centre Galactique (CG) joue très probablement un rôle majeur dans l’accélération de rayons cosmiques dans notre Galaxie : la détection d’émission diffuse avec H.E.S.S. jusqu’à plusieurs dizaines de TeV montre un gradient de la densité de rayons cosmiques en direction du CG faisant de cette région le premier Pevatron Galactique. La présence de structures bipolaires, appelées bulles de Fermi, d’origine physique encore inconnue, suggère que les objets ou processus de formation les alimentant se produisent à moins d’une centaine de parsecs du CG. Cette région est également d’un intérêt tout particulier car elle est attendue comme la plus brillante en rayons gamma provenant d’annihilations de WIMPS, des particules de matière noire massive interagissant par interaction faible avec la matière ordinaire et avec elles-mêmes. Les observations effectuées avec les réseaux de télescopes à effet Tcherenkov atmosphérique permettent de détecter des rayons gamma au-delà d’une vingtaine de GeV et sont uniques pour étudier les processus astrophysiques les plus violents à l’œuvre au cœur de notre Galaxie.

 
Premier balayage de la région centrale de la Voie Lactée en rayons gamma de très hautes énergies avec H.E.S.S.

Figure 2 : Carte d’exposition (en heures) obtenue avec les observations des cinq télescopes de H.E.S.S. entre 2014 et 2020 en coordonnées galactiques. Le triangle noir indique la position du trou noir supermassif Sagittarius A*. Les positions de pointés définies pour les observations menées à partir de 2016 sont marquées par les croix en noir (les chiffres sont seulement leurs noms). A la distance du centre galactique (environ 8.5 kpc), un angle de 1° représente 150 parsecs.

La collaboration H.E.S.S. mène depuis plusieurs années un programme d’observation intensif pour balayer la région centrale de la Voie Lactée sur plusieurs centaines de parsecs. Les observations sont effectuées en mode balayage avec les cinq télescopes du réseau H.E.S.S. pointant sur une grille de positions de pointé préalablement définies. La prise de données est effectuée sous des conditions d’obscurité totale, c’est-à-dire sans Lune, avec un angle zénithal d’observation inférieur à 40°, en exigeant que deux des cinq télescopes au moins détectent sur le même événement, dans le but d’obtenir la meilleure sensibilité possible. A ce jour, ce balayage inclus 6 ans de prise de données depuis 2014, représentant plus de 500 heures de données de haute qualité d’observation après application des critères de sélection. Avec le champ de vue de H.E.S.S. de 5°, un temps d’exposition d’au moins 10 heures est obtenu jusqu’à des latitudes galactiques de +7°. Le figure 2 montre la carte d’exposition obtenue avec la campagne d’observation 2014-2020.

Avec ce jeu de données sans précédent, une analyse de données avec une étude approfondie des incertitudes systématiques a été mise en place pour rechercher un signal d’annihilations de particule de type WIMPs. Avec l’exposition obtenue, ce signal a été recherché dans 25 régions d’intérêt jusqu’à 3° autour du CG. Aucun excès significatif d’événements par rapport au bruit de fond n’a été trouvé dans les régions considérées.

 

Les limites sur un signal de matière noire ont été calculées à l’aide d’un test statistique (TS) de vraisemblance utilisant les caractéristiques spectrale et spatiale du signal recherché par rapport au bruit de fond. Comme aucun excès significatif n’a été détecté, les résultats sont présentés sous la forme d’une valeur limite supérieure de la section efficace d’annihilation, qui dépend du canal d’annihilation considéré : en paires de quarks, de leptons, de bosons de jauge et de Higgs. La figure 3 montre ces limites en fonction de la masse supposé du WIMP dans le canal d’annihilation en paire de bosons W+W- (les valeurs au-dessus des courbes sont exclues par les différentes expériences).

