29 juillet 2021
Une électronique à la pointe de la technologie pour le système de déclenchement du calorimètre de l’expérience ATLAS
Une électronique à la pointe de la technologie pour le système de déclenchement du calorimètre de l’expérience ATLAS

Une des 74 nouvelles cartes de déclenchement du calorimètre électromagnétique d’ATLAS, conçues et réalisées par l’Irfu en collaboration avec l’industrie.
(©CEA/Irfu)

Après une dizaine d’années de R&D et de prototypage en collaboration avec la société TRONICO à Nantes, l’Irfu a livré, en juillet 2021 au CERN, l’ensemble des 74 nouvelles cartes de déclenchement du calorimètre électromagnétique d’ATLAS, produites par la société FEDD. Ces cartes sont destinées à la refonte du système de déclenchement, nécessaire pour gérer le flux de données croissant fourni par le LHC dès son redémarrage en février 2022. La production de ces cartes très complexes, possédant plus de 13000 composants résistants aux radiations et nécessitant des technologies électroniques et électro-optiques avancées, a demandé toute l’expertise et les compétences de l’Irfu au cours des dernières années. Elles transmettent chacune un volume de données de 200 Gbps (Gigabits par seconde).

 

Rôle du calorimètre électromagnétique et du déclenchement

Les calorimètres d’ATLAS jouent un rôle essentiel dans l’identification et la mesure de l’énergie des nombreuses particules issues des collisions proton-proton du LHC. Pour séparer les dépôts d’énergie de nature électromagnétique (provenant d’électrons ou de photons), des dépôts hadroniques qui pénètrent la matière plus en profondeur (provenant des protons, pions, jets reliés à des quarks ou gluons de basse énergie…), il faut analyser le plus finement possible la structure des dépôts dans le calorimètre. C’est pourquoi les calorimètres d’ATLAS comportent plusieurs couches en profondeur finement segmentées.

Le système de déclenchement de l’expérience ATLAS permet d’effectuer un tri très rapide entre les interactions sans intérêt et celles susceptibles de contenir un objet physique intéressant (photon ou électron de haute énergie, jet énergétique, énergie transverse manquante…). Il conjugue les informations reçues des différents sous-détecteurs composant ATLAS, en particulier du calorimètre électromagnétique à argon liquide. Au niveau du calorimètre lui-même, les énergies des cellules d’une région d’intérêt (dans laquelle un dépôt d’énergie dépassant un seuil est reconstruit) sont sommées de telle sorte que les calculs effectués par le déclenchement soient rapides.

 

Vue d'Atlas
À gauche, une vue d’ensemble des calorimètres d’ATLAS. À droite, un zoom sur les parties avant du système. La longueur totale du système est d’environ 12 mètres, pour un diamètre de 6 mètres, dont 3 pour la partie électromagnétique. Le poids de chaque calorimètre bouchon est de 270 tonnes. (© collaboration ATLAS)
 

Des performances de déclenchement accrues

Jusqu’à présent le déclenchement du calorimètre  électromagnétique  était basé sur la somme analogique des signaux produits par des groupes de cellules adjacentes avec une granularité relativement grossière, sans information en profondeur sur le développement des gerbes électromagnétiques. Si les cellules physiques du détecteur n’ont pas été changées, le nouveau système permet quant à lui d’analyser les gerbes avec une granularité plus fine (10 fois plus de signaux utilisés pour le déclenchement) en incluant une mesure d’énergie et de temps par couche de détection (voir la figure ci-après). La mesure d’énergie par couche de détection du calorimètre donne la possibilité d’ajouter dans la décision du système de déclenchement des informations permettant de discriminer entre gerbes électromagnétiques et hadroniques, et donc d’accroître la sélectivité du système. En outre, une numérisation des informations très tôt dans la chaîne d’acquisition autorise le calcul d’observables contenant plus d’information que les sommes analogiques d’origine.


 

Trigger Tower
À gauche : une vision actuelle d'un dépôt d'énergie par le système de déclenchement. La granularité est grossière et il n'y a pas d'information en profondeur. À droite : une vue du même dépôt d'énergie après les améliorations apportées par la carte LTDB. La granularité est nettement plus fine (10 fois plus de signaux) et il y a une information en profondeur.
(© collaboration ATLAS)

Les physiciens et ingénieurs de l’Irfu sont impliqués dans le projet d’amélioration du système de déclenchement d’ATLAS depuis son origine en 2012, aussi bien dans la conception, les tests de prototypes, que dans la production et la validation après production des nouvelles cartes de déclenchement du calorimètre électromagnétique. Ces développements s’inscrivent dans la continuité de l’expertise de l’Irfu, puisque les cartes de déclenchement analogique actuelles, appelées Tower Builder Board (TBB), avaient été conçues et produites par l’institut dans les années 2000. Les TBB produisent une somme analogique de 60 cellules correspondant à une “tour de déclenchement” (Trigger Tower, image de gauche de la figure ci-dessus). Le signal d’une tour de déclenchement est ensuite numérisé, et les données numérisées sont exploitées par la logique de déclenchement d’ATLAS. Ces cartes sont par ailleurs conservées dans le nouveau système de déclenchement.

