21 mars 2019
STEREO passe à la vitesse supérieure

L’expérience STEREO publie de nouveaux résultats basés sur la détection d’environ 65 000 neutrinos à courte distance du réacteur de recherche de l’ILL-Grenoble. Leur précision améliorée permet de rejeter l'hypothèse d'un 4ème neutrino dans une grande partie du domaine prédit par « l'anomalie neutrino des réacteurs ». Bénéficiant d’un bon contrôle de la réponse du détecteur, STEREO publie également ses premières mesures absolues du taux de neutrinos et de la forme du spectre.

 

Particules omniprésentes, les neutrinos sont étudiés avec toutes sortes de détecteurs pour tester la théorie du Modèle Standard, pour observer l'intérieur des réacteurs ou des étoiles, ou pour étudier les phénomènes violents aux plus grandes échelles de l'Univers. La détection des faibles signaux laissés par les neutrinos est donc entrée dans une ère de haute précision, révélant de nouvelles anomalies par rapport aux attentes. L’expérience STEREO a pour objectif de tester directement l’existence d’un hypothétique quatrième neutrino, qui pourrait permettre de comprendre le déficit inexpliqué des neutrinos détectés à proximité des réacteurs nucléaires (« l’anomalie neutrino des réacteurs »).

Le détecteur STEREO est installé depuis fin 2016 à 10 m du cœur du réacteur de l'Institut Laue-Langevin (ILL) à Grenoble. Il mesure précisément les taux et les spectres en énergie des neutrinos émis par le cœur dans 6 cellules de détection identiques. Si un 4ème neutrino existe, il pourra «osciller» avec les neutrinos standard, induisant un motif unique de distorsions spectrales d'une cellule à l'autre. Cependant, après une analyse minutieuse les spectres mesurés dans les 6 cellules du détecteur STEREO ont des formes compatibles. Ce résultat réduit considérablement le domaine d’existence du 4ème neutrino (Figure 1). En continuant à collecter des données, STEREO améliorera sa sensibilité et testera la région restante à des amplitudes d'oscillation encore plus faibles.
 

 
STEREO passe à la vitesse supérieure

Figure 1: Contour d’exclusion tracé avec les dernières données STEREO dans le plan de l’amplitude d’oscillation vers un 4ème neutrino hypothétique (axe horizontal) et de la fréquence de cette oscillation (axe vertical). En bleu est indiquée la zone d'exclusion attendue avec la précision statistique disponible si toutes les observables STEREO correspondaient exactement aux attentes sans 4ème neutrino. La zone rouge correspond au contour d'exclusion réel basé sur les données mesurées, ce qui entraîne des fluctuations statistiques autour de la limite bleue. Tous les points à l'intérieur du contour rouge sont exclus avec un niveau de confiance d'au moins 90%. Ce résultat rejette une grande partie du domaine d'existence du 4ème neutrino prédit par l'anomalie neutrino des réacteurs (indiquée par les contours noirs).

STEREO passe à la vitesse supérieure

Figure 2: Rapport du taux de neutrinos mesuré par STEREO au taux attendu (point bleu). Ce nouveau résultat est en bon accord avec le précédent ensemble de mesures effectuées sur des réacteurs fonctionnant avec un combustible nucléaire hautement enrichi (points noirs et moyenne violette). La nouvelle moyenne mondiale, y compris le résultat STEREO, est affichée en rouge. Une valeur indépendante du taux de neutrinos 235U extraite des mesures de Daya Bay et Reno dans des réacteurs commerciaux fonctionnant avec un combustible mixte est indiquée à titre de comparaison (point vert).

Au-delà de la comparaison cellule à cellule, une tâche plus difficile consiste à contrôler la réponse absolue du détecteur. La mesure de STEREO est aussi intéressante dans ce domaine car le combustible nucléaire du cœur de l’ILL est hautement enrichi et les neutrinos détectés proviennent de la fission d’un isotope unique, le 235U, et non de la fission d’un mélange de 4 isotopes comme c’est le cas dans les réacteurs commerciaux. Le taux absolu et la forme du spectre ont été gardés cachés dans l’analyse jusqu’à récemment. Ils sont «dévoilés» pour la première fois après avoir figé l'évaluation de toutes les incertitudes systématiques et la procédure d'analyse. La figure 2 montre que STEREO fait partie des mesures les plus précises du taux de neutrinos de fission de l’235U, apportant une information précieuse dans le test de l'anomalie neutrino des réacteurs. La forme du spectre mesurée par l’ensemble des 6 cellules montre un accord remarquable avec la forme prédite pour un spectre pur 235U jusqu'à 6,3 MeV, mais des écarts au-delà des incertitudes estimées sont également observés aux énergies les plus élevées (Figure 3). STEREO n'a pas encore exprimé tout son potentiel. Des calibrations complémentaires sont à l’étude pour réduire encore les incertitudes sur la forme et on attend autant de neutrinos que ceux déjà collectés d’ici mi-2020!

 

STEREO est une expérience Franco-Allemande conçue et exploitée par une équipe de scientifiques de l'Irfu-CEA de Saclay, de l'Institut Laue-Langevin de Grenoble, du Laboratoire de Physique des Particules d'Annecy (LAPP), du Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie de Grenoble (LPSC) et l'Institut für Kernphysik  Max-Planck à Heidelberg en Allemagne (MPIK).

L’Irfu est à l’initiative du projet STEREO et a conçu et réalisé la partie interne du détecteur, contenant les 6 cellules de détection. Les physiciens sont impliqués dans de nombreux secteurs de l’analyse, la réponse en énergie du détecteur, la simulation de la collection de lumière, la prédiction du taux et du spectre des neutrinos et l’analyse statistique des mesures.

 
STEREO passe à la vitesse supérieure

Figure 3: Spectre des neutrinos mesuré par STEREO (points noirs) comparé à la prévision normalisée (ligne bleue, la surface du spectre prédite est égale à la surface du spectre mesuré).

Contact

David Lhuilier

 
#4577 - Màj : 21/03/2019

 

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