 On observe qu’à partir de 300 GeV les résultats de H.E.S.S., présentés ici, sont les plus contraignants. Dans le canal d’annihilation W+W-, la meilleure limite obtenue vaut 3.7x10-26 cm3/s pour une masse de WIMP de 1.5 TeV. Cette limite est juste au-dessus de la valeur de la section efficace d’annihilation de 3x10-26 cm3/s attendue pour des WIMPs produits thermiquement dans l’univers primordial. L’étau se resserre sur la matière noire au TeV et les résultats des nouvelles campagnes de mesure sont attendus avec impatience.

La campagne d’observations menée avec les cinq télescopes du réseau H.E.S.S. pour sonder la région centrale de la Voie Lactée sur plusieurs centaines de parsecs a été très fructueuse. Le lot de données actuel est unique à ce jour, il permet de tester les modèles de WIMPs et fournit des informations de premier plan sur le paradigme des WIMPs à l’échelle du TeV pour la matière noire. Ce jeu de données sans précédent permet d’explorer l’espace des paramètres de modèles de particules de matière noire de masses au multi-TeV comme les candidats supersymétriques que sont le Wino et le Higgsino prédits dans les extensions du Modèle Standard de la physique des particules. 

 
Premier balayage de la région centrale de la Voie Lactée en rayons gamma de très hautes énergies avec H.E.S.S.

Figure 3 : Comparaison des contraintes actuelles sur la section efficace d’annihilation dans le canal W+W. Les régions au-dessus des courbes sont exclues par les différentes expériences. La ligne noire montre la limite obtenue pour le relevé H.E.S.S vers le centre Galactique pour le balayage fait entre 2014 et 2020. Sont représentées également les limites obtenues avec d’autres expériences: avec l’instrument HAWC vers le Centre Galactique (courbe en violet), avec Fermi-LAT à partir des observations de 15 galaxies naines satellites de la Voie Lactée (courbe en gris) et du Centre Galactique (courbe en rose), celles provenant de la mesure du fond diffus de rayonnement cosmologique avec PLANCK (courbe en rouge), et celles obtenues par H.E.S.S. en 2016 (courbe en jaune).

 

Le balayage de la région centrale de notre galaxie sera poursuivi dans la phase d’extension de H.E.S.S. jusqu’à l’automne 2024 avec des observations pour les latitudes Galactiques négatives sur une grille de positions symétrique à l’existante par rapport au plan Galactique. L’ensemble de ces observations constituera un héritage important de H.E.S.S. à l’astronomie gamma de très hautes énergies. Ces observations, leur mise en œuvre, l’étude des effets systématiques dans cette région complexe du ciel sont cruciales pour préparer et optimiser le balayage du centre Galactique prévu avec le futur réseau CTA.

 

 

Contacts : Emmanuel MoulinAlessandro Montanari

Pour en savoir plus :

 

Pages Web H.E.S.S. Irfu : 

https://irfu.cea.fr/dphp/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast_technique.php?id_ast=1025&id_groupe=3429

faits marquants H.E.S.S.:

https://irfu.cea.fr/dphp/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast_technique.php?id_ast=1025&voir=fm

References suppléméntaires:

  • Acceleration of petaelectronvolt protons in the Galactic Centre, Nature 531, 476 (2016)
  • Search for dark matter annihilations towards the inner Galactic halo from 10 years of observations with H.E.S.S., Phys. Rev. Lett. 117, 111301 (2016)
  • Pevatron at the Galactic Center: Multi-Wavelength Signatures from Millisecond Pulsars, JCAP 1807, 042 (2018)
  • Search for γ-ray line signals from dark matter annihilations in the inner Galactic halo from ten years of observations with H.E.S.S., Phys. Rev. Lett 120, 201101 (2018)
  • Science with the Cherenkov Telescope Array, Dark matter programme, World Scientific, pp. 45-81 (2019)
  • Prospects for detecting heavy WIMP dark matter with the Cherenkov Telescope Array: The Wino and Higgsino, Phys. Rev. D 103 (2021) 02301
  • Search for TeV emission from the Fermi Bubbles at low Galactic latitudes with H.E.S.S. inner Galaxy survey observations, PoS ICRC2021 (2021) 791
 
#4996 - Màj : 13/09/2022

 

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