 

Les 150 nouvelles cartes de déclenchement, appelées LTDB (LAr Trigger Digitizing Board) sont un des éléments essentiels de la jouvence du système de déclenchement. Tout d’abord ces cartes réalisent la mise en forme analogique du signal. Afin d’obtenir le meilleur rapport signal sur bruit possible pour chaque région du calorimètre, les équipes de l’Irfu ont mis un soin particulier à concevoir des cartes adaptées aux différentes zones du détecteur à couvrir (6 types de cartes au total), en effet l’énergie moyenne des particules dépend de la position. Les signaux analogiques sont ensuite numérisés puis transmis via des fibres optiques à d’autres cartes, situées hors du détecteur, et chargées de reconstruire en temps réel l’énergie et le temps d’arrivée des particules. Finalement, ces données numériques sont exploitées par le système de déclenchement pour prendre la décision d’accepter ou de rejeter un événement.

Les cartes LTDB comportent également un étage de traitement analogique permettant d’utiliser l’ancien système de déclenchement (TBB) en parallèle. Ceci permet d’accroître la fiabilité d’ensemble du système de déclenchement, en particulier au démarrage de la prise de données, alors que le nouveau système basé sur les données numériques des LTDB sera en cours de rodage.

CAO de la partie analogique de la carte LTDB dans le logiciel Cadence Allegro. Le PCB se compose de 24 couches - 10 couches de signal, 4 couches d’alimentations, 10 couches de masse - comme l’indique le bandeau gris sur la droite de la photo. Seules les couches de signaux sont visibles sur cette photo, on distingue une partie des 320 voies d’entrée par carte. (© CEA/Irfu)

 

Les cartes LTDB sont à la limite de ce qui est réalisable à l’heure actuelle dans l’industrie : sur un circuit imprimé de 24 couches, de 41 cm par 49 cm, elles comportent environ 13000 composants, dont 130 ASIC (circuits intégrés pour une application dédiée) devant tous être tolérants aux radiations. Chaque carte LTDB dissipe environ 100 W et doit être refroidie par une circulation d’eau.

Vue d'Atlas Cooling
À gauche : vue d'une carte LTDB en cours de test. L'oscilloscope montre des signaux émis par la carte de test et typiques du calorimètre En arrière-plan on distingue un des bancs de test. À droite : le système de refroidissement à eau des cartes LTDB. (© CEA/Irfu)

Chaque carte peut prendre en charge le traitement de 320 canaux du système de déclenchement, et est reliée au système de déclenchement principal  par 40 liens optiques à 5.2 Gbps. L’ensemble du système de déclenchement du calorimètre électromagnétique génère un flot de données total de 29 Tbps.

L’Irfu a pris en charge depuis 2019 la production et le test de 74 cartes LTDB destinées aux bouchons du calorimètre soit la moitié des 150 cartes nécessaires.

 
Une électronique à la pointe de la technologie pour le système de déclenchement du calorimètre de l’expérience ATLAS

Vue d'une carte LTDB (41x49 cm²) insérée dans son châssis de test. A côté de la carte LTDB se trouve à gauche la carte d'injection, au même format qu'une carte LTDB.
(©CEA/Irfu)

Un banc de test conçu sur mesure

Toutes les cartes ont été validées à l’aide d’un banc de test dont la pièce maîtresse, conçue à l’Irfu, est une carte d’injection portant 9 FPGAs (puces programmables), et capable d’injecter des signaux de forme prédéfinie  pour tester l’ensemble des 320 voies d’une LTDB . Cette carte  a aussi permis de tester la fonctionnalité de l’étage de sommation analogique destiné aux cartes TBB en numérisant les entrées analogiques à 80 MHz. Après avoir été caractérisée, chaque carte a été préparée, avec le montage des plaques de refroidissement suivi d’un test d’étanchéité, de façon à être prête à être installée sur le détecteur dès sa réception au CERN.

 

Pour conclure

La production des cartes LTDB a été jalonnée de multiples difficultés qu’il a fallu surmonter progressivement. Il a fallu en effet réparer une importante fraction de cartes, du fait de composants défectueux ou aux performances insuffisantes.

En octobre 2021, lors du run pilote du LHC à 900 GeV d’énergie de collision proton-proton, les cartes seront testées pour la première fois en condition de fonctionnement réel. Au printemps 2022, le LHC démarrera à 13.6 TeV pour des prises de données en fonctionnement nominal ce qui marquera la fin de la phase de conception et production et laissera la place à l’analyse des données physiques.

 

Contacts : Hervé DeschampsAude GrabasPhilippe Schwemling

 
#4953 - Màj : 02/08/2021

 